Galéir
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 Le Paladin

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Jahus
Eru
Jahus


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MessageSujet: Le Paladin   Le Paladin Icon_minitimeMar 6 Jan - 13:08

Salutations, mes amis de Galéir ! Bonne et heureuse année !

Ça fait un peu plus d'une année que je n'ai rien posté ici. La raison en est simple : je n'avais rien écrit. J'avais quand même une petite nouvelle en cours et j'ai fait en sorte de la finir. Voici donc :

Cette nouvelle est disponible en ePUB, et dorénavant, tous mes textes seront disponibles dans ce format de poche.

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Présentation

Cette nouvelle se déroule en l’an 767, parallèlement au livre « Aurore ».

Gaël, un jeune fermier de Marénia, réalise le vol inaugural de la corvette que lui et ses amis ont réussi à s’offrir. Leur virée les mène aux abords de la géante gazeuse Fata, où ils sont témoins d’un épouvantable accident.

Le Paladin

Une nouvelle journée et il lui tardait de voler. Gaël s’extirpa de son lit et s’habilla vite. Il attrapa sa tenue de pilote et sortit de sa chambre, sauta sur la rambarde des escaliers et la dévala jusqu’au rez-de-chaussée. Il atteignit la cuisine, récupéra deux toastes sur la table et les avala en sortant.

—    Salut Mère. Salut Père.

La porte de la maison se referma derrière lui dans un sifflement. Il s’arrêta au milieu du jardin et regarda autour de lui.

—    Voilà ce que j’appelle une belle journée !

Il regarda le ciel ; lumineux et bleu. Un bleu d’une vivacité telle qu’il faisait pâlir d’envie les nantis de Nouvelle Terre.

Gaël porta deux doigts à sa tempe et activa son interface neurale.

7H 59' 45"

Il se mit à sautiller sur place.

Le jardin arborait des teintes dorées en ces jours de printemps. L’herbe était haute et jaune, le feuillage des arbres d’un orange sombre et les yeux de Gaël brillaient d’un éclat argenté à la lumière du vaisseau qui s’arrêta brusquement à quelques pas de lui, tous feux allumés.

—    À l’heure ! J’aime ! cria-t-il contre le boucan des réacteurs.

Il était long d’une centaine de mètres ; noir et effilé vers l’avant. Deux propulseurs ressortaient sur les côtés à l’arrière. Des traits lumineux couleur d’émeraude parcouraient la coque et dessinaient ses traits. Le vaisseau tourna et fit face de sa poupe.

Gaël courra vers la rampe qui se déployait et sauta à l’intérieur avant même qu’elle n’eut touché le sol. L’intérieur était sombre, la lumière y était faible et verdâtre ; son équipage l’y attendait.

—    Tire-toi de là, Loïs ! hurla-t-il alors qu’il remontait l’échelle vers le cockpit.

La jeune fille se leva du siège de pilote et rejoignit les trois autres assis des deux côtés de la cabine.

—    Ah, notre pilote est arrivé !

Il jeta un œil à ses amis et les salua.

—    Glad’, Séb’, Phil’.

Installé sur le siège, il mit le casque sur la tête ; une visière descendit sur ses yeux. Le manche à balai sortit au niveau de sa main ; il le tint et renforça sa poigne. De sa main gauche, il actionna une série de commandes. Les moteurs ronflèrent violemment et Gaël sentit une vive excitation remonter en lui.

—    Attachez vos ceintures, ça va déchirer.

Les stabilisateurs sifflèrent et crachèrent de fins filets de pression. Le navire tanga sur le côté et s’éloigna du sol. Il se balança en arrière puis se propulsa d’un coup en avant. Très vite, Gaël put observer la ferme familiale de loin. Il voyait les moissonneuses longer les champs qui se faisaient déjà tout petits. La maison et le garage familial ne furent plus que deux points se confondant dans un océan couleur d’or balayé par le vent. Le navire arrêta sa montée et pointa vers le sol, réalisa une boucle et continua en piqué, roulant en tonneau jusqu’à se stabiliser en rase-mottes.

—    Ça, c’est ce que j’appelle des absorbeurs inertiels, commenta Gladys.

Elle se tenait debout derrière le siège de pilotage, le visage souriant malgré la pâleur et la nausée qui la prenaient à toutes ces figures aériennes. Elle était vêtue d’une combinaison orange tâchée de graisse. Accrochée au siège d’une main, elle se tenait la tête de l’autre et massait ses cheveux coupés très courts.

—    Alors, t’attends quoi pour nous sortir de là ?

À cela, les nacelles des propulseurs tournèrent et crachèrent du feu vers l’arrière. Le vaisseau accéléra brusquement. À son bord, Gladys ne broncha pas et garda les yeux rivés au loin.

Moins d’une minute de vol plus tard, l’équipage put voir approcher une grande station d’où partait une série d’anneaux posés à l’horizontale, se suivant jusqu’à disparaître dans le ciel. Le vaisseau perdis de l’altitude et s’y approcha, ralentissant jusqu’à s’arrêter sur une zone de mouillage, à une centaine de mètres de l’entrée du premier anneau.

L’écran de communication du navire afficha l’image d’un opérateur en uniforme bleu.

—    Complexe de transfert Marénia à vaisseau en approche : Mettez-vous sur une zone de mouillage et… Je vois que vous y êtes déjà. Restez-y alors.

Une voix synthétique continua le message :

—    Temps d’attente estimé à : une minute.

—    Chouette le vaisseau, ajouta l’opérateur.

—    Merci, répondit Gaël. C’est son voyage inaugural, monsieur.

—    Tiens, tiens, qui avons-nous là ! (L’opérateur esquissa un air ravi.) La bande de la Cantina au complet. Je n’arrive pas à croire que vous ayez réussi à avoir ce petit joujou. Il en dit quoi, ton père ?

Le visage du pilote s’empourpra. Gladys rejoignit un siège et regarda les autres en silence. S’il l’apprend, on perd notre pilote, pensa-t-elle.

—    T’inquiète pas, gamin. Je n’en dirai rien. (L’opérateur parut se réjouir de sa blague.) Je préfère vous voir courir avec ce coucou, plutôt qu’avec les transports de la compagnie. Et… Gaël…

—    Oui, monsieur Robbins ?

—    Faites attention, je ne voudrai pas vous avoir sur la conscience.

—    Oui, monsieur. Merci, monsieur.

À cela, des voyants verts s’allumèrent sur le premier anneau. Le vaisseau se mit en son centre et commença sa montée verticale. Il passa le second anneau.

—    Et profitez bien de votre perm’ !

La liaison fut rompue. Ils prirent de l’altitude. Le bleu du ciel commença à faner, laissant place à un fond bariolé et criblé d’étoiles.

Un logo s’anima sur l’écran de communication.

—    Ce voyage vous a été offert par Miners Indust’

Gaël coupa le message et parti s’asseoir avec l’équipage. Il remarqua sa tenue de pilote qui gisait à côté du siège – il avait oublié de l’enfiler. Il observa les autres.

—    Alors, notre destination, les amis ?

Gladys portait sa combinaison orange, qu’elle n’avait sans doute jamais dégraissée. Ses cheveux s’amassaient en petites épines dressées et désorganisées. Ses yeux se différenciaient par un iris rouge à droite et un autre noir à gauche.

—    L’Académie ?

Gaël parut pensif.

—    Je ne sais pas, répondit-il.

Loïs, assise à sa droite et vêtue d’une tenue de pilote noire et moulante, posa une main sur son genoux et se pencha vers lui. Elle repoussa une mèche de ses longs cheveux bleus qui cachait ses yeux et lui révéla un regard sournois.

—    Je ne sais vraiment pas.

—    Heu, les filles, s’interposa Sébastien, si on l’écoute, on risque de déjeuner à la Cantina. Qu’est-ce qui t’arrive, Gaël ? Tu as peur de la revoir ?

Le pilote regarda son ami. Ses traits rudes et son crâne rasé le faisaient paraître plus âgé qu’il ne pouvait se permettre de paraître. Il portait un blouson grenat et un pantalon en cuir noir ; l’uniforme des cadets de la Marine.

—    Je, je ne pense pas, balbutia Gaël. Je ne pense pas courir… Je ne veux pas…

—    Les amis, intervint Philibert, je crois que vous lui faites perdre son enthousiasme, à notre capitaine. Il était juste pressé de découvrir ce joujou.

Philibert se différenciait de tous avec une tenue légère – on aurait dit qu’il sortait d’un camp de vacances. Chemise à fleurs, blue-jean, chaussures de sport ; il avait l’air de se contredire lui-même. Une tresse pendait même de ses cheveux blonds et courts.

—    Je me suis dit qu’on pouvait faire un tour du côté des anneaux de Fata et donner à ce coucou le baptême de l’air qu’il mérite. Qu’en dites-vous ?

—    J’en suis ! lança Gladys.

Philibert ouvrit un compartiment dans le mur et en sortit une boule grise grosse comme un ballon de basket-ball. Il fit bouger sa main dessus et une série de petits réacteurs sortirent d’un côté. Du côté opposé, le gris s’estompa et devint aussi noir qu’une feuille de mylar.

—    Complétement autonome, il suivra notre vaisseau et prendra des images à vous couper le souffle.

—    Va pour la ceinture de Fata, se résigna Gaël.

Loïs prit place de pilote. Une carte holographique du système s’afficha devant elle. Elle agrandit une zone autour de Marénia ; y apparut une station. Elle sélectionna leur destination et enclencha le pilote automatique d’approche.

Gaël sursauta.

—    Eh, tu vas où, là ?

Loïs lui jeta un regard amusé.

—    Je sais que tu ne veux pas y aller seul… Et nous ne voulons pas y aller sans toi…

—    Ni avec toi dans cet état de limace des neiges, surenchérit Philibert.

—    … alors nous allons prendre ta gosse de riche avec nous.

Le cœur de Gaël accéléra sa cadence et son sang afflua à ses joues. Il contempla les étoiles à travers la grande verrière du cockpit.

Depuis la veille, il se refusait de penser à elle. Il avait même réussi à dormir, à se reposer, s’imaginant le vaisseau qu’allaient dénicher ses amis, répétant les procédures de sécurité, visualisant encore et encore le parcours qu’il empruntait chaque jour pour acheminer les conteneurs de minerai d’Aurum à la station frontalière du système. La nuit avait été courte et tranquille.

Elle était de la noblesse de Marénia. Et il n’avait rien à lui offrir.

Coralie.


*

L’Académie Royale…

Son prestige était tel qu’en sortir ouvrait les portes des hautes sphères du gouvernement. Elle fut fondée il y a plus de deux siècles pour gagner la sympathie de noblesse de Marénia, et les choses n’avaient dès lors guère changé.

—    La voilà !

L’Académie était formée d’un complexe sur orbite basse organisé en un disque de plus d’un millier de kilomètres de diamètre. Parsemé de dômes dont le plus imposant trônait au centre, il brillait de l’éclat de l’étoile du système. De loin, on arrivait à distinguer de longues rampes de lancement servant à accueillir les plus grands croiseurs de la Marine, et elles menaient toutes à un chantier naval auquel pendait une série de navires éventrés.

—    Passe par là, indiqua Loïs à Gaël qui avait repris les commandes au pilote automatique.

Le vaisseau vira à tribord et s’approcha du chantier. Ils purent contempler les vaisseaux arrimés pour maintenance ; des navires qu’ils n’avaient jusque-là qu’admiré sur leurs réseaux neuraux, dans lesquels ils avaient un jour espéré servir ou qu’ils avaient un jour rêvé de commander.

Sébastien se tenait face à la verrière et y posait les deux mains, bé devant la vue d’un croiseur de la Marine.

—    Le Spirit of Royalism ! Hé ! Venez voir ! C’est le dreadnought de l’Amiral Johnston !

Gaël sourit du coin et approcha le vaisseau du croiseur amiral.

—    Bravo Six Double Delta à vaisseau non identifié, votre vecteur a été jugé dangereux, veuillez changer votre trajectoire.

Sans prendre en compte l’avertissement, il s’approcha encore des réacteurs puis longea la coque jusqu’à décrocher au niveau du nez.

—    Vaisseau non identifié, mettez en panne pour une inspection.

Le visage de Gaël pâlit devant l’image de la femme en tenue d’officier de la Police. Il n’avait encore jamais été abordé de la sorte et il n’était pas sûr de ce qu’il avait fait. Ses amis le regardèrent en silence et il n’eut que le temps d’éteindre les réacteurs. Le visage de l’officier s’afficha encore.

—    Vaisseau non identifié, j’ai dit : mettez en panne !

—    C’est ce que je fais, madame, répondit timidement le jeune garçon. Mais c’est ma première avec ce vaisseau, alors…

—    Ah, je vois, des nouveaux, l’interrompit-elle avec ironie. Eh bien, j’imagine que c’est aussi pour ça que votre vaisseau ne porte pas de désignation.

—    C’est son voyage inaugural, madame, répondit Philibert.

Ferme-la, Phil !

—    Des bouseux en excursion. Et vous êtes combien, là-dedans ?

—    Cinq, répondit sèchement Gladys. Cinq bouseux, madame. Et nous rendons visite à… une amie ; elle étudie à l’Académie.

L’officier parut surpris.

—    Une amie, à l’Académie ? Vous ? (Elle ricana et sembla occupée aux consoles de son navire.) Je doute que vous connaissiez quelqu’un de l’Académie. Mais bon ! C’est aussi ouvert aux visiteurs. Arrimez-vous au module touristique – je vous y escorte avant que vous ne fassiez exploser la moitié du complexe avec une de vos acrobaties.

Gaël ralluma les moteurs et s’approcha d’un dôme qu’il identifia sur la carte de vol. Il voyait sur ses détecteurs le vaisseau de police qui s’était mis en formation avec lui. Il se posa alors délicatement sur une plate-forme d’arrimage. Celle-ci descendit vers un sas dont la porte se referma aussitôt. L’intérieur, au début éclairé par la seule lumière de leur cockpit, s’illumina et laissa voir des parois à la blancheur éclatante.

—    Vous voilà à bord. Je vous conseille de ne pas chercher les ennuis, les petits bouseux. Et profitez-en pour enregistrer votre vaisseau avant la fin de la journée. Si je vous choppe à nouveau à traîner sans IFF, je vous coffre, compris ?

—    C’est compris, madame, finit par répondre Gaël.

—    Bravo Six Double Delta. Fin de transmission.

Gladys éclata de rire et tous suivirent en chœur.


*

Apparemment, c’est aussi jour de perm’ chez les nantis…

Le module touristique était bandé de monde. Situé sous dôme comme tous les modules du complexe, il s’étendait sur plusieurs niveaux, répartis de façon à ce que l’image projetée sur la voûte soit visible de chacun d’eux. Sa surface était si étendue que les cinq amis s’étaient dispersés.

—    On dirait que c’est jour de perm’, remarqua Gladys.

—    Hum… C’est ce que je me disais.

Gaël continua à regarder autour de lui. Des familles entières affluaient pour rendre visite à leurs protégés cadets de l’Académie Royale. Il regarda leurs habits neufs, leurs visages enjoués ; des petits enfants courraient partout et se faisaient glisser sur le sol lustré. La coupole affichait l’image de Nouvelle Terre, lumineuse et verdoyante.

—    Un problème, Gaël ?

—    Non. Je me disais que c’était une bonne journée. Nous avons enfin un vaisseau à nous, Philibert va rendre visite à son père qu’il n’a pas vu depuis près de six mois, et Sébastien réalise son rêve de visiter le musée militaire.

—    Et toi, Gaël ?

Il continua de regarder alentours. Des cadets, reconnaissables à leurs tenues bleues, semblaient chercher leurs familles des yeux. Par moments, Gaël pouvait en voir un courir soudainement et se faire enlacer par ses parents, ou ses frères et sœurs.

—    Tu crois qu’elle est là ?

Gaël posa sa question sans conviction. À cela, il scruta chaque uniforme bleu qu’il pouvait discerner dans la foule qui se densifiait de plus en plus. Il crut alors reconnaître ses cheveux blonds attachés en chignon derrière sa tête et son cœur tambourina de toutes ses forces contre son torse. Ses poumons se serrèrent et son estomac se noua.

—    Gladys, pars de ce côté, j’irai chercher de l’autre.

Il jeta un œil à son réseau neural.

9H 59' 48"

Gaël regarda son amie s’éloigner vers la foule qui s’amassait devant l’entrée d’une galerie. Elle se différenciait tellement de ceux qui l’entouraient que c’en était ridicule ; avec sa combi’ orange tâchée de graisse et son hérisson sur la tête, on s’étonne qu’elle ne se fasse pas jeter dehors.

Il marchait à l’opposé et remontait le courant des arrivants, alternant entre une marche lente et lancinante et un mouvement rapide où il se plaisait à zigzaguer entre les gens, les enfants qui courraient çà et là, et les landaus qui essayaient tant bien que mal de suivre de près des mères trop excitées à l’idée de revoir leurs cadets.

Seul le premier enfant de la famille, aussi riche soit elle, se voit octroyé l’honneur de rejoindre l’Académie Royale, les autres pouvaient toujours rejoindre d’autres écoles de prestige, ou se payer des études dans les grandes universités du noyau, près de Nouvelle Terre.

—    Là, ça doit être bien, se dit Gaël de vive voix, à la vue d’une petite cantina qui donnait sur le hall d’arrivée.

Il pensa alors à la situation qu’il vivait. Les études étaient gratuites jusqu’à l’âge de seize ans – et même les formations aux métiers d’ouvrier étaient payantes. Alors les plus démunis se contentaient de ce que leurs parents pouvaient leur inculquer.

Si loin de La Niña, l’étoile autour de laquelle orbite Nouvelle Terre, les opportunités étaient rares. Les moins chanceux se trouvaient alors à moissonner les champs de Marénia, ou à extraire de l’or des gisements d’Aurum.

—    Gaël !

Cette voix était douce.

Cette voix était timide, fine, délicate, et cette voix pénétrait au plus profond de lui.

Ses yeux le regardaient de leur éclat divin à travers une dentelle blanche.

—    Cora !

Sa voix fut fébrile.

Sa vision se centra sur son visage, elle souriait timidement – ses joues s’empourprèrent. Il voulut brusquement la prendre dans ses bras mais se reteint – son cœur accéléra encore. Il sentit sa tête enfler et tituba.

La foule autour de lui semblait s’être dissipée, la station estompée et le brouhaha s’évanouit.

Un voile de dentelle pendait de son chapeau blanc et ses cheveux s’en élançaient en vagues d’or aussi étincelant que les vallées d’Aurum à l’aurore. Ils échouaient sur ses bras dénudés, et sur sa poitrine et jusqu’à son ventre.

Le regard de Gaël les suivit jusqu’à se fixer sur ses chaussures ; de fines ballerines blanches brodées de crème.

—    Tu… Ta tenue, bafouilla Gaël.

—    Je suis en perm’, répondit-elle à toute vitesse.

Elle parut sautiller sur place et tituber sans cesse. Il regarda alentours et désigna du nez une cadette qui passait avec sa famille.

—    Ah… Ça. C’est parce que je viens voir des amis. Tu peux venir, si tu veux.

Elle se mit à aligner des pas hésitants. Il marcha à côté d’elle et n’osa plus regarda dans sa direction. Il remarqua sa tenue de pilote noire et se demandait ce qui lui était bien passé par l’esprit pour qu’il la ramasse et la mette avant d’arriver à l’Académie.

Il pensa qu’il n’avait toujours pas compris pourquoi elle n’était pas en uniforme, et hésita à lui demander à nouveau.

—    Ce sont tous des internes, dit-elle d’un même ton timide. Je vis avec mes parents. Pas loin d’ici – en orbite. (Elle marqua une pause et parut distraite.) De l’autre côté de la planète.

Ils étaient arrivés devant la cantina qu’il avait remarqué plus tôt.

Et pourquoi n’est-elle pas une interne, elle ?

—    Je reviens. Attends-moi là, okay ? Ne bouge pas, je reviens vite.

Et elle partit en courant vers l’établissement.

—    Tiens, tiens, qui voilà !

Gaël sursauta encore. Sébastien ? Son ami le scruta et lui tapota l’épaule.

—    Qu’est-ce qui t’a figé ici ? demanda-t-il.

—    Une statue à la gloire des bouseux, en tenue de pilote, qui plus est, ajouta Gladys qui venait d’arriver.

—    Tu t’es vue, le clown ? lança Loïs.

—    Dit la lady aux cheveux bleus, répondit Gaël d’une petite voix.

—    Quoi ?

—    Une vraie bande de dégénérés, lança Philibert en arrivant. Vous faites quoi à poiroter ici ?

Ils se regardèrent et toisèrent leur pilote.

—    Elle est là, dit-il d’une voix incertaine.

Tous restèrent silencieux, regardant l’entrée de la cantina et guettant la première cadette qui en sortirait. Gaël fut de plus en plus inquiet. Il consulta son réseau neural :

10H 36' 44"

Gaël commença à douter de la véracité de sa rencontre. Il sentit encore sa tête s’alourdir, sa respiration haleter et son cœur battre avec force.

10H 37' 42"

Ses amis commencèrent à parler et à tourner en rond, impatients. Il s’en détacha entièrement et fixa l’entrée de la cantina.

10H 42' 40'

—    Salut tout le monde ! Salut Gaël !

Il sursauta une troisième fois. Il ne l’avait pas vue venir. Elle se tenait devant eux, intimidée mais aussi d’un air étrangement extraverti. Elle regarda ses amis. Ils la regardèrent.

—    Alors, on fait quoi ?


*

Fata…

Une boule de lumière bleue entourée d’un anneau doré. Gaël envoyait ses yeux contempler la beauté de l’astre, mais ceux-ci revenaient vite vers ses yeux à elle. Coralie était à côté de lui et son cœur battait si fort qu’il se demandait si ses tambourinements se voyaient.

Elle admirait le paysage à travers la longue vitre traversant la soute. Ses yeux étaient aussi bleus et éclatants que la planète, et ses cheveux, qui tombaient autour de son visage, brillaient d’un éclat aussi blond et doré que celui des anneaux de gaz et de poussière qui entouraient la géante gazeuse.

Ils étaient seuls, mais pas une fois son regard ne s’était posé sur lui. C’en était troublant. Elle avait tout à apprécier dans ce qu’offrait la planète dont ils se rapprochaient, certes, mais Gaël sentait que c’était plus pour l’éviter.

Pourtant, elle s’était montrée des plus extraverties en présence des autres.

Loïs était aux commandes du navire, les autres discutaient tranquillement dans le cockpit. Philibert avait sorti sa boule grise et l’avait réglée pour qu’elle suive le vaisseau à une certaine distance pour enregistrer leur voyage, tout en le gardant entre elle et la planète afin de ne rien rater de la beauté du spectacle. Il l’avait donnée à Gaël et lui avait demandé de préparer son lancement, suggérant que leur invitée aille le seconder.

Gaël caressa la boule qu’il tenait dans ses bras.

—    Je… Je vais préparer la sonde.

Elle ne semblait pas avoir prêté attention à ses mots, toujours occupée à regarder la planète Fata dont la lumière céruléenne envahissait peu à peu l’habitacle. Ses iris semblèrent se déverser tout autour d’elle.

Cette pensée fit sourire Gaël, mais il dévia vite son regard et alla ouvrir la porte intérieure du sas. La sonde activée, il la posa sur le sol du sas. Se relevant pour fermer la porte, il se heurta à elle et sursauta. Son regard avait quelque chose de changé, il était devenu plus ferme. Les traits de son visage s’étaient durcis.

Coralie poussa Gaël d’une main à l’épaule, il recula et tituba dans le sas. Sa main se plaqua sur la commande de fermeture et avant qu’il n’ait le temps de réagir, le porte s’était affaissée et avait fermé l’accès à la soute.

Gaël frappa des mains contre la paroi vitrée, pris de panique. Il ne suffirait que d’une pression de touche pour l’éjecter dans l’espace, et plus il en prenait conscience, plus il perdait contrôle de ses gestes. Il savait qu’aucun de ses amis ne l’entendrait crier, mais il le faisait.

—    Cora !

Les yeux de la jeune fille restèrent fixés sur lui à travers la vitre blindée. Un éclair de lucidité traversa l’esprit de Gaël au même temps que l’adrénaline retombait dans son corps et il réalisa l’invraisemblance de la situation. Son visage afficha une moue d’incompréhension alors que celui de Coralie restait sévère.

Elle mit la main à son sac et en sortit un collier argenté. Elle activa le système de communication du sas.

—    Pourquoi ? dit-elle simplement.

Gaël observa le collier qu’il lui avait offert la veille et comprit la colère de la jeune femme. Le collier était un dispositif neural en circulation parmi les milieux adolescents, généralement utilisé pour planer en générant de fortes émotions ou des rêveries euphoriques.

Le jeune homme ne dit rien, et ne sût quoi lui répondre. La veille, lorsqu’il l’a vue pour la première fois, la seule idée qu’il avait était de lui rabattre son clapet de nantie, lui prouver qu’il pouvait voler plus vite qu’elle et lui faire sentir tout ce qu’elle rate en restant cloîtrée dans sa tour d’ivoire de petite de noble.

—    Pourquoi, Gaël ?

L’entendre prononcer son nom avait accéléré son cœur à nouveau, malgré la délicatesse et l’étrangeté de la situation où il se trouvait.

—    Je… (Il balbutia, perdant le file de sa pensée.) Sors-moi de là, Coralie.

—    Pourquoi ? redit-elle calmement.

Ses yeux bleus regardèrent le bouton d’ouverture de la porte extérieur du sas et des sueurs froides parcoururent le corps de Gaël.

Un bruit mécanique, puis un sifflement annonçant l’ouverture d’une porte. Gaël se crispa, les mains plaquées sur la vitre, comme pour s’y accrocher et empêcher le vide sidéral de l’aspirer.

La porte du sas s’ouvrit et il tomba dans les bras de Coralie. Il sentit la douceur de ses bras autour de lui quand elle le serra contre elle. Encore une fois, l’irréalisme de la situation l’abasourdit. Inconsciemment, il passa ses bras autour d’elle. Son torse se colla à sa poitrine et elle put sentir leurs cœurs battre fort et à l’unisson. Le regard de Gaël croisa ses yeux ; il sentit le sang affluer avec ferveur dans ses tempes ; ses joues s’empourprèrent. Elle détourna vite les yeux et la peau de son visage prit une teinte rose.

Une forte secousse ébranla alors tout le vaisseau, jetant les deux passagers contre une paroi de la soute. Un bruit sourd de torsion parcourut la coque et les alarmes se mirent à hurler. Gaël se releva en bondissant. Coralie était déjà sur ses pieds et se tenait à un harnais attaché au mur. Ils se dévisagèrent un instant. Gaël jeta un regard vers la verrière latérale ; rien.

—    Nous sommes quittes, Gaël, cria-t-elle à travers le vacarme des sirènes.

Essoufflé, le jeune homme acquiesça d’un hochement de tête avant de se diriger d’un pas rapide vers le cockpit. Coralie le suivit en courant.

Alors qu’ils avançaient dans la coursive, l’éclairage baissa subitement et fut remplacé par une lumière ambiante rouge et tamisée. Gladys était à l’entrée de la salle, sur un panneau de contrôle mural ; Sébastien et Philibert étaient assis à regarder cette dernière. Loïs se leva de son siège.

—    Que s’est-il passé ? s’enquit Gaël en regardant vers l’extérieur par-dessus l’épaule de Loïs pour apercevoir par la verrière une quelconque menace.

—    Le vaisseau semble avoir essuyé une lame de fond, répondit calmement Loïs. Il s’est mis en panne par sécurité et Gladys tente de le redémarrer. Le drone a sans doute été endommagé, lui aussi.

La sonde !

Gaël se rappela le dispositif qu’il avait laissé sur le sol du sas et reparti dans la soute sous les regards interrogateurs de ses amis. Coralie ne le suivit pas et vint s’asseoir sur le siège de copilote.

—    Il a sûrement oublié quelque chose dans le sas, commenta-t-elle en riant. Affichez la vidéo qu’envoie la sonde. Nous pourrons voir si le vaisseau a subi des dommages extérieurs.

Comprenant que le drone n’avait pas encore été lancé, Loïs obtempéra et tapota sur une console. Un écran latéral afficha l’image du vaisseau. Il avait l’air intact ; les nacelles de ses réacteurs étaient repliées à l’intérieure de la coque qui n’affichait aucun dommage apparent. La planète Fata, géante gazeuse d’un bleu profond et entourée d’anneaux de poussière, couvrait la moitié de l’arrière-plan.

La station de recherche Penrose se dessinait à quelques centaines de kilomètres, à l’orée de l’anneau extérieur. Elle était constituée d’une base centrale couverte par un immense dôme dont la surface reflétait la couleur bleutée de Fata, de là partaient quatre axes dont chaque extrémité se terminait par un gros cylindre tournant.

—    Nous en sommes encore éloignés, remarqua Philibert. Si le moteur ne redémarre pas, nous devrons appeler des secours. Gladys ?

Une vague d’émotion submergea Coralie. Tout d’abord, elle sentit son cœur se serrer et ses poumons chercher l’air comme si cette inspiration allait être la dernière qu’elle prendrait, puis, un profond malaise s’empara de son esprit. Par reflex, elle tourna son regard vers la verrière et le fixa sur la station de recherche.

—    Les communications sont coupées et le système s’est complétement verrouillé. Je dois en trouver la raison avant de pouvoir le redémarrer. Inutile de nous exploser…

Le vaisseau s’en approchait à une vitesse fulgurante, continuant dans sa lancée avant de se mettre en panne. Mais là n’était pas le problème : quelque chose se passait et elle le sentait. C’était désormais plus qu’un pressentiment. Elle se sentit secouée puis attirée vers l’édifice, l’espace l’entourant se dilata et la station grossit – Coralie la sentait si proche qu’elle aurait sans doute pu la frôler si elle avait tendu la main. Les astéroïdes avaient cessé de tourner sur eux-mêmes, le temps lui-même s’était arrêté et soudain, tout s’allongea vers un point à l’infini avant de disparaître. Tout : les astéroïdes, les particules de poussière, la station – tout s’était évanouit dans le néant.

Coralie se retrouva debout comme tous les autres. Elle s’affaissa dans son siège entouré de ses compagnons ébahis. Sébastien avait les mains posées sur la verrière, l’échine pliée, le visage sévère face à ce qui venait de se passer, le front et les traits plissés par une expression d’intense douleur. Son crâne chauve et lustré brillait d’une lumière bleue terne. Une larme s’échappa de ses yeux et vint s’abattre sur un écran du tableau de bord.

Son père…

Gaël arriva sans rien dire. Il jeta son regard au-dessus des silhouettes immobiles et hébétées de ses amis et le vit : un vide dans l’anneau de poussière, un vide étalé sur une centaine de kilomètres, tout autour de là où devait se trouver la station Penrose. Le jeune homme regard furtivement du côté de Sébastien, mais celui-ci n’avait pas bronché, toujours appuyé sur la verrière, la tête entre ses épaules retroussées. Il s’y attarda alors un instant.

Il portait toujours son uniforme de la marine, qu’il avait rejoint récemment, juste après ses seize ans. Son père était un éminent chercheur et travaillait dans la station Penrose. Bien qu’ils vivent dans le même système, Séb ne le voyait que très rarement ; une fois tous les six mois, tout au plus. Un vaisseau personnel était un luxe auquel peu de gens accèdent et aucune voie commerciale ne s’éloignait du centre du système. Alors il restait patient à attendre qu’il lui rende visite.

Une atmosphère sombre et oppressante avait pris dans le navire. Personne n’osait briser ce silence et Gaël traversa lentement le cockpit.

Bien qu’il ne l’ait pas montré ouvertement, Séb avait pris grand plaisir à diriger ses amis vers Fata, et était des plus heureux à l’idée de revoir son père.

Plus rien…

Au moment où il envoyait sa main prendre l’épaule de son ami abattu, une secousse ébranla le vaisseau et envoya Gaël contre une paroi. Il tomba sur le sol, sonné, la vision brouillée. Une seconde secousse vint de l’autre côté et l’envoya contre le tableau de bord. La gravité artificielle coupée, il se retrouva à planer à quelques mètres, les muscles lancinants. Les autres flottaient et essayaient de s’accrocher aux harnais mais Coralie était assise sur son siège. Le vaisseau pris un autre coup et une autre alarme retentit. La jeune fille ne semblait pas avoir bougé, elle avait le regard vague, dirigé vers la verrière. Elle n’était pas attachée aux harnais mais ne semblait pas avoir senti les secousses.

Gaël en détourna son attention, conscient que leur vaisseau n’allait pas résister longtemps à ce rythme. Leur corvette essuyait les coups d’innombrables astéroïdes et autres petits débris rocheux et fonçait à une allure constante à travers les anneaux de Fata.

Alors que des bruits d’explosions retentissaient à l’arrière, il poussa des pieds sur la paroi supérieure du cockpit et s’envoya vers le siège de pilote où était assise Loïs. Il devait redémarrer le moteur avant de sortir des anneaux, sinon, leur navire se volatiliserait dans l’atmosphère de la géante gazeuse.

Il tapota à toute vitesse sur le tableau de bord.

—    Les systèmes de survie n’ont plus de jus ! cria Gaël.

Le vaisseau frôla un autre astéroïde et fut dévié, prenant une course droite vers la planète.

Loïs arracha un panneau mural et Gladys la rejoignit et tira sur les câbles qui y apparaissaient. Elle regarda autour d’elle ; Séb flottait, inanimé au centre de la pièce, Philibert était attaché à un siège. Elle fit un signe rapide et celui-ci décrocha une pince coupante du mur et la lui lança. Loïs la réceptionna et coupa violemment la poignée de câbles qu’avait tirés son amie. Des étincelles jaillirent alors que les bouts coupés se frôlaient. Dans une précision parfaite, Gladys raccorda certains entre eux. Un violent bourdonnement parcouru toutes les parois et Loïs n’eut que le temps de les enrouler grossièrement de ruban adhésif avant que la pesanteur ne soit rétablie.

Les deux jeunes femmes tombèrent à l’unisson sur les sièges latéraux. Coralie se tourna vers elles, le regard toujours absent. Désormais, l’habitacle avait pris une teinte bleu électrique et la géante gazeuse monopolisait la verrière de toute part.

Tous firent alors face à un sentiment d’impuissance quand les premières particules atmosphériques commencèrent à brûler au contact de la coque de la corvette. Ils regardèrent l’image envoyée par le drone. La coque voyait sa température augmenter progressivement, jusqu’à prendre une tinte rougeoyante et à dégager une vive lumière orange. La chaleur commença à pénétrer l’habitacle.

Gaël se tourna vers eux et lu sur leurs visages un désespoir certain. Plus personne ne bougeait, plus personne ne parlait. La chaleur augmentait et ils commençaient à suer à grosses goûtes. Des panneaux d’acier recouvrirent la verrière pour empêcher la forte luminosité d’aveugler les passagers, mais même ceux-là se changeaient en fines membranes translucides.

Agis !

Un fort bruit de métal se frottant à du métal ébranla l’habitacle et la seconde suivante, tout le navire était parcouru d’une violente vibration, puis de bruits de torsions de la coque, comme si elle désirait se fendre en deux morceaux.

—    Quelque chose nous retient, cria Philibert. L’anneau d’arrimage est…

Brisé !

L’étincelle d’espoir qui avait brillé dans les yeux de l’équipage s’évanouit à la vitesse à laquelle le vaisseau qui les avait attachés s’éloignait. Ils le virent disparaître sur la vidéo extérieure. Il s’était attaché à eux pour les remorquer mais l’anneau d’arrimage avait lâché prise. Ils fendaient toujours l’atmosphère corrosive à une vitesse fulgurante et n’avaient plus aucune chance d’en sortir vivants.

Agis ! cria une voix à l’intérieur de sa tête. Gaël sentit en lui une énergie soudaine et rassembla toute sa volonté. Il mit un doigt à sa tempe et activa son interface neurale. Le journal de bord se déroula devant ses yeux et les enregistrements de l’avionique durant les dernières minutes furent surlignés.

Trois lignes distancées attirèrent son attention ; elles précédaient justement la commande de mise en panne des systèmes de navigation.


Code:
*** Coque : Altération de la matrice subatomique de la coque [ab4e6cb4]
            
*** Diagnostic demandé : Coque
            
*** Diagnostic : La coque ne répond pas
            
*** Diagnostic : Mise en panne demandée : Avionique


—    Altération de la matrice subatomique de la coque…

Gaël lu la phrase sans un brin de conviction. Gladys s’arrêta de travailler sur sa console portable et afficha un air ahuri. Elle comprit facilement que la coque avait renvoyé une erreur, mais jamais elle n’en avait rencontrées de ce genre. Le blindage avait été altéré au niveau subatomique, mais la technicienne n’avait aucune idée de l’ampleur de cette altération, ni des conséquences que peuvent avoir de tels dégâts. Et le temps n’était plus aux réflexions.

Coralie bougea, se tourna vers le tableau de bord et tapota dessus.

—    C’est le genre d’anomalies qu’on retrouve sur les vaisseaux qui approchent des singularités gravitationnelles.

Gaël l’observa avec attention. Encore une fois, la situation en était irréelle ; la jeune femme était vêtue d’une tenue décontractée toute blanche, mouillée, collée sur son corps en sueur, mais aussi neuve que le vaisseau lui-même quelques instants auparavant. Elle portait un chapeau duquel pendait un voile de dentelle et son regard était vissé sur les écrans de contrôle. Elle s’était introduite dans l’avionique et commençait à effacer les verrous de sécurité mis en place par le système de diagnostic. Moins d’une minute plus tard, les générateurs grondèrent. Sur l’écran, on voyait la vidéo envoyée par le drone montrer que les nacelles des propulseurs se déployaient.

—    Générateur au vert, annonça la technicienne de bord en éteignant sa console de contrôle.

Go !

Gaël poussa la molette des gaz d’un coup vif et tira de toutes ses forces sur le manche. Les propulseurs hurlèrent de toutes leurs forces pour extraire la corvette de l’attraction de la géante gazeuse. Les volets se retirèrent et la température baissa brusquement.


*

Tous accueillirent avec soulagement le fond sombre de l’espace. Ils frissonnèrent, les corps mouillés et la respiration haletante.

—    Détecteurs passifs allumés, annonça la technicienne dans une discipline de fer.

Un point vert symbolisant le drone apparut sur les scopes, puis un second point montrait la position d’un petit vaisseau à quelques dizaines de kilomètres d’eux. Il filait au loin mais ils semblaient le rattraper.

—    Communications sub…

—    Cassandre à… vaisseau non identifié. Vous me recevez ?

L’appel retentit au moment-même où le système de communications subspatiales se mis en ligne. Sur les écrans, on voyait l’intérieur d’un petit cockpit, et le visage souriant d’une jeune femme. Tous se levèrent et se mirent derrière les deux sièges de pilotes.

—    Ici le capitaine du…

Gaël s’arrêta, hésitant et regarda derrière lui. Les visages de ses amis étaient ruisselants de sueur, apeurés. Et il évita de croiser le regard de Séb.

La jeune femme semblait d’un calme extraordinaire, qui contrastait avec les événements qu’ils venaient tous de vivre.

—    En fait, dit-il en se grattant la tête timidement, on n’a pas encore baptisé ce petit coucou, c’est son voyage inaugural.

Son interlocutrice sembla amusée. Elle avait quelque chose de juvénile. Elle devait avoir moins de vingt ans, mais aussi, son visage, ses mouvements et son air sérieux trahissaient une grande sagesse et de la force de caractère, ajoutant presque une dizaine d’années à son âge apparent.

—    Mettez-vous en formation avec moi. Vous étiez dans la station de recherche ?

Sa question fut subite. Sébastien hoqueta à cette idée. Gaël ne dit rien.

—    Nous étions en route pour la station quand une vague a ébranlé le vaisseau et qu’il s’est mis en panne. Nous avons vu la station et tout ce qui était autour disparaître en se distordant puis en se faisant happer vers le point Lagrange.

Elle avait dispensé ces mots avec assurance et calme, on aurait dit qu’elle les avait maintes fois répétés dans sa tête en prévision de cette rencontre.

—    Nous avons dérivé à travers les astéroïdes, continua Gaël. La coque a tenu bon, mais nous avons failli y passer dans l’atmosphère. C’était chaud.

L’idée-même fit naître un frisson le long de son dos. Il avait pensé la phrase dans une tournure humoristique, mais ça n’avait rien changé aux visages crispés de ses camarades. Coralie, par contre, esquissa un léger sourire en coin qui s’effaça rapidement.

—    Que veniez-vous faire dans une station de recherche avec un vaisseau non identifié ?

Séb se crispa, ses poings se serrèrent violement, et si fort que ses articulations blanchirent. Ils étaient venus voir quelqu’un, et ils avaient assistés impuissants à sa disparition.

Une autre jeune femme apparut derrière la première.

—    Je suis sûre qu’ils avaient de bonnes raisons, dit-elle. Et ils ont un enregistrement des événements.

—    Comment ? s’interloqua Gaël.

Il regarda Coralie, qui lui répondit d’un autre petit sourire en coin en montrant les scopes. Le petit drone apparaissait tel un petit point vert à quelques petits mètres de la corvette.

Un long moment passa sans que personne ne dise quoi que ce soit. Ils suivaient ce petit vaisseau de type non identifié, en direction du centre du système. Le petit navire était composé d’un cockpit transparent sphérique, placé au bout d’un corps effilé et aussi noir que l’espace profond. Gladys regardait attentivement sa forme et retournait sa mémoire dans l’espoir de trouver une occurrence d’un tel vaisseau, mais jamais elle n’en avait vu de semblable.

Les communications reprirent quand ils atteignirent la ceinture d’astéroïdes intérieure. La jeune femme qui les avait contactés au début les rappela, mais parla d’un ton anormalement dur et sérieux.

—    Je vous envoie mes accréditations, Capitaine. Veuillez me transférer les données récoltées par le drone. Et assurez-vous de n’en garder aucune partie. Strictement aucune !

L’ordre foudroya chaque passager. La vidéo prise par le drone était tout ce qui leur restait de leur expérience, de leur aventure. Et tout ce qui restait à Sébastien de la station où travaillait son père ; les images d’un bâtiment se tortillant avant de s’évanouir dans le néant. À bien y penser, le garçon pourrait apprécier de se débarrasser de ce dernier souvenir.

Gaël étouffa sa complainte en lisant les accréditations de la jeune femme. La communication continua aussitôt, mais ne leur était pas destinée ; ils l’entendirent quand même.

—    Lieutenant Astakhova, attribuez un IFF diplomatique à nos rescapés. Aussi, ils ont besoin de trouver un nom à leur vaisseau ; laissez-leur le temps d’en choisir un. Une fois arrivés à Marénia, arrimez-vous à un complexe d’agrément ; un endroit où nous pourrons discuter tranquillement et expliquer à nos chers hôtes que l’affaire est du ressort des Aihara et qu’il leur est strictement interdit d’en parler.

Une Aihara !

Cette pensée sembla irréelle. Les Aihara étaient entre le mythe et la réalité. On les décrivait comme les protecteurs de l’ordre, agissant dans l’ombre pour garder l’harmonie au sein de l’humanité. Certains racontaient qu’ils avaient des pouvoirs surnaturels, qu’ils pouvaient lire les pensées et changer les émotions. D’autres qu’ils pouvaient se rendre invisibles et induire le feu à distance. Mais Gaël, ni aucun de ses amis, n’en avait croisé, ni connu quelqu’un qui en aurait vu de ses propres yeux.

Le pilote jeta un regard à chacun des membres d’équipage. Loïs et Gladys étaient dans la même position, la tête en arrière posée sur le fauteuil, les yeux difficilement fermés, une grimace de fatigue sur le visage. Philibert semblait dormir. Sa chemise à fleurs avait pris de la transparence, mouillée et collée à son buste. Il semblait absorbé par ses pensées, mais serein, comme à l’accoutumée. Sébastien avait le visage crispé, figé dans la même émotion que depuis l’accident. Gaël y lit une frustration accablante. Elle avait l’air de consumer toute autre émotion et chaque pensée qu’il produisait. Il y était presque, s’ils avaient fait un peu plus vite, il aurait pu voir son père, et peut-être connaître le même sort. Mais s’ils étaient arrivés plus tôt, peut-être auraient-ils pu le sauver. Ces pensées – et Gaël le savait – ne cesseraient de hanter le jeune homme. Sébastien parut hocher la tête quand le pilote l’avait regardé.

Il se concentra sur les commandes et transféra toutes les données du drone vers le Lady Ree, le petit vaisseau de l’Aihara.

—    Données reçues. Merci, les petits, lança la jeune femme. Reposez-vous, vous en avez besoin. Envoyez-nous les coordonnées d’un coin tranquille où on peut siroter une bière sans attirer l’attention.

Gladys fut la première à s’esclaffer, mais elle se retint vite, respectant la douleur de son ami. Malgré cela, la situation avait quelque chose de drôle. Elle regarda autour d’elle, et tous – à part Sébastien et Coralie – la dévisagèrent. Ce qu’elle allait dire allait de soi.

—    La Cantina de la Rosa !

Gaël sélectionna sur la carte l’endroit où ils ont pris l’habitude de se réunir, où ils organisaient leurs courses illégales, l’endroit qu’ils fréquentaient si souvent que son nom s’était déteint sur celui de leur bande : « la bande de la Cantina ».

Ils allaient bénéficier d’un système IFF diplomatique, qui leur permettrait de naviguer où bon leur semblait, à moindre coût et dans tout l’espace protégé. Ils étaient enfin libres d’aller et venir, ils pouvaient changer leurs vies ; repartir à neuf quelque part dans les mondes centraux, s’improviser fermiers sur le monde luxuriant et éloigné d’Émeraude ou errer d’étoile en étoile tels des chevaliers vagabonds, explorant l’espace sauvage et aidant qui en avait besoin.

La pensée fit sourire Gaël. Il venait de trouver un nom à leur corvette : Le Paladin. Débattre de cela et de la suite des choses avec ses compagnons allait attendre leur arrivée. Et même s’ils décidaient de rester sur Médéa, il tiendrait fortement à son idée de baptême.

La Cantina de la Rosa… Les coordonnées envoyées, il s’affala sur son siège, épuisé.

Coralie.

Le jeune homme sentit un contact frêle sur le dos de sa main alors qu’il la détendait sur le manche à balai. Le contact était électrique, il eut l’impression que des décharges énergétiques quittaient la peau de la jeune femme pour finir sur la sienne. Les doigts de Coralie se faufilèrent entre les siens et il referma sa main au même temps qu’elle. Il tourna la tête vers la droite pour la regarder.

Sa beauté l’éblouit ; ses lèvres se fendirent légèrement et elle avait l’air de dire quelque chose d’une voix si basse qu’aucun humain ne pourrait l’entendre. À un moment, il pensa qu’elle murmurait son nom.

Coralie.
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Le Paladin
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