Guéred
De temps à autre, Guéred aimait bien venir traîner ses guêtres à l’astroport. Très curieux de nature, il prenait un grand plaisir à identifier les espèces parfois exotiques qui allaient et venaient sur la planète. Parfois, grâce à son sens aigu de l’observation, il était parfois capable de déceler l’hésitation ou la nervosité de certains voyageurs à la vue de soldats impériaux en patrouille. Il n’était guère étonné de constater que beaucoup de voyageurs entraient dans cette catégorie.
Son regard s’arrêta sur une scène insolite, mettant aux prises deux humains. Celui qui ouvrait la marche arborait un air fier et une démarche aristocratique, tandis que le deuxième avançait courbé sous le poids excessif de deux valises et d’un sac passé en bandoulière.
Il eut à peine le temps d’avoir pitié de celui qui semblait être le serviteur du premier, que celui-ci abandonnait ses charges avant d’engager une conversation polie mais ferme avec l’autre, dont les expressions montraient clairement son dédain et son mépris pour son interlocuteur. Guéred sourit en voyant l’arrogant exprimer son dépit et son désarroi, quand l’ex-porteur des bagages s’inclina devant lui et le planta là.
Il redevint sérieux en avisant la couture du pantalon de l’aristocrate : une longue bande d’entrelacs mauves et dorés couraient le long de ses jambes, et ces motifs lui étaient familiers, bien qu’il ne parvint pas immédiatement à les identifier. Mais il les connaissait, de cela il était certain.
Intrigué, il se mit à suivre l’homme, et son attention redoubla quand l’aristocrate fit montre d’une nervosité certaine à la vue d’une patrouille impériale. Guéred grimaça en voyant l’homme se retourner en cachant son visage, dans un geste ample et maladroit qui ne pouvait pas manquer d’interpeller la patrouille. Les quatre Stormtroopers convergèrent aussitôt vers lui, blasters aux poings.
C’est à ce moment que Guéred se souvint où et quand il avait vu de tels entrelacs sur de riches vêtements. Un professeur d’envergure galactique, avec qui il avait été en contact via holo-messages, arborait le même type d’ornements vestimentaires. Et c’était un noble Hapien de naissance.
En un éclair, il décida d’aider l’homme. Après tout, ses amis et lui avaient cruellement besoin de mécènes pour pouvoir véritablement lancer l’escadron de pilotes qu’ils essayaient tant bien que mal de mettre en place, et quoi de mieux qu’un riche nabab pour cela, surtout s’il semblait désireux d’éviter à tout pris les forces de l’Empire ?
Avisant un boîtier manuel d’alerte anti-incendie, il s’y précipita, le déverrouilla et le mit en route. Une sonnerie stridente se fit aussitôt entendre, et fut très vite suivie par un début de panique. Il marcha droit sur l’aristocrate, qui traînait maladroitement ses bagages et, se plantant devant lui, lui dit :
– Si vous voulez échapper à la patrouille, suivez-moi.
Interloqué, l’homme bredouilla, regarda en arrière vers les Impériaux qui pressaient le pas, toujours dans sa direction, et se contenta d’opiner du chef. Guéred s’empara d’une des valises et prit le noble par le coude. Il se rendit très vite compte qu’ils ne sèmeraient pas leurs poursuivants, aussi lâcha-t-il le bagage avant de s’exclamer :
– On court ! Et ne me perdez pas de vue !
Il se jeta dans les méandres de l’astroport, se frayant un chemin parmi la foule, en direction de la sortie souterraine qui menait aux taxi-speeders. Il jeta plusieurs fois un coup d’œil par-dessus son épaule, et fut rassuré de voir que le noble était toujours sur ses talons. Malheureusement, les Impériaux aussi.
Ils dédaignèrent les taxis quand ils accédèrent au tunnel idoine, et Guéred s’engouffra vers la sortie la plus proche. Ils débouchèrent sur la place de l’astroport, en proie à un chaos indescriptible. L’œil exercé de Guéred repéra de nouveaux Impériaux, à bord d’un speeder, et dont le chef, qui parlait dans un comlink, semblait chercher quelqu’un dans la foule. Quand l’officier les vit et ne les lâcha plus des yeux et cracha un ordre, Guéred sut que les choses ne seraient pas simples. Son propre speeder était trop loin pour qu’ils aient une chance de le rejoindre, et un point de côté lui brûlait les côtes. Il payait son peu d’inclination pour les efforts physiques.
– Il nous faut un véhicule ! haleta-t-il à l’attention de son compagnon.
Le noble n’était pas un imbécile. Il acquiesça silencieusement, étant parvenu à la même conclusion que son « sauveur ». Ce fut à son tour de prendre Guéred par le bras et de se précipiter vers un fonceur AZ-145, au guidon duquel un pilote pestait contre le camion-speeder qui le bloquait.
Sans fioritures, le noble attrapa le pilote par le col et le fit basculer en arrière de sa machine, avant de s’installer aux commandes.
Guéred s’installa derrière mais objecta :
– Vous devriez me laisser piloter.
– J’ai gagné plus d’une course avec un AZ-145, rétorqua le noble en souriant de toutes ses dents, avant de mettre plein gaz.
Le noble poussa la manette d’accélération au maximum. Au moment où ils allaient percuter un landspeeder à l’arrêt devant eux, il activa les volets directionnels tout en pointant le guidon vers le ciel. Le coussin d’air sous leur véhicule leur évita de percuter l’obstacle, et le noble se servit de cet appui pour survoler brièvement la foule. Guéred ne vit qu’un embouteillage monstrueux.
– Nous sommes perdus, geignit-il.
– Mais non, aucun problème, affirma l’aristocrate sur un ton suffisant. Dans quelle direction on a une chance de pouvoir s’échapper ?
– L’artère nord, face à nous.
– C’est parti ! Accroche-toi, mon gars !
Terangu réitéra sa manœuvre, de manière à survoler un landspeeder aux lignes effilées, et il fit bondir le Fonceur de speeder en speeder, en ignorant les cris des conducteurs choqués.
– Evitez la statue du roi Jegalud III, c’est une œuvre d’art inestimable ! cria Guéred en voyant que leur trajectoire les menait droit dessus.
Terangu grogna de dédain mais esquiva l’objet au dernier moment, occasionnant des sueurs froides à son passager.
Deux tirs de blaster timides se perdirent au-dessus de leur tête. Les Impériaux n’osaient pas tirer précisément, pour ne pas faire de victimes collatérales.
Ce pilotage chaotique dura trente secondes, avant que Guéred ne crie à nouveau :
– A droite ! A droite ! L’artère des Wroshiniuls nous mènera aux vieux quartiers, qui sont un véritable labyrinthe. Ils ne pourront pas nous y suivre !
Terangu y précipita le Fonceur, rebondit par-dessus un dernier landspeeder et put enfin ralentir quand ils s’engouffrèrent dans une série de venelles torturées. Guéred continua à les guider et ils trouvèrent refuge dans un petit entrepôt désaffecté.
– Où sommes-nous ? demanda Terangu en mettant pied à terre.
– Au cœur de l’ancien quartier commerçant. Son âge d’or remonte à trois cent ans, mais l’internationalisation des échanges au cours des soixante-dix dernières ont fait que…
– Qu’est-ce que j’ai posé, comme question ? coupa Terangu.
– Euh…nous sommes dans un quartier vétuste dont plus personne ne veut entendre parler, et qui sera vraisemblablement rasé un de ces jours.
– Pourquoi m’as-tu aidé ?
– Je n’aime pas tellement l’Empire, et au vu de vos réactions à l’astroport, j’ai eu le sentiment que vous non plus.
– C’est vrai.
– Qu’êtes-vous venu faire sur ArTelim ?
– Je me le demande, bougonna Terangu.
– Je…si jamais cela vous intéresse, je connais des gens qui pourraient vous cacher. Et qui pourraient être intéressés par vos capacités de pilote.
– Pour que faire ?
– Lutter contre l’Empire.
A ces mots, Terangu éclata de rire.
– Personne ne peut lutter contre l’Empire ! C’est un coup à se retrouver mort en peu de temps !
– Il y a toujours un espoir. L’un des légendes artelimiennes les plus populaires fait état de Vilmik le nain qui, parti de rien, a réussi à…
– Je me fous du folklore local. C’est pas ça qui va m’aider !
– Ah ? Et qu’est-ce qui le pourra ?
Terangu resta longtemps silencieux. Il ne retournerait jamais dans l’espace hapien, où sa tête était mise à prix. Même l’Empire le pourchassait, désormais. Rien ne pouvait l’aider, ni personne. Quoi qu’il fasse, il était perdu. Cette amère constatation faite, il redressa la tête avec orgueil, et prit une décision qui allait engager le reste de sa vie :
– Tant qu’à crever, je crèverai la tête haute, et pas en me cachant comme un negiliak des plaines ! Allons donc lutter contre l’Empire !
– Mon nom est Guéred arFeinanid, sourit l’ex-professeur en tendant la main à son interlocuteur.
– Terangu Nor, grogna le Hapien, irrité de voir que ce plébéien d’une planète minable le traitait en égal. Après un court laps de temps d’hésitation, il serra la main de Guéred.