Une île
06/01/2018
* * *
Baignant sous les rayons du soleil, la cime des arbres ondulait paresseusement au rythme d’une légère brise venue de l’océan. Aucun nuage ne venait entacher le tableau et, seuls, les piaillements des perroquets venaient briser la monotonie du bruit des vagues s’étalant sur la plage de sable fin toute proche.
Au large, un groupe de mouettes survolait la baie, guettant le moment opportun pour plonger vers un poisson qui se serait égaré trop près de la surface. Les volatiles victorieux, s’envoleraient alors vers leurs nids sur les falaises situées non loin de là.
Ces falaises dominaient le paysage et si un observateur s’était placé à leur sommet, il aurait constaté qu’elles constituaient le point culminant d’une petite île. Dans cette montagne en miniature, quelques ruisseaux prenaient leur source et serpentaient ensuite vers l’océan, permettant au passage à la maigre faune locale de s’abreuver.
Pourtant, sur la partie de l’île la plus éloignée des falaises, la flore laissait place à une large trouée. Plusieurs troncs de palmiers arrachés du sol attendaient que l’action des éléments et des insectes les fassent disparaître. Au milieu de la flore ravagée trônaient les responsables de leur déchéance : des amas de métal tordus et rouillés, dépouilles de géants tombés du ciel.
Leur chute avait causé celle des arbres et labouré le sol sur une large zone. C’est tout juste si aujourd’hui l’herbe reprenait ses droits. Les carcasses les plus proches de la forêt voyaient leurs extrémités enserrées dans des lianes, prélude à leur disparition sous l’étreinte implacable de la flore locale.
La rouille touchait toutes ces épaves mais quelques traces de peinture beige, verte ou encore bleu marine subsistaient encore ça et là. À l’intérieur, plusieurs squelettes prouvaient que ces oiseaux de métal transportaient ces grands singes depuis longtemps incapables de grimper aux arbres contrairement à leurs agiles cousins habitant ces lieux.
À l’avant des restes les plus imposants, une petite silhouette en plastique peinte de couleurs éclatantes se tenait bien droite. Souriante, elle s’inclinait à chaque fois que le vent s’engouffrait à l’intérieur de l’épave mais le ressort situé sous ses pieds la ramenait toujours à sa position originale.
Soudain, un sifflement retentit dans la carlingue et un serpent constricteur déploya ses anneaux à travers l’un des orifices circulaires constellant la coque. Peut-être l’odeur inhabituelle du plastique attira-t-elle sa langue ou tout simplement était-il curieux. Toujours est-il qu’il s’approcha de la figurine et la parcourut longuement de sa langue fourchue. Ses anneaux se resserrèrent durant l’examen et il se redressa, dominant l’objet de son attention, prêt à fondre sur sa proie.
Finalement, l’immobilité de la victime potentielle finit par convaincre le reptile qui quitta l’épave par le cockpit. Le silence revint à l’intérieur et le regard vide de la figurine fixa de nouveau le siège vide du pilote.
Telle était cette petite île paisible. La nuit succédait au jour et le jour à la nuit, la lune apparaissait et disparaissait et rien ne venait troubler la vie de ses habitants. L’astre nocturne était apparu trois fois dans son entièreté quand la beauté des cieux fut entachée par des nuages. Ils arrivèrent petit à petit, cumulus et cirrus mais aucun souffle de vent ne venait les chasser. Ils furent bientôt si nombreux qu’ils occupaient tout le ciel visible et bloquaient les rayons du soleil. D’un blanc de neige leur couleur vira au gris anthracite et un vent d’Est se leva. Il ne s’agissait pas d’une légère brise mais du dernier signe annonciateur avant que les éléments ne se déchaînent sur l’île.
Le vent s’intensifia et bientôt son hurlement enveloppa toute l’île, faisant dangereusement pencher les palmiers. Au-dessus des falaises, seuls quelques rares albatros déployaient leurs grandes ailes pour effectuer du surplace dans les courants aériens. Soudain, un éclair déchira le ciel et le grondement du tonnerre se répercuta à travers l’île.
Sur le sommet de la carlingue où attendait, imperturbable, la figurine, une goutte d’eau tomba. Et puis une seconde. Et une troisième. Ce fut le signal qu’attendaient les trombes d’eau accumulées dans le ciel pour s’écraser au sol. Les épaisses gouttes faisaient résonner le métal provoquant un grondement que les coups de tonnerre masquaient à peine. Les vibrations de l’épave agitèrent la figurine, par ailleurs trempée par la pluie qui s’engouffrait partout où elle le pouvait. Elle ne se départit pourtant pas de son sourire et endura la tempête aussi stoïquement que les autres habitants de l’île.
Au-dehors, l’orage gagnait en intensité. Près des épaves, un éclair s’abattit sur un arbre. Ce dernier se brisa en deux sous la violence du choc et l’une des moitiés s’écrasa sur les épaves, broyant le métal sous son poids.
L’ouragan se déchaîna pendant plusieurs heures puis, au matin, la pluie s’arrêta. Le vent faiblit à son tour et seuls les arbres déracinés par la tempête ou terrassés par la foudre pouvaient encore témoigner de l’acharnement des éléments sur la petite île.
Dans le champ d’épaves, la pluie avait transformé le sol en boue et le poids combiné des arbres et du métal avait fait s’enfoncer certaines carlingues. La plus grande d’entre elles avait littéralement été coupée en deux par un palmier déraciné et sa partie arrière avait quasiment disparu dans la terre. À l’avant, la figurine se tenait toujours debout, arborant le même sourire qu’à son arrivée en ces lieux, peu dérangée par le spectacle qu’elle venait de contempler.
Les saisons auront beau défiler, les éléments pourront toujours la tourmenter et la faune la défier, sa peinture aura beau s’écailler et son support rouiller, cette petite figurine restera imperturbable et ne se départira pas de sa bonne humeur rayonnante. Comme si elle avait enfin trouvé un endroit paisible, loin de la folie qui avait poussé ces êtres si étranges à construire ces oiseaux de métal pour les lancer les uns contre les autres dans des endroits qu’ils ne connaissaient même pas et où ils ne reviendraient jamais.
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Dim 13 Oct - 19:32