Allez, j'entame ce jour une série intitulée
Sorciers. Tout est dans le titre.
J'ai les prémices de cette série en tête depuis des années. Elle se passe de nos jours et traite d'événements et de guerres secrètes liés au monde du surnaturel.
Barnabé
Quelqu’un frappa à la porte. Barnabé posa son livre sur la petite table ronde à côté de son fauteuil cossu, non sans y avoir placé un marque-page.
Il se leva et traversa le salon. En passant devant le grand miroir encadré de moulures dorées, il jeta un coup d’œil machinal à son reflet, comme il le faisait toujours.
Sur son visage plus rond qu’ovale, ses traits fins ressortaient d’autant plus. Au-dessus d’une bouche pincée aux lèvres étroites et d’un nez fin et droit, de grands yeux noirs empreints de calme et d’une gravité inébranlable. Sa longue chevelure brune, séparée en deux par une raie au milieu du crâne, tombait, raide, sur ses épaules.
Il était vêtu d’un pantalon bouffant anthracite et d’une tunique japonaise acier dont les boutons se fermaient au niveau de la clavicule.
À travers la vitre de la partie supérieure de la porte d’entrée, il reconnut son visiteur, à qui il sourit avant même d’ouvrir.
– Père Le Faouder, c’est un grand plaisir de vous voir, dit-il d’un ton égal. Je comptais justement vous appeler afin de prendre de vos nouvelles.
– Merci, Barnabé. Comme tu peux le voir, ce ne sera pas nécessaire.
L’homme d’église portait allègrement sa cinquantaine. Sa carrure imposante et la crinière de cheveux blancs qui encadrait son visage buriné par la vie lui donnaient l’air d’être un roc, une force de la nature.
– Un café, mon père ?
– Volontiers, mon garçon.
– Toujours noir avec un sucre ?
– Toujours.
Alors que Barnabé s’affairait dans la cuisine, le père Le Faouder s’assit à la table en chêne de la salle. Les deux hommes n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre, ce qui convenait on ne peut mieux à leurs caractères peu loquaces.
Barnabé revint avec un plateau ; dessus, deux tasses fumantes, un sucrier de porcelaine et quelques gâteaux secs dans une coupelle. Ils mangèrent et burent dans un silence serein. Quand ils eurent terminé, Barnabé leva un sourcil interrogateur à l’attention de son invité.
– Je ne suis pas venu pour le plaisir, Barnabé. J’ai besoin de ton aide.
– Je vous écoute, mon père.
– Ce matin, j’ai accompagné la vénérable madame Le Moal lors de sa promenade quotidienne. À quatre-vingt-dix ans, j’espère que je serai aussi bien conservé qu’elle. Nous avons marché aux alentours du hameau de Keriquel, si tu connais.
– Je sais où il se trouve, acquiesça Barnabé, mais je n’y ai jamais eu à faire.
– Moi non plus, à vrai dire. Du moins jusqu’à ce matin. La dernière maison du village, Ty Mentec, est abandonnée depuis quelques années. Or, quand nous sommes passés devant, j’ai ressenti des picotements derrière ma nuque.
– Ah. Ce sont bien les picotements auxquels je pense ?
– Ceux-là même.
Le père Le Faouder se tut pour laisser les pensées de son interlocuteur suivre leur cours.
Les picotements dans la nuque du prêtre… Ce n’était pas la première fois qu’ils se manifestaient, loin de là. Et Barnabé comme son invité savaient ce qu’impliquait ce phénomène. Le père Le Faouder avait un don, qui avait été déterminant dans son choix d’embrasser la prêtrise. Il était capable de déceler l’invisible. Ce que certains qualifiaient de paranormal ou de surnaturel. Paré de ce don, il n’avait toujours poursuivi qu’un seul but : découvrir la preuve de l’existence de Dieu. En vain. Par contre, il avait identifié bien des objets magiques ou ensorcelés. Des gens, aussi, qu’ils soient conscients ou non d’être différents, qu’ils maîtrisent ou non un certain nombre de pouvoirs.
– Quelle était la sensation liée aux picotements, mon père ?
– Négative. Très négative, lourde, oppressante.
Le don du père Le Faouder lui permettait également d’associer à son ressenti une impression positive, négative ou neutre.
– Madame Le Moal vit là depuis des décennies, aussi l’ai-je interrogée sur Ty Mentec. Je n’ai pas été déçu du résultat, surtout que mon interlocutrice est une grande bavarde devant l’éternel. Elle n’a pas hésité à qualifier l’endroit de maison maudite. Selon elle, tous les gens qui choisissent d’y vivre connaissent un destin tragique.
– Il est parfois difficile de faire le tri entre légende et réalité.
– J’ai fait des recherches cet après-midi à la médiathèque. J’ai épluché des dizaines d’années d’archives des journaux locaux, et je crains fort que Ty Mentec justifie sa réputation : il y a eu des meurtres, des suicides collectifs, des accidents tragiques, que sais-je encore, lors des cinquante dernières années. Aux archives municipales, j’ai même découvert que la maison, qui a plus de deux cent ans, a été pillée puis brûlée par les Chouans après la Révolution. Les problèmes ne datent donc pas d’hier.
– Vous aimeriez que j’intervienne ?
– En effet. D’autres drames risquent d’arriver si nous ne faisons rien.
– Oui, c’est très probable.
– Je me suis donc dit que faire appel à un sorcier était sans doute la meilleure solution, aussi me voilà.
– Je vais tâcher de mettre un terme à ce fléau, quel qu’il soit.
– Merci, mon garçon.
– Un autre café, mon père ?
– Avec plaisir, Barnabé.