[Nouvelle] Cauchemar au Point Némo

15/04/2018

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Jill accueillit les craquements de la coque en serrant les dents. Elle avait beau avoir accepté son destin, une part d’elle-même s’y refusait encore et cherchait un moyen d’y échapper. Malheureusement pour elle, elle était coincée au milieu du laboratoire en attendant que les portes étanches cèdent sous la pression de l’eau. Quelques minutes plus tôt, les générateurs avaient lâché, éteignant les écrans qui diffusaient jusque-là en continu les images qui les captivaient – elle et l’équipage de La Boussole – depuis plusieurs jours. Les caméras de sécurité qu’elle utilisait pour guider les autres avaient suivi quelques secondes après.

Au lieu d’accepter la suggestion du second, et de se réfugier ici pendant que les autres survivants tentaient le tout pour le tout pour sauver le navire, elle aurait du tenter sa change avec les radeaux de sauvetage comme cette garce de Beth et les deux journalistes. Il était trop tard pour ça maintenant et la gîte du navire s’était encore accentuée, envoyant tout ce qui n’était pas solidement arrimé valdinguer contre la paroi côté poupe.

Bien entendu personne à bord, du capitaine au mousse, n’avait imaginé dans quoi ils s’étaient embarqués en décidant de rester après les premiers signes avant-coureurs. Et quand le cauchemar avait réellement commencé, les pauvres moteurs diesel du navire de recherche ne leur avaient été d’aucune utilité pour échapper à leur agresseur. Si tant est qu’ils avaient réellement été attaqués. Jill avait du mal à concevoir que tout cela était réel et qu’ils n’avaient pas heurté un récif ne figurant sur aucune carte. À moins que des pirates ne les aient attaqués ? Mais personne ne venait jamais dans cette région du Pacifique. Le commandant leur avait assuré qu’aucun navire n’avait jamais croisé en ces eaux depuis 1925 !

Elle se revoyait encore, réveillée en sursaut par l’alarme générale et allant sur la passerelle pour apprendre plus sur ce qui se passait. Ce qu’elle avait cru voir… Impossible ! C’était impossible ! Mais si ce que les ROV avaient découvert sommeillant au fond depuis des millénaires était vrai… Dans ce cas, peut-être que le second avait eu raison de lui donner une arme. « En dernier recours », lui avait-il expliqué. Maintenant elle ne l’entendrait plus raconter des anecdotes sur ses campagnes précédentes.

Jill se força à analyser de nouveau les éléments en sa possession, espérant inconsciemment détourner son attention de la sinistre réalité. L’alarme avait retentit à l’aube. En arrivant sur la passerelle, on lui avait brièvement indiqué que les échosondeurs avaient relevé un objet « massif » se rapprochant d’eux à grande vitesse. Les hommes de quart et le commandant étant trop concentrés sur la manœuvre, elle était sortie et avait pointé sa paire de jumelles sur leur sillage. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour en distinguer un autre s’approchant de leur poupe. Elle ne pouvait voir ce qui leur causait mais il était indéniablement beaucoup plus rapide que La Boussole.

Et l’inévitable s’était produit : quelques secondes avant que le second sillage ne les rejoigne, il s’était changé en une énorme vague dont la force, non contente de faire dangereusement rouler le navire, avait ouvert plusieurs brèches dans la coque. Le capitaine avait de nouveau sonné l’alarme et ordonné à tout le monde de s’arrimer solidement. Jill avait obtempéré et, au moment où la vague secoua le frêle navire océanographique, elle jeta un œil en arrière dans un mélange de peur et de curiosité sur la cause de ce phénomène.

Ce qu’elle avait pu observer la hantait encore. Elle s’était efforcée de rationaliser en se disant que le réveil brutal combiné au traumatisme du naufrage lui jouait des tours. Mais elle ne pouvait s’empêcher de constater qu’au moment du choc, quelque chose était à moitié sorti de l’océan, quelque chose qui ressemblait comme deux goutes d’eau à la statue qu’ils avaient découvert au fond de l’océan.

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Une semaine plus tôt, Jill et l’équipage observaient avec intérêt les morceaux de la station spatiale se désintégrer dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique Sud. La NASA et l’ESA avaient confirmé que l’objet était tombé à moins de 50 km du Point Némo, validant ainsi les calculs de leurs équipes et démentant les craintes de certains complotistes qui s’attendaient à une catastrophe aux proportions cosmiques.

Le champ étant dorénavant libre, La Boussole s’était donc rapprochée de ce fameux pôle d’inaccessibilité maritime afin de débuter sa campagne d’étude sur l’impact des « déchets » spatiaux sur les fonds marins. Deux jours plus tard, un des ROV leur transmettait les premières images de ce qui ressemblait – de l’avis général – à une immense cité en pierre reposant sur le fond.

La formation de Jill l’avait poussée à mettre en doute ce qu’elle observait sur l’écran. Elle avait avancé l’hypothèse d’une formation géologique due à une forte activité géothermique mais les relevés sonar couplés aux basses températures de l’eau et à la quasi-absence de vie aquatique avait fini par la convaincre de la réalité de la chose.

Il s’agissait donc d’une structure artificielle. Qui l’avait construite ? Aucun style architectural ou bas-relief n’était discernable. Pour avoir une meilleure idée ils auraient du détacher un bloc ou gratter la couche de sédiments mais même Beth, d’ordinaire si prompte à apposer sa « marque » sur un site en en remontant un élément, répugnait à le faire pour le moment.

Devant la taille non négligeable du site, il leur fallu encore trois jours de recherches acharnées pour tomber sur la statue qui avait tant marquée Jill et sur les portes titanesques juste derrière. Le malaise était maintenant palpable au sein de l’équipage et des chercheurs. Cette mystérieuse cité ne semblait pas respecter les canons architecturaux connus : aucun angle droit n’y était discernable et les plans qu’ils avaient relevés n’avaient guère de sens. Comme si il s’agissait plus d’un labyrinthe conçu par un esprit dérangé ou une parodie grotesque d’une cité aux murailles cyclopéenne.

Enfin, ils durent se rendre à l’évidence : la vie sous-marine évitait cet endroit comme la peste. C’est tout juste s’ils remarquèrent un banc de méduses en bordure des premiers bâtiments ou un poisson des grands fonds lors de la descente d’un des ROV.

Malheureusement pour eux, comprit Jill plus tard, c’était Beth qui avait tout déclenché en utilisant le plus gros des ROV pour tenter de forcer les énormes portes de pierre. Qu’espérait-elle ? C’est tout juste si elle avait pu tapoter la dalle avec la pince de l’engin. Même soulever l’anneau de métal tordu fixé à l’un des battants et le laisser retomber pesamment semblaient au-dessus des capacités du frêle engin.

C’est pendant ces essais infructueux que Jill remarqua l’autel devant la statue. Il émergeait à peine de la vase et on y distinguait à grand peine des rigoles partant d’une zone évasée du centre vers l’extérieur. Cela leur servait à récupérer le sang des sacrifices, pensa Jill. Quelle autre fonction ces rainures pouvaient-elles servir ? Mal à l’aise, elle avait prétexté une envie pressante pour quitter le laboratoire et tenter de se changer les idées. Une longue conversation avec le second et une quasi-nuit de sommeil l’avaient aidée. Jusqu’à ce que l’alarme la réveille.

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Maintenant qu’elle était coincée dans l’épave, elle ne pouvait plus détacher son esprit des dernières images provenant du fond, avant que la liaison ne soit rompue. Les deux énormes portes brisées de l’intérieur et donnant sur des abysses encore plus obscures que le fond de l’océan. Sans oublier cette statue d’une créature vaguement humanoïde avec une masse de tentacules là où auraient du se trouver le nez et la bouche et une paire d’ailes rabougries dans le dos : un modèle réduit de la chose qu’elle avait cru entrapercevoir avant que La Boussole ne fasse naufrage. Cette chose qui n’avait pas dévié de sa trajectoire initiale. Une trajectoire qui la conduirait sur la côte australienne…

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Alors que les flots du Pacifique se préparaient à engloutir la proue du navire de recherches ; si on avait mouillé un hydrophone non loin, on aurait pu discerner la détonation d’une arme à feu. Il ne resta bientôt plus qu’une tâche huileuse et quelque débris pour témoigner du drame qui venait de se jouer.