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 [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]

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Hiivsha
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Hiivsha

Hiivsha


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[Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 12 Aoû - 23:26

C'est lundi... et j'ai failli manquer la suite !!! Sleep 

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[Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Ladqv1_couv1_ss
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12 - Le repas

Le lendemain matin, le magicien était retourné sur la colline pour déposer à quelques mètres de la jeune fille une pelle et une robe bleu pâle ainsi qu’une cape fourrée et une paire de solides chaussures qui appartenaient à son épouse.
« J’ai conservé les affaires de ma femme Aloïse, dit-il comme pour s’excuser. Elle était sensiblement de la même taille que toi… j’en ai plein d’autres à la maison et tout ce qui était à elle sera pour toi si tu le désires, tu n’as qu’à venir choisir. »

Disant cela, il observait Isil qui était toujours prostrée, comme si elle n’avait pas bougée de toute la nuit. Il se devait de respecter sa douleur et ne tenta pas de s’approcher plus, espérant qu’elle réagirait au plus vite.
« Je t’attendrai ce soir, demain… chaque jour s’il le faut, mais je t’en prie, ne reste pas seule dans cette forêt. »

Lorsqu’il fut repartit, Isil reposa doucement la tête de Louve sur le sol, comme émergeant d’un mauvais rêve. Puis elle prit la pelle et creusa un grand trou bien profond dans lequel elle ensevelit son amie en déposant au dessus de grandes pierres pour empêcher les animaux de creuser le sol à cet endroit-là.

C’était une belle journée et le soleil brillait très fort. Elle marcha jusqu’à la rivière qui courait calmement dans la plaine puis se dévêtit et entra dans l’eau claire pour se laver.

………………………………………………

« Mais pourquoi mettez-vous toutes ces fleurs dans cette maison ? Vous voulez la transformer en jardin ? Ça ne vous suffit donc pas toutes celles qui sont dehors ? »

Hiivsha tira sur sa pipe un sourire mystérieux sur ses lèvres.
« Bertanna, il se pourrait que sous peu, nous ayons une invitée dont je vous demanderai de prendre le plus grand soin. »

La cuisinière ouvrit de grands yeux remplis de la plus vive curiosité.
« Ah ? Et puis-je savoir qui ?
– Un pauvre petit animal blessé et craintif, qui a peur des hommes. »

Bertanna s’exclama.
« Un animal ? Vous n’allez pas installer un animal dans cette maison ? Il y en a bien assez dehors à s’occuper. Oh je vois, monsieur a sans doute trouvé une de ces chiennes errantes qui parcourent les routes en semant leur progéniture à tout va ! Et c’est une chienne que vous voulez recueillir ? »

Le magicien la regarda sévèrement puis se mit à rire.
« Une chienne ? Non pas vraiment, Bertanna, et je vous déconseille de l’appeler ainsi… ce serait éminemment impoli à son égard. Je dirais plutôt une sirène, une nymphe des bois, une apparition féerique…
– Une femme ? tonitrua la cuisinière.
– Une jeune fille, rectifia Hiivsha, une merveilleuse et adorable créature perdue dans la forêt et accompagnée d’une louve…
– Une louve ? Ah non, pas de ça ici !
– … qui vient malheureusement de la quitter…
– Elle est partie ? Dieu soit loué !
– Elle est morte, Bertanna, pour une raison que j’ignore encore… cette fille semblait vraiment très liée à ce loup… et maintenant elle est toute seule…
– Alors vous voulez la recueillir ? Une mendiante passe par là et parce qu’elle a de jolis yeux… parce que je suppose qu’elle a de beaux yeux, naturellement ?
– Naturellement, murmura le magicien pensif, les plus jolis yeux bleus que je n’avais encore jamais croisés… avec un visage d’ange… »

La grosse femme s’exclama en haussant les épaules.
« Ah ! Voilà bien les hommes, à tourner en bourrique pour une pouliche bien roulée… parce que j’imagine que le reste est également au dessus de tout soupçon ? ajouta-t-elle en faisant un geste significatif autour de sa forte poitrine.
– Oh, largement au-dessus ! se moqua le magicien.
– Comment cela ? Vous ne l’avez tout de même pas déshabillée pour le vérifier ?
– Nul besoin de cela, Bertanna… ses haillons ne cachent guère grand-chose de son corps… elle se promènerait nue dans la forêt que cela reviendrait quasiment au même… »

La cuisinière leva les mains au ciel tandis que l’homme reprenait.
« D’ailleurs, je lui ai offert des vêtements d’Aloïse pour qu’elle soit plus décente pour venir… si elle vient.
– Comment cela si elle vient ?
– Elle semble craindre la compagnie des hommes…
– Des hommes ?
– Oui Bertanna, vous savez cet animal prédateur qui se déplace sur ses deux jambes, qui tue sans raison et sème le mal et la désolation autour de lui… »

La femme devint un instant plus grave.
« Oh, moquez-vous de moi, monsieur… et puis d’abord, pourquoi voudriez-vous que cette… demoiselle ait peur de l’homme ?
– Je ne sais pas… peut-être qu’on lui a fait du mal… à dire vrai, j’en suis convaincu… cette jeune fille a certainement beaucoup souffert pour en arriver à préférer la compagnie des loups plutôt que celle des hommes. »

Il y eut un moment de silence et Bertanna en profita pour tourner la sauce qui mijotait dans une petite marmite en dégageant une odeur alléchante. Au fond d’elle-même, elle était bien contente que le magicien s’intéresse enfin à une personne de l’autre sexe, car depuis que son épouse l’avait quitté, elle ne se rappelait pas l’avoir vu ne serait-ce que regarder une autre femme, et en parler encore moins.

Un ouvrier frappa doucement à la porte.
« On a terminé monsieur, nous rentrons chez nous.
– Merci Fradan, bonne soirée à vous tous !
– Merci, m’sieur, répondit l’homme en saluant de la main. A demain ! »

Le soleil déclinait sur la grande plaine et Hiivsha se demandait à présent si la jeune fille viendrait. Il se tourna vers la cuisinière.
« Avant de partir, je vous demanderai de préparer une chambre pour elle… au cas où, on ne sait jamais…
– Vous voulez que je reste pour la nuit ? Si vous pensez que cette enfant a peur des hommes, elle sera peut-être plus rassurée par la présence d’une femme… et puis, un homme veuf, seul avec une jeune fille… ça ne se fait pas trop non ? »

Le magicien sourit avec indulgence.
« Celle-ci est de taille à se défendre, à mordre et à griffer, et bien d’avantage si j’en juge à la jolie dague dont elle ne se sépare jamais.
– Comme vous voulez… mais si demain on vous découvre égorgé, ne vous en étonnez pas… ce n’est pas pour elle que je crains, je sais bien que monsieur est un homme bon et respectable… en fait, c’est pour  vous ! »

Il rit de bon coeur.
« Vous êtes bien bonne, Bertanna… si, si… vous êtes une vraie mère poule pour moi ! »

La grosse femme haussa les épaules et monta à l’étage préparer la chambre d’amis un bouquet de fleurs à la main.

L’astre du jour avait glissé derrière les branches touffues des grands arbres, plongeant dans leur ombre épaisse la maison et son jardin, lorsque Hiivsha aperçu la silhouette d’Isil sortant lentement du bois. Il eut un pincement au cœur en la voyant s’approcher dans la robe bleue et la cape qui avaient appartenu à Aloïse, et un flot de souvenirs le submergea un instant. Il sortit sur le perron pour l’accueillir. Elle marchait très lentement, d’un pas hésitant, comme prête à se retourner et s’enfuir d’où elle venait. Elle faisait penser à une biche, longuement apprivoisée, qui s’approche de la main qui la nourrit mais qui, au moindre bruit, disparaît dans les taillis.

Hiivsha retint son souffle. Ainsi vêtue et visiblement lavée - la propreté de son visage et de ses bras en attestait - elle était émouvante de fraîcheur et de beauté… l’innocence à l’état pur. Comme si elle ressentait son trouble, Isil s’arrêta et hésita. L’homme lui fit signe de continuer.
« Pardonne-moi de te dévisager ainsi… tu m’as fait penser à mon épouse… Mais ne reste pas dehors, entre je t’en prie, ma maison est tienne, tu y es désormais chez toi aussi longtemps que tu le souhaiteras. »

Il s’écarta pour la laisser entrer et fit un geste pour la débarrasser de sa cape, ce qui provoqua un sursaut instinctif de la jeune fille. Aussitôt, il fit un pas en arrière.
« Excuse-moi, je ne voulais pas t’effrayer… »

Isil plongea son regard dans le sien.
« Je ne veux pas qu’on me touche ! dit-elle vivement en baissant les yeux.
– Non, non… je me proposais juste de te débarrasser de ta cape pour l’accrocher ici… pour que tu sois à l’aise pour… bavarder… manger ensemble… ce que tu voudras… »

La jeune fille regardait tout autour d’elle la pièce décorée avec soin d’étranges bibelots qui lui étaient inconnus et qui devaient provenir de contrées lointaines. Elle caressa les bouquets de fleurs en plongeant son nez dedans ce qui déclencha le premier sourire qu’il pouvait lire sur son visage.
« Isil… c’est ça ? Isil… tu as faim ? Veux-tu que nous passions à table ? »

Elle fit oui de la tête et le suivit tandis qu’il passait dans la pièce d’à côté où une table avait été dressée avec soin par Bertanna. Elle n’avait pas lésiné sur la nourriture, alternant légumes du potager et viandes séchées et rôties, qu’elle avait richement disposés avant de partir à regret.
« Vous ne voulez vraiment pas que je reste, avait-elle lancé une dernière fois avant de partir.
– Non merci, Bertanna… je pense que ce sera déjà très dur de lui redonner le goût de parler si je suis seul… votre présence risquerait de compliquer la situation.
– Bon, bon… alors je m’en vais… mais j’aurais bien voulu la voir, avait-elle fini par avouer.
– Je m’en doute, avait alors répliqué le magicien en riant, mais avec un peu de chance, vous la verrez demain. »

Hiivsha donna l’exemple et s’assit en lui désignant une chaise en face de lui.
« Je t’en prie… sers-toi… tiens prend de ce bon vin… »

Il lui servit un liquide parfumé et joliment coloré dans une coupe sculptée dans de l’ivoire, finement décorée d’une fresque de scène de chasse à un étrange animal gigantesque qu’elle contempla longuement.
« C’est un oliphant, expliqua-t-il… un puissant animal qui vit dans les contrée de l’extrême sud d’Hyboria… c’est… impressionnant, même pour un guerrier ! »
Isil le regarda toujours sans dire un mot et porta la coupe à ses lèvres pour boire. Elle avait oublié le goût et la saveur du vin et elle ferma les yeux comme pour mieux se concentrer sur les sensations qui l’envahissaient.
« C’est bon ? Nous le faisons ici, au village… un peu plus loin dans la plaine… sers-toi, mange… »

Il la regardait avec bonheur goûter de chaque plat disposé devant elle et la resservit en vin. Il en oubliait presque de manger lui-même, complètement sous le charme du tendre spectacle que la mystérieuse jeune fille de la forêt lui offrait.

Tout doucement, Isil sentit ses joues se réchauffer au fur et à mesure qu’elles prenaient une légère coloration rosée qui rehaussait finement son teint de peau. Elle n’en pouvait plus de redécouvrir ces saveurs oubliées depuis tant de mois, ces goûts sucrés, ces sensations salées, ces odeurs de viandes cuites, alors qu’elle avait fini au contact des loups par la manger crue sans même s’en apercevoir. Le paradis ne lui aurait pas semblé plus doux ni plus accueillant et l’homme qui se tenait en face d’elle paraissait tellement ému en la regardant, qu’elle en était à son tour toute troublée et reconnaissante à la fois. Elle sentait en son for intérieur qu’elle n’avait rien à craindre de lui… il paraissait fort mais bon et aiguisait sa curiosité. Elle baissa les yeux et murmura.
« Merci. »

Hiivsha protesta gentiment.
« Merci ? De quoi par Mitra ? De partager avec toi un repas ? Mais c’est l’essence même de l’hospitalité aquilonienne que de le proposer au voyageur… Pourrais-je me regarder dans un miroir demain si je t’avais laissée errer seule et désemparée dans cette forêt ? Je te demande juste d’accepter de rester le temps que tu te remettes de ce que tu as vécu… que j’ignore, mais qui me semble t’avoir fait souffrir. Fais moi confiance.
– Pourquoi ? demanda-t-elle doucement les yeux toujours baissés.
– Que veux-tu dire ?
– Pourquoi devrais-je vous faire confiance, vous… un homme ?
– Ecoute, soupira-t-il, les hommes c’est comme les animaux… il y en a de bons, de doux, et il y a des fauves, des monstres… si tu as rencontré des humains de la seconde catégorie, je comprends ta méfiance… mais crois moi, on gagne beaucoup à faire confiance dans la vie. »

Elle releva ses grands yeux bleus vers lui.
« Qu’ai-je à y gagner ?
– En ce qui me concerne, je dépose ma vie à tes pieds s’il le faut… et je m’en veux de n’avoir pas obtenu ta confiance plus vite, car si j’avais su que ta louve était malade ou blessée, j’aurais pu la guérir. »

Il nota une petite larme qui perla du coin d’un œil pour glisser sur sa joue.
« La confiance, c’est tout dans la vie. Si tu n’apprends pas à la donner aux personnes qui en valent la peine, tu finiras par n’accepter aucune main tendue et tu resteras seule toute ta vie. »

Elle lui tendit sa coupe vide pour qu’il la remplisse et, la tenant au creux de ses deux mains, les coudes posés sur la table, elle la but très lentement. La chaleur de l’alcool lui faisait du bien et la détendait. Le magicien reprit.
« Il y a une chambre à l’étage… ma gouvernante t’a préparé un bon lit… il y a longtemps que tu n’as pas couché dans un lit ? »

Elle fit oui de la tête en soupirant.
« Cette chambre est pour toi. Tu y resteras autant de temps que tu le souhaiteras. Comme je te l’ai dit, ma femme est morte, il y a cinq ans, tuée par des brigands de passage un jour où je n’étais pas là… »

Ses yeux brillèrent d’un étrange éclat.
« La vengeance ne permet pas de vivre non plus, dit-il très doucement… »

Il continua d’une voix redevenue neutre.
« En tout cas je vis seul depuis bien longtemps… un peu de compagnie ne devrait pas me faire de mal, qu’en penses-tu ?
– Je n’ai nulle part où aller ; alors pourquoi pas rester ici, répondit-elle d’une toute petite voix.
– Parfait ! Il arbora un grand sourire. Considère-toi comme dans ta propre maison, à compter de cet instant, et ce, pour aussi longtemps que tu le souhaiteras ! »

La jeune fille commençait à battre des paupières. Hiivsha se leva.
« Je crois que ta fatigue cumulée à l’effet du vin ne font pas bon ménage. Il est temps pour toi d’aller te reposer et de dormir. Viens. »

Il tendit sa main vers son bras pour l’aider à se relever de sa chaise mais elle eut de nouveau un geste instinctif de recul. Il n’insista pas, monta l’escalier pour lui montrer le chemin et ouvrir une porte donnant sur une chambre que Bertanna avait pris soin de joliment décorer. Isil entra en regardant tout autour d’elle, comme une enfant qui s’émerveille d’un endroit féerique. Le magicien sourit de bonheur à cause de l’expression béate de son visage.
« Il y a des vêtements pour la nuit et pour demain dans l’armoire, de l’eau et des linges pour te laver dans la petite pièce à droite… je te souhaite de passer une bonne nuit. »

Isil ne répondit rien mais le regarda avec gratitude les yeux embués. Il sortit et referma doucement la porte pour aller fumer une pipe en faisant quelques pas dans la nuit. En passant sous la fenêtre entrouverte de la chambre d’ami, il perçut quelques sanglots qui lui remuèrent le cœur. La vie réservait décidément bien des surprises. Les destinées des êtres humains se croisaient et tissaient des fils dont il aurait bien voulu connaître le devenir. Mais le futur était toujours en mouvement et aucun de ses maîtres n’avait jamais réussi à en percer le secret.

En regagnant sa chambre, il marqua une courte pause devant la porte de la jeune fille mais il n’entendit plus aucun bruit et en conclut qu’elle s’était endormie. Il allait pouvoir en faire autant.


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Dernière édition par Hiivsha le Lun 7 Oct - 23:13, édité 2 fois
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Hiivsha

Hiivsha


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[Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Empty
MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 19 Aoû - 19:19

C'est lundi... voici donc la suite !!! :)

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13 - Le pari


Le lendemain matin, Isil se réveilla fort tard après une nuit extraordinairement douillette passée dans des draps de lin fin brodés. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas ressenti cette sensation de bien-être. Le soleil inondait sa chambre d’une chaude lumière et la fenêtre ouverte laissait entrer les pépiements des oiseaux et le beuglement des vaches que l’on trayait.

Elle s’étira, se lava, revêtit une ample et courte tunique blanche croisée par devant et passa une ceinture qu’elle serra autour de sa taille. Tout en se coiffant à l’aide d’une brosse dorée en poils de sanglier, elle se contempla longuement dans un grand miroir fixé sur l’un des battants de l’armoire en souriant. Cela faisait fort longtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion de le faire. Il lui sembla renaître à la vie.

Sortant de la chambre, elle descendit d’un pas léger l’escalier. La grande pièce d’entrée était toujours aussi fleurie et toutes les boiseries savamment entretenues et vernies reluisaient dans la clarté du jour donnant à l’ensemble un aspect campagnard mais cossu. Dans la cuisine quelqu’un fredonnait. Elle risqua une tête.

Une grosse femme préparait le repas en s’affairant autour des casseroles en cuivre et d’une marmite posée sur le feu. Des légumes découpés trônaient sur une table tandis qu’un poulet attendait d’être placé dans le four.
« Bonjour, murmura Isil un peu intimidée. »

La cuisinière se retourna vivement.
« Oh, par exemple, Mademoiselle Isil, enfin, vous voilà ! Je me demandais si vous existiez autrement que dans l’imagination de monsieur. Venez, venez mon enfant, approchez que je vous vois mieux… Oh, par Mitra, ce que vous êtes jolie ! Et ces cheveux ! C’est de l’or que vous avez sur la tête, ma parole… regardez-moi comme ils sont longs, soyeux et bouclés… Par tous les dieux, vous êtes encore plus belle que tout ce que j’avais pu imaginer en écoutant monsieur me parler de vous ! »

Elle prit la jeune fille par les épaules en la faisant pivoter sur elle-même.
« Tournez vous que je vous vois mieux… Eh bien, eh bien ! Quelle magnifique taille fine que vous avez là ! J’en suis toute jalouse. »

Bertanna posa sans malice les mains sur sa poitrine.
«  Et ces beaux seins bien fermes… Je voudrais retrouver ma jeunesse pour les avoir comme ça moi aussi ! »

Elle éclata de rire en voyant que le visage de l’invitée s’empourprait.
« N’ayez pas honte de votre beauté mon enfant ! Soyez-en fière, montrez-là ! dit-elle en écartant un peu le décolleté de la tunique. Que tous ces hommes tombent à genoux devant votre grâce, c’est bien tout ce qu’ils méritent ! Ah, si j’étais comme vous, croyez-m’en bien que j’en profiterais… Aïe, aïe, aïe… vous allez faire un malheur au village, je vous assure… et j’en connais plus d’une qui vont vous envier ! Allez, venez que je vous présente à tout le monde ici, dit-elle en la prenant par la main et en la traînant derrière elle. »

Elles sortirent de la maison. Dans l’écurie il y avait deux hommes qui restèrent bouche bée en les voyant arriver… dès qu’ils aperçurent la jeune fille, ils ôtèrent leur chapeau et s’inclinèrent tandis que Bertanna faisait les présentations.
« Tragor, dit-elle en désignant un homme d’une cinquantaine d’année aux larges moustaches et au visage buriné, notre métayer et son aide, Gencar. »

Le second, un jeune homme de l’âge d’Isil s’inclina de nouveau sans pouvoir détacher son regard des yeux bleus de la jeune fille. Il avait le visage sympathique bien qu’un peu maigre, pensa-t-elle.

Elle n’eut pas le temps d’en penser plus que déjà la cuisinière l’entraînait vers l’étable où une femme procédait à la traite des vaches.
« Martha, regarde un peu la déesse que monsieur a trouvée dans la forêt ! Je te présente mademoiselle Isil ! »

La fermière se leva et fit une révérence maladroite en rajustant le foulard qu’elle avait sur sa tête.
« Enchantée, dit-elle.
– Moi aussi, répliqua timidement la jeune fille. »

Et hop, voilà Bertanna repartie avec elle ! Elle lui fit ainsi effectuer le tour de la propriété pour la présenter à un jardinier nommé Hor’Lorf et un homme occupé à redresser un fer à cheval sur un étau à coups de marteau, non loin de là.
« C’est le forgeron du village, s’écria la cuisinière, Adamar… admirez ses muscles d’acier ! »

L’homme grand et fort, d’une trentaine d’années, était torse nu et exposait son torse puissant ruisselant de sueur. Il se redressa fièrement et toisa la jeune fille avec un petit sourire de connaisseur.
« Vous êtes venu ravir la première place à la plus belle des femmes de notre modeste village, mademoiselle. Soyez la bienvenue à Orandia ! dit-il d’une belle voix masculine en la déshabillant du regard sans aucune retenue. »

Isil fit une révérence en souriant à son tour.
« Je vous remercie, répondit-elle simplement.
– J’espère que nous aurons l’immense plaisir de vous y voir bientôt… dès ce soir, ajouta-t-il en regardant Bertanna malicieusement, tout Orandia sera au courant de votre présence chez notre magicien, et je parie que plus d’un… et plus d’une, voudra faire votre connaissance ! »

Le forgeron émit un petit rire qu’Isil ne sut comment interpréter. Bertanna l’entraîna encore une fois.
« Bon, nous avons fait le tour… allons, retournons aux fourneaux, ma sauce va finir par cramer ! »

Le jardinier s’approcha d’Adamar et siffla doucement.
« Par Crom, en voilà une qui va faire plus d’un envieux ! Ma foi, je l’emmènerais bien faire un tour dans les bois cette mignonne et pas pour chercher des champignons !
– Sûr, répliqua le forgeron. Le magicien est trop vieux pour elle, il lui faut un homme en pleine forme qui puisse la faire décoller…
– Quelqu’un comme toi, je suppose, ricana Hor’Lorf.
– Parfaitement l’ami ! Je sens déjà sa peau douce contre la mienne… mon vieux, crois-moi, rien ne vaut une jeunette pour te redonner tes vingt ans ! Ça a les seins fermes comme des fruits mûrs à point et les fesses tendues comme des tambours… Quelle croupe ma parole ! Ah mon cher, quand tu enfonces ton braquemart là-dedans, je te promets que la grotte n’est point trop évasée par l’usage et les ans !
– Et tu parles en connaissance de cause, je suppose ?
– Absolument… quand j’ai fait campagne contre les Vanirs aux côtés du roi Conan, je peux te dire que les bordeaux ont reçu mes visites plus d’une fois ! Et j’ai toujours choisi des petites jeunes bien fraîches… c’est plus cher, mais crois-moi, ça vaut la dépense. Et cette fille-là, j’en suis sûr, c’est de l’or !
– Arrête-toi ! Tu vas me donner envie !
– Eh bien, saute sur ta femme ce soir en rentrant !
– Mouais… mais c’est pas pareil ! »

Ils éclatèrent de rire, grassement en se tapant sur les épaules.

Pendant ce temps-là, les deux femmes étaient retournées à la cuisine où elles retrouvèrent Hiivsha qui tournait la sauce.
« Désertion de poste, Bertanna, en quoi vais-je vous transformer pour vous punir ? Bonjour Isil, bien dormi ? Vous êtes resplendissante… mais j’ai comme l’impression que vous allez saturer à force de compliments. A ce que je vois, Bertanna vous a exhibée tout autour de la propriété ?
– Exhibée, monsieur Hiivsha ! Certes non, protesta la cuisinière… je l’ai juste présentée à tout le monde. Il fallait bien qu’ils fassent sa connaissance…
– Et ça ne pouvait effectivement pas attendre, gronda amicalement le magicien qui riait sous cape. Vous êtes une commère Bertanna...
– Oh, s’indigna la grosse femme, une commère ?
– … doublée d’une pipelette ! Eh oui, il faut bien vous le dire, vous ne vous en rendez même pas compte. Evitez de rendre sourde cette pauvre enfant et ne laissez plus attacher la sauce… ça lui donne un goût ! »

Il fit un clin d’œil à Isil qui lui rendit un sourire et sortit tout heureux de voir le changement de physionomie de son visage par rapport à la veille.

……………………………………………

Les semaines s’écoulèrent tranquillement. Orandia était un grand village de plusieurs centaines d’habitants et très vite, avec sa gentillesse toute naturelle et sa spontanéité, Isil devint la coqueluche de ces dames, l’inspiratrice des maris, l’amie des filles de son âge et… la convoitise des célibataires, jeunes ou vieux… ainsi d’ailleurs  que de quelques hommes mariés!

Pour toutes ces raisons, Hiivsha la retenait de son mieux dans la propriété sans qu’elle ne s’en plaigne aucunement. Elle ne donnait pas l’impression de rechercher la proximité des gens et se satisfaisait des nombreux livres dont disposait la bibliothèque du magicien ainsi que de sa compagnie lorsqu’il ne s’enfermait pas dans son laboratoire.

Hiivsha était un ancien guerrier, un templier noir, qui avait abandonné le métier des armes pour vivre auprès de son épouse Aloïse. Après la mort brutale de celle-ci, il avait sillonné les contrées les plus reculées d’Hyboria, approfondissant son art déjà consommé de la magie auprès des meilleurs maîtres en la matière, et ses pouvoirs s’étaient considérablement renforcés. Puis il était revenu vivre dans son chalet, vestige des souvenirs anciens, et s’était plongé dans l’art d’élaborer des potions.
« La magie, expliquait-il à Isil en tirant de longues bouffées de sa pipe, est présente toute autour de nous. Nous baignons en elle mais seuls ceux qui la sentent et parviennent à l’apprivoiser, peuvent l’utiliser. Elle permet de modeler la matière d’une façon différente et d’accélérer parfois le cours du temps sur les organismes vivants. Il faut entrer dans une symbiose parfaite avec elle pour l’invoquer. Seule une foi très profonde dans son existence permet cette symbiose. Cette foi se cultive et de développe dans le silence et l’isolement. La méditation est un exercice essentiel pour un magicien et la haine une entrave. »

Progressivement, la jeune fille avait ouvert sa confiance à cet homme qui lui paraissait si sage et qui n’élevait presque jamais la voix. Il émanait de lui une grande force de caractère doublée d’une sérénité à toute épreuve. Sa présence était tout à la fois reposante et rassurante.

Il avait réussi à lui faire raconter sa vie, les Quatre Vallées, son périple parmi les loups… elle avait même évoqué à demi-mots ce que les Vanirs de Ragnard lui avaient fait subir… et cela avait suffi au magicien pour comprendre l’abîme de souffrance qu’elle portait au plus profond d’elle-même. Il pouvait lire dans son âme comme dans un livre ouvert lorsqu’il la regardait au fond de ses grands yeux azur et ce qu’il y voyait ne lui plaisait pas. Mais comment combattre le volcan de haine qui grondait en elle et comment éteindre le feu de la vengeance qui dévorait cette âme partie si loin de ce cœur de chair et de sang ? Il pressentait la suite qui attendait celle qu’il affectionnait déjà beaucoup, et cela lui faisait peur, car il ne savait pas comment changer ce qu’il voyait.

Isil se chargeait de nombreuses tâches ménagères avec une humeur joyeuse toujours égale et son sourire illuminait les journées du chalet et de ses travailleurs et en tout premier lieu, celles de Bertanna qui l’avait définitivement adoptée.
Profitant de l’aide du menuisier et du forgeron du village, elle entreprit de se fabriquer un nouvel arc et de nouvelles flèches. Il y avait quelques hommes qui prétendaient tous mieux tirer à l’arc les uns que les autres et ils la regardaient avec curiosité et un certain sarcasme, façonner un arc qu’ils jugeaient bien trop grand pour elle. Ils s’étonnèrent de sa manière de tresser des boyaux d’animaux pour l’encorder et prétendirent que ce n’était pas ainsi qu’il fallait procéder. Le forgeron lui-même détenait le record de précision à cent mètres et avait parié avec ses amis qu’Isil ne pourrait jamais faire mieux que lui. De fil en aiguille, la bière aidant, il avait été incité un soir à la taverne, à lancer un défi à la jeune fille et le lendemain, sous le regard amusé de ses amis, il avait maladroitement amené la conversation sur le sujet tout en ranimant sa forge.
« Isil, avait-il dit, j’ai parié que tu ne vises pas mieux que moi avec cet arc… qu’en penses-tu ? »

La jeune fille avait souri en regardant les autres qui écoutaient discrètement.
« J’en pense que tu as probablement raison. »

Dépit à la ronde, le forgeron se sentit décontenancé.
« Tu ne souhaites pas relever le défi ?
– Je ne vois pas mon intérêt là-dedans… libre à vous de parier sur ce que je sais faire ou pas… libre à moi de le montrer ou pas… »

Un murmure parcourut la petite assistance. Le forgeron insista.
« Dis-moi ce que tu veux si tu gagnes, et je m’engage à te le donner ! »

Isil tordit sa bouche en une moue tout en réfléchissant activement.
« Et si je perds ? Tu sais que je n’ai rien à te donner. Cet arc te sera payé par Hiivsha. »

Le murmure de l’entourage se transforma en petits ricanements. L’un deux s’exclama.
« Notre forgeron est célibataire… une nuit avec toi ne devrait pas être pour lui déplaire Isil !
– C’est sûr, enchaîna un autre, d’ailleurs, moi aussi je relèverais bien le défi pour la même récompense…
– Oui mais toi, t’es marié, lui rétorqua le premier au milieu des rires, alors, ta récompense, tu vas voir que c’est ta femme qui va te la donner !
– Et à grand coup de poêle ! dit un troisième. »

Les rires fusèrent. Isil regarda le forgeron droit dans les yeux.
« C’est ça que tu veux si tu gagnes ? Que je te donne une nuit ? »

Les yeux de l’homme étincelèrent à cette seule pensée et il passa sa langue sur ses lèvres desséchées.
« C’est sûr que ça m’irait…
– Oui, et à toi aussi ça ira, Isil, reprit l’homme qui avait lancé cette idée, tu verras, notre forgeron est un véritable étalon… tu ne t’ennuieras pas avec lui !
– Ce que je veux si je gagne, murmura la jeune fille les lèvres pincées… une nuit si je perds… qu’est-ce que cela m’importe en fait… au point où j’en suis… Soit, reprit-elle à haute voix, mais à la stricte condition que Hiivsha ne sache rien de ce pari… sinon, je laisse tomber. »

Un nouveau murmure, puis quelqu’un repris sur un ton de comploteur.
« C’est d’accord, Isil, Hiivsha n’en saura rien… d’ailleurs, il vaut mieux qu’il n’en sache rien… il serait capable de nous transformer en crapauds pour t’en empêcher ! »

Le petit cercle éclata de rire.
« Soit, dit Isil. J’accepte. »

Satisfaction générale. Le forgeron demanda.
« Et si tu gagnes, que voudras-tu ?
– Je veux la meilleure épée que tu puisses forger dans ton métal le plus solide. »
Les hommes sifflèrent doucement.
« Houlà, dit l’un, ça rigole pas… Isil serait donc une guerrière ? Tu sais donc manier l’épée ?
– Je me défends très honorablement, surtout quand il faut tuer mon ennemi… »

Silence dans l’assemblée étonnée par la froideur de son propos.
« … mais je suis bien meilleure à l’arc, acheva-t-elle. »

Le forgeron se gratta la tête tandis qu’un de ses amis lui lançait.
« Dis donc, Adamar… tout compte fait, tu l’as peut-être pas encore dans ton lit la petite, hein ? »

Ils éclatèrent joyeusement de rire lorsqu’une femme passa par là.
« Eh vous, les hommes, qu’est-ce que vous complotez tous autour de notre Isil… vous ne pouvez donc pas lui lâcher la tresse ?
– On ne complote rien, protesta le mari de la passante, elle nous racontait juste ses aventures dans la forêt.
– Eh bien, quand elle aura fini, tu pourras rentrer à la maison… y’a toujours le toit à réparer, fainéant ! »

Et sous les quolibets, l’homme battit en retraite en adressant un clin d’œil complice à Isil.

Il fut décidé que le défi aurait lieu le lendemain dans un pré à l’opposé du village, au centre duquel trônait un chêne séculaire dont les glands avaient parait-il des propriétés curatives quasi-magiques. Le petit groupe entourant Isil se faufila discrètement par des sentiers détournés pour échapper aux regards, à commencer par celui de leur épouse respective. Les plaisanteries allaient bon train, pas toujours de bon goût mais au fond pas méchantes et Isil n’en avait cure. Elle savait désormais ce que valaient les hommes et ce qu’ils pensaient des femmes, se disant qu’au moins les animaux suivaient leur instinct sans prétendre à l’intelligence.

Arrivé à une centaine de mètres du chêne, on alla placer sur le tronc une petite cible ronde de la taille d’une grosse pomme au centre de laquelle était dessiné un petit rond noir d’un centimètre de diamètre. Il fallait avoir de bons yeux pour apercevoir la cible, mais pour parvenir à discerner son centre, un regard d’aigle s’avérait indispensable ! Quant à la toucher avec un arc, cela nécessitait une adresse, que seul Adamar dans tout le village possédait. Plus que de l’adresse même, c’était un sens inné du tir à l’arc qu’on se devait de posséder pour réussir cette prouesse !
« Le duel se fera en trois points gagnants… expliqua Gondull, le menuisier. C’est simple, vous tirez chacun une flèche. Le plus proche du point noir marque un point. Si une flèche ne se fiche pas, ou ne reste pas fichée dans le tronc à l’issu de chaque tour de tir, elle ne sera pas comptabilisée. Le premier à arriver à trois points gagne le duel. Si Isil gagne, Adamar lui forgera son épée et on veillera à ce que cela soit une vraie belle épée… si elle perd, elle devra passer toute une nuit avec lui en acceptant à l’avance toutes ses fantaisies ! »

Il y eut quelques ricanements évocateurs. Chacun fantasmait à qui mieux mieux à cette idée-là. Le menuisier reprit en regardant la jeune fille.
« Nous sommes tombés d’accord pour te laisser choisir de commencer ou pas… Vous alternerez par la suite à chaque fois.
– Je laisse à Adamar le soin d’ouvrir les hostilités, répondit simplement Isil. »

Tous se placèrent de part et d’autre d’une ligne imaginaire  reliant les tireurs au chêne, en s’écartant suffisamment pour ne pas risquer de prendre une flèche perdue.

Adamar prit une grande inspiration, banda son arc et tira. La flèche se ficha sur le bord de la cible. Il fit un clin d’œil à Isil tandis qu’elle l’imitait. Sa flèche rasa le tronc et se perdit dans le pré.
« Pas très précis ton arc, se moqua Adamar. Un point pour moi. »

Isil ne répondit rien et se contenta de procéder à quelques réglages sur son arc en tendant un peu plus la corde tandis que le menuisier enlevait la première flèche du tronc. Puis elle engagea une autre flèche et tira. Le trait se ficha dans le tronc à quelques centimètres de la cible.
« Tu te rapproches, ricana le forgeron… dépêche-toi de faire mieux si te ne veux pas avoir à te dévêtir devant moi ! »

Il tira et sa flèche se figea dans la cible.
« Et de deux ! »

Gondull enleva les flèches et Adamar tira une nouvelle fois sensiblement au même endroit. Isil lâcha à son tour un nouveau trait qui se ficha aussi dans la cible. Difficile d’où ils se tenaient de dire laquelle était la plus près.
« Tu es à moi Isil, s’exclama Adamar avec gourmandise. Ma belle, je te promets une nuit mémorable ! »

Le menuisier mesura les distances et montra la flèche de la jeune fille en levant la main.
« Tu chantes trop vite victoire, forgeron ! répliqua-t-elle sèchement. Tu ne me tiens pas encore dans tes bras ! À moi à présent ! »

Bandant son arc elle respira lentement, bloqua sa respiration et tira. La pointe vint se ficher à un centimètre du point central soulevant l’acclamation des spectateurs.

Elle resta silencieuse tandis que le forgeron prenait son tour, dépité. Sa flèche s’enfonça dans l’écorce bien au-dessous de la cible.
« Deux partout, cria Gondull. Dernière flèche ! »

Le forgeron prit son temps, observa les arbres pour vérifier le vent et tira. Un cri jaillit de l’assemblée. Il venait de perforer le point noir au centre exact de la cible. Il jeta son arc en signe de victoire et attrapa Isil par la taille en la faisant virevolter dans les airs.
« J’ai gagné, à moi, tu es à moi ma mignonne ! Viens, n’attendons pas la nuit… Je t’emmène ! »

Isil se débattit vigoureusement.
« Eh, attends, je n’ai même pas tiré ma flèche ! Lâche-moi goujat, pose-moi par terre !
– Bon,  bon, comme tu voudras ma petite chatte… répondit-il en s’exécutant. Inutile de sortir les griffes… j’attendrai donc que ta défaite soit consommée… avant de te consommer toi ! »

Elle se remit en position. Le forgeron caressa ses fesses en lui murmurant à l’oreille.
« Tu peux serres les cuisses autant que tu voudras, ma belle, je saurais bien te les faire écarter le moment venu ! »

Elle le fusilla du regard.
« Enlève tes mains de mon cul, forgeron, ou par Mitra, c’est dans l’œil que je te plante cette flèche ! »

Il n’insista pas et recula d’un pas. Très lentement, elle banda son arc en prenant la visée. Elle ferma les yeux et respira lentement, très lentement. « La magie est présente tout autour de nous mais seuls ceux qui la sentent et parviennent à l’apprivoiser, peuvent l’utiliser », avait dit le magicien. Elle voulait la sentir en elle… Elle tira sans rouvrir les yeux.

De grands cris s’élevèrent alors, tandis que tout le monde se précipitait vers le chêne pour voir le prodige. La flèche d’Isil avait taillée en deux l’empennage de celle d’Adamar pour prendre sa place au centre de la cible et l’avait fait littéralement exploser la projetant à des mètres de l’arbre en deux morceaux symétriques. Le forgeron incrédule se précipita vers l’arbre suivi d’Isil qui fut bientôt portée en triomphe par les spectateurs ravis de ce tour de force.
« Bravo ! criaient-ils, quel prodige… Isil, c’est bien toi la meilleure… Une archère extraordinaire… Elle a gagné… »

Gondull regarda son ami partagé entre l’admiration et la déception d’un rêve qui s’envolait.
« Es-tu d’accord pour déclarer Isil gagnante ? lui demanda-t-il. »

Le forgeron regarda la jeune fille que les autres faisaient sauter en l’air comme un fétu de paille en applaudissant et en riant à gorges déployées.
« Au secours, riait-elle également, posez-moi… vous allez finir par me faire tomber ! »

Ils réfrénèrent un peu leur enthousiasme et la remirent sur ses deux jambes face à son adversaire tout émerveillé. Elle le regarda en refermant sa tunique largement débraillée, au grand dam de ses admirateurs. Adamar lui adressa un large sourire.
« Bravo, je m’incline, dit-il sans arrière-pensée. C’est toi la meilleure ! Tu viens de m’épater, j’avais encore jamais vu un truc comme ça… tu mérites vraiment l’épée que je vais te forger… bien que je regrette le bon temps que nous aurions pu avoir tous les deux. Je t’aurais donné beaucoup de plaisir tu sais… »

Adamar la prit par les épaules et l’embrassa sur les joues sans qu’elle songe à protester tandis qu’elle en profitait pour lui murmurer à l’oreille.
« Je suis désolée pour toi… mais je sais que je ne suis pas encore prête pour cela ! »

La tonalité grave avec laquelle elle venait de lui adresser cette confidence le fit la regarder dans les yeux et il y entrevit passer un nuage sombre. Le forgeron ressentit un petit pincement au cœur en se rendant compte, sans trop savoir pourquoi, que s’il l’avait prise, il lui aurait fait sans nul doute plus de mal que de bien...
« Dorénavant, dit-il, si tu as le moindre problème, tu peux compter sur moi, si tu veux bien m’accepter comme ami ! »

Et tous de reprendre en chœur la même formulation.
« Merci, je vous accepte alors comme mes amis, répondit Isil touchée par leur attitude franche et sincère. Maintenant, allons boire de la bière à la taverne… je me débrouillerai pour payer l’aubergiste d’une façon ou d’une autre !
– Et quoi encore, protesta le menuisier ! Pas question que tu doives quoi que ce soit à ce gros cochon de tavernier, il serait capable d’en profiter et te faire visiter son arrière boutique ! Non, c’était moi l’arbitre… c’est moi qui paye la tournée générale ! »

Et sur les exclamations provoquées par l’idée d’une bonne bière moussante dévalant l’à pic de leur gosier, toute la petite troupe reprit le chemin du village sans plus chercher la discrétion sur son passage.


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Dernière édition par Hiivsha le Lun 7 Oct - 23:14, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeVen 23 Aoû - 21:59

Tout copié depuis le chapitre8 avant lequel j'avais interrompu ma lecture... Pour le moment, j'ai un gros morceau de Mitth à lire... alors je vais très certainement cumuler quelques autres chapitres avant de bétalire la suite de l'archère.
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 7 Oct - 23:12

Bon, les vacances se terminant, il faut que je reprenne tout cela, mon roman SW ainsi que la publication de celui-ci.
Voici donc, s'il y a toujours des lecteurs, la suite de l'Archère ! :)

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14 - La Fête Des Vendanges


« C’est une fort belle épée que tu ramènes là, Isil, observa Hiivsha les sourcils froncés. »

Le jeune fille lui tendit l’arme afin qu’il puisse l’observer. Il la fit tournoyer plusieurs fois à droite et à gauche de son corps d’un poignet agile avant de la caresser longuement d’une main experte. La lame fendit l’air en sifflant.
« Adamar s’est surpassé. Une épée comme cela, vaut une véritable petite fortune pour des gens comme nous… je ne te demande pas comment tu l’as obtenue. »

Il lui rendit l’épée d’un air contrarié. Isil regardait ses pieds comme un enfant en faute.
« C’est un cadeau de sa part, murmura-t-elle.
– Un très beau cadeau en effet. Tu en as de la chance. Ne l’aurais-tu pas plutôt gagnée en te mesurant à l’arc avec lui ? »

Isil frappa du pied par terre en soufflant.
« Pfff… Pourquoi me le demander puisque tu sembles toujours tout savoir sur ce qui se passe ici !
– C’est vrai, je suis au courant de bien des choses… Il suffit d’écouter et d’observer… Un peu de magie peut parfois se montrer également utile pour cela, ajouta-t-il d’un air mystérieux.
– Cette épée, je l’ai gagnée !
– Mais si tu avais perdu ? ronchonna le magicien.
– Eh bien quoi ?
– Tu le sais très bien, Isil. Cherches-tu à te faire plus de mal que tu n’en as déjà eu ?
– Je me moque éperdument de ce qu’on peut me faire maintenant.
– Pourquoi ? dit sévèrement Hiivsha. Quel sens cela a-t-il ? Jusqu’où iras-tu pour te punir de ce dont tu n’es pas responsable ? Jusqu’à ta destruction complète ? »

Elle baissa la tête.
« Qui peut donc s’inquiéter que je me détruise ou pas ? »

Le magicien s’approcha tout près d’elle et la saisit vigoureusement par les épaules.
« Crois-tu que parce que tu as renoncé à aimer ce que tu es, personne d’autre ne peut t’aimer ? Regarde-moi dans les yeux. »

Il lui prit le menton dans une main pour la forcer à relever la tête.
« Ne vois-tu pas que tu comptes pour d’autres personnes ? Pour des gens qui ne veulent pas te voir t’anéantir ? Je sais ce qui se passe au fond de toi ! Je lis la haine qui te consume et ton désir de vengeance qui s’exacerbe chaque jour un peu plus. Tu es partie sur un chemin obscur qui te mènera au néant, facile à descendre mais, ô combien plus difficile à remonter… plus tu t’enfonceras dans ce gouffre, plus il te sera difficile de revenir vers un chemin de clarté et de vérité ! »

Une petite larme coula sur la joue de la jeune fille et elle demanda les lèvres tremblantes.
« Pourquoi te préoccupes-tu de moi ? Il ne faut pas m’aimer, je te détruirai !
– C’est un choix qui m’appartient, et je suis plus solide et plus coriace que tout ce que tu pourras supposer à mon égard. »

Hiivsha lui embrassa le front puis le sourire lui revint.
« Allons, sèche tes larmes… et viens dans le pré me montrer ce que tu sais faire avec cette superbe épée. »

Joignant le geste à la parole, il se rendit devant un placard scellé dans le mur et ouvrit, avec une petite clé qu’il conservait autour de son cou, une épaisse porte d’acier derrière laquelle se trouvait un objet long enveloppé dans un épais tissu noir cerclé de courroies de cuir, qu’il posa sur la table. Ayant défait les liens, il déroula l’ensemble et en extirpa une longue épée à deux mains, forgée dans un acier sombre aux reflets bleu nuit, dotée d’une poignée noire et d’une garde argentée garnie de crocs recourbés.
« Voici, Talmira, l’épée des étoiles, une amie fidèle et quelque peu oubliée ces derniers temps au profit de mon bâton. Allez, suis-moi ! »

Sous les yeux médusés de Bertanna, ils se rendirent au milieu du pré et Hiivsha se mit en garde.
« Vas-y, frappe ! »

Isil obtempéra et tailla de droite puis de gauche. Les épées tintèrent et résonnèrent comme du cristal. Hiivsha parait les coups de son élève avec une apparente désinvolture sans même sourciller.
« Plus haute ta garde jeune fille, avance ton pied… bouge tes hanches en pivotant… méfie-toi de ton adversaire quand il semble dormir… »

Il agrippa avec un crochet de sa garde l’épée d’Isil qui s’envola dans les air pour retomber dans sa main libre. Il croisa les lames et saisit le cou de la jeune fille dans le piège mortel.
« Crac ! Décapitée ! Ne perds jamais la tête dans un combat, car si cela t’arrivait tu n’aurais pas de seconde chance. Tu ne tiens pas ton épée assez fermement et tes attaques sont bien trop prévisibles… tes coups ne sont pas assez variés, je vais t’en apprendre d’autres bien plus efficaces… mais cela va te demander de longues semaines d’entraînement ! Aussi, dorénavant, chaque matin je te donnerai une leçon une heure après le lever du soleil.
– Si tôt ? protesta Isil… mais j’aime me lever tard…
– Ne sais-tu pas que l’avenir appartient à qui se lève de bonne heure ? Aussi, toi, tu te lèveras avec le soleil et tu courras autour de cette prairie pendant une heure… Ensuite, je viendrais pour la leçon.
– Une heure à courir ? Mais pourquoi ?
– Ne prends pas cette mine désespérée ! Un guerrier doit avoir de l’endurance et combattre à bout de souffle. Au bout d’une heure tu entameras ton entraînement avec moi… je serai frais et dispo… Le jour où tu parviendras à me battre dans ces conditions, ta formation sera finie ! »

La jeune fille se laissa tomber sur ses genoux dans l’herbe.
« Mais tu veux ma mort ou quoi ? implora-t-elle…
– Cesse de gémir comme une fille ! Guerrière tu veux être, guerrière je ferai de toi si tu m’obéis sans discuter. Je vais te procurer un bouclier, tu en auras besoin.
– Un bouclier ? Pour apprendre à manier l’épée ?
– Que nenni ! Le bouclier c’est pour courir avec, autour de la prairie pendant une heure… avec ton épée !
– Aaaaahhhhh ! »

Isil se laissa tomber en arrière les bras en croix sous le sourire moqueur du magicien.
« Je suis déjà morte ! marmonna-t-elle en expirant bruyemment. »

……………………………

L’été prenait fin et les arbres se paraient d’or et de feu. Les vendanges des nombreuses vignes qui émaillaient la région d’Orandia se terminaient. Isil avait pris part à cette dure mais sympathique activité comme beaucoup de jeunes gens du village et piétinait comme les autres filles, les grappes assidûment à demi vêtue, sous l’œil admiratif des garçons.

Traditionnellement, la fin des vendanges était marquée par une grande fête courue de tous les environs, autour d’un grand banquet, de jeux divers et variés et qui s’achevait par un bal qui durait jusqu’au matin. Souvent, il arrivait que des couples se fassent – et même se défassent – à cette occasion, propice aux échappées à deux ou plus dans les granges et les bois tous proches. Le vin aidant, l’heure n’était plus à la sagesse et beaucoup de jeunes filles avaient connu leurs premiers émois cette nuit-là, dans les bras de galants ou les étreintes d’hommes plus âgés à l’insu de leurs épouses, parfois avec leur participation. Dans certaines maisons, la nuit se terminait en orgies qui n’étaient pas du goût de tout le monde.

Ces libations ne faisaient pas l’unanimité et les prêtres de Mitra du petit temple construit sur la route du sud, jugeaient sévèrement ce qui, pour eux, n’était que dépravations qui rabaissaient l’homme au rang de l’animal et l’éloignaient des dieux. Certaines personnes qui avaient voyagé, leur objectaient qu’en Stygie, le culte de Seth était copieusement ponctué de telles fêtes où les vierges consacraient à leur dieu la perte de leur virginité, parfois même dans les bras des prêtres et prêtresses des temples. Ces divergences alimentaient de laborieuses discussions et des débats houleux pour peu qu’elles éclatassent après un repas bien arrosé, et faisaient la joie d’orateurs nés en manque de public.

Depuis la mort de sa femme, Hiivsha ne participait plus à cette fête, préférant la quiétude de son chalet au brouhaha du village, aux éclats de voix avinées et à la musique forte et souvent fausse des musiciens d’occasion. Pourtant, cette année-là, il décida d’y accompagner Isil à la grande surprise des villageois qui désespéraient le revoir un jour venir s’amuser au milieu d’eux. Des mauvaises langues prétendirent qu’il ne voulait pas laisser la jeune fille y aller seule de peur qu’elle ne se trouve un amoureux. C’était sans doute en partie vrai, bien que tout le monde connaissait désormais le tempérament d’Isil, ainsi que sa dextérité pour les armes, ce qui dissuadait les hommes trop entreprenants de lui causer des problèmes.

La matinée fut propice aux jeux et Isil gagna la course de sacs mais se retrouva dans la mare couverte de boue en tentant de monter un porc sauvage ce qui lui valut un détour par la rivière pour se laver puis par le chalet pour échanger sa tunique contre une jolie robe rose brodée, courte et échancrée qui lui dénudait tout le dos jusqu’à la taille. Au tir à l’arc, Adamar espérait une revanche qui ne vint pas à son grand désespoir et il ne se risqua pas à défier Isil à l’épée, l’ayant vue s’entraîner avec le magicien de nombreuse fois, ce qui lui avait permis d’évaluer sa grande valeur. Pour lui c’était clair, cette fille était faite pour combattre et non pour rester dans une ferme à élever des enfants. Il n’en demeurait pas moins qu’il espérait pouvoir un jour, sinon la conquérir, du moins la posséder, ne serait-ce qu’une heure… comme bon nombre d’hommes du village d’ailleurs.

Hiivsha avait remporté un jambon au lancer d’anneaux autour des cornes d’un jeune taureau, mais quelques esprits chagrins envisagèrent la possibilité que ses talents de magicien y soient pour quelque chose. Pour le banquet, le magicien considéré comme un notable, s’était retrouvé à la droite du chef du village, un gros bonhomme bien rougeaud dont la bouche pleine de chicots faisait frémir au moindre sourire. D’immenses tables recouvertes de longues nappes blanches avaient été dressées sur la place du village, protégées par de grandes toiles de tentes. Le service était assuré par des femmes mariées qui allaient et venaient, portant plats, pichets de vin, pain, fromages, fruits… aux convives soigneusement alternés filles et garçons, hommes et femmes afin de favoriser les rencontres et disséminer soigneusement les clans. Non loin du magicien, Isil s’était retrouvée entre deux célibataires bien bâtis et plus qu’entreprenants, qu’elle avait un mal fou à garder à distance, notamment sous la table. En face d’elle, Adamar ne perdait pas une occasion pour la faire rire tout en jouant de la jambe contre la sienne.

Le soir tombait et le repas n’en finissait pas de durer lorsque les musiciens commencèrent à faire chauffer leurs instruments à cordes et à vent. Isil ôta pour la troisième fois la main que son voisin de droite avait glissée entre ses cuisses en le foudroyant du regard, tandis qu’il se penchait vers son oreille d’une voix un peu pâteuse.
« J’aime ton regard Isil quand t’es pas contente… pourquoi tu ne me laisses pas te chauffer un peu hein ? Toutes les filles aiment ça… regarde la Navia là-bas comme elle se trémousse sur son banc... C’est le Tomois qui lui fait cet effet-là… paraît qu’il est expert de ses doigts…
– Fais attention, Lasmer, si tu t’avises encore de glisser ta main là où tu sais, je te jure que tu n’auras plus l’occasion de fourrer tes doigts nulle part ! menaça-t-elle en serrant les dents.
– Oh ça va bien ! répondit-il en remettant sa main sur la nappe sous le regard moqueur d’Adamar qui n’en perdait pas une miette. T’es sûre que t’as pas un problème avec les hommes, Isil ?
– Peut-être que notre jolie blonde préfère les caresses des femmes, renchérit Therel, son voisin de gauche.
– Fichez-lui la paix, trancha fermement le forgeron. Vous n’êtes que deux gros lourdauds… et puceaux avec ça !
– Puceaux ? protestèrent-ils presque en chœur… qu’est-ce que tu en sais Adamar ?
– C’est ce que disent toutes les filles d’ici en tout cas… du moins en ce qui concerne Lasmer ! »

Le garçon rougit.
« Te vanterais-tu d’avoir eu les confidences de chaque femme du pays ? »

Adamar se recula sur son banc en bombant le torse.
« Plus que tu ne peux le penser en tout cas mon petit ! ricana-t-il. »

Puis, redevenu sérieux en un instant, il fixa Isil avec insistance.
« Il n’y en a qu’une dont je ne connais pas les pensées… qu’y a-t-il derrière cette façade impénétrable Isil, quel secret portes-tu ? Tu ne nous as jamais vraiment parlé de toi…
– Et je ne vais pas commencer maintenant, souffla-t-elle en soutenant son regard. Tu devras te contenter des secrets de tes pouliches !
– Il n’y a pas besoin de connaître les secrets des filles pour coucher avec, objecta Therel en lorgnant à l’intérieur du décolleté.
– Tu ne comprends rien aux femmes, je te l’ai déjà dit… pas plus en tout cas que ton copain Lasmer, reprit Adamar, vous êtes trop jeunes… ce dont vous avez besoin, tous les deux, c’est d’une bonne prostituée pour vous déniaiser… la prochaine fois qu’on ira à Tarentia, je vous emmènerai avec moi… je connais quelques bonnes adresses ! Isil c’est tout autre chose… j’ai envie de tout connaître d’elle ! Quand me raconteras-tu ta vie ma jolie ? »

Elle soupira l’air las et haussa les épaules sans répondre. Lasmer s’exclama.
« Ah ! Adamar et ses bordels ! Toute une légende ! Sans doute aussi vraie que ses campagnes militaires aux côtés du roi Conan ! »

Un éclair de colère passa dans les yeux du forgeron.
« Il n’y a aucune légende là-dedans… trancha-t-il en élevant la voix et si tu n’étais pas ivre, je te ferai rendre gorge de cela ! Oui j’ai combattu avec Conan, et plusieurs fois, contre les Pictes, les Némédiens et les Vanirs de la Légion Noire !
– Celle qui avait un dragon comme emblème ? coupa Therel.
– L’armée de Ragnard ? demanda un homme plus âgé un peu plus loin. »

Hiivsha, qui était en train de converser avec le chef, dressa subitement l’oreille en fronçant ses sourcils. Du coin de l’œil, il observa Isil qui avait blêmi. Elle demanda à son tour.
« Tu as combattu Ragnard ? Par Mitra ! Quand et où était-ce ? »

Adamar s’interrompit l’air interloqué devant l’expression de visage de la jeune fille. Sans savoir pourquoi, il savait qu’il venait d’entrouvrir une porte dans son passé, et la piste valait peut-être le coup d’être suivie habilement.
« Oh, fit-il avec un geste évasif, c’était avant qu’il ne soit vaincu par Conan.
– Raconte !
– Quel intérêt ? En quoi cela t’intéresse-t-il ? Tu connais ce Ragnard ? »

Isil ouvrit la bouche pour répondre et la referma sans rien dire. Le magicien n’écoutait plus le chef qui lui racontait des histoires parfaitement inintéressantes et se concentrait sur la conversation qui avait lieu un peu plus loin. Les gens commençaient à se lever pour participer à des danses et la nuit était discrètement tombée pendant que les femmes allumaient de grandes torches tout autour de la place.
La jeune fille prit un air faussement détaché.
« Non… c’est juste que… mon père m’en a déjà parlé…
– Ton père, ironisa Adamar… ainsi Isil a un père ? Et où vit-il ?
– Il est mort, il y a quelques temps déjà… aucune importance, parle-moi de ce… Ragnard… »

Adamar la regarda comme un chasseur évalue sa proie. La façon dont elle avait prononcé le nom du chef de guerre vanir semblait trahir bien autre chose qu’un vague souvenir de conte qu’un père raconte à son enfant. Il était certain de détenir quelque chose qui intéressait la jeune fille au plus haut point et il avait bien l’intention d’en profiter et de monnayer ce qu’il savait au prix fort.

Posant ses deux mains à plat sur la table, il lui sourit.
« J’ai envie de danser et je veux que tu danses dans mes bras… tu viens Isil ? »

Sans se préoccuper du regard dépité de Lasmer et de son ami Therel, elle se leva et après avoir effectué le tour de la table, elle suivit Adamar vers l’endroit où les villageois dansaient en riant et en frappant dans leurs mains. De sa table, le magicien, plus préoccupé que jamais, ne les perdait pas des yeux tandis que le chef lui secouait le bras.
« Hé, Hiivsha, vous m’écoutez ? Vous paraissez bien distrait… »

Le regard sombre du magicien se posa sur lui et s’adoucit pour donner le change.
« Oui, oui, répondit-il… je vous écoute Balgoff… vous me disiez que vos pieds vous font souffrir… Eh bien, passez donc à mon chalet un de ces jours, je vous donnerai une potion qui vous soulagera.
– Ah cher ami, que ferions-nous sans vous ? »

Adamar tenait Isil par la taille et la faisait sauter dans ses larges mains en la lançant dans les airs pour qu’elle effectue un tour complet au rythme de la musique enivrante. Les gens criaient et riaient de bon cœur. Les échos de la fête s’échappaient dans la nuit et résonnaient vers les montagnes au-delà desquelles se trouvaient les plaines mortes des Quatres Vallées. Le souffle court, la jeune fille se laissa tomber dans les bras de son cavalier. Par-ci, par-là, des groupes de jeunes gens s’évadaient de la place pour se réfugier dans des coins plus intimes ou dans quelque confortable maison pour s’y adonner à quelques heures de plaisirs en commun.
« Je suis morte, dit-elle le souffle court… ces danses locales sont exténuantes ! »

Le forgeron sentait que son heure était venue. Isil était dans ses bras, le dos frémissant contre son torse et il pouvait respirer délicieusement son odeur en se réjouissant de pouvoir sentir battre son cœur à travers sa poitrine qu’il pressa discrètement de ses mains, sans que la jeune fille ne réagisse. C’était bon signe. Il se risqua à lui embrasser la nuque tout en continuant à lui prodiguer des caresses sous la robe. Isil tourna légèrement la tête en arrière et ses lèvres gobèrent les siennes. Il l’embrassa avidement sans aucun mouvement de protestation de sa part. Le forgeron était aux anges et sentait déjà tout son être se tendre d’excitation. N’en pouvant plus, il l’entraîna dans un coin obscur et la plaqua contre un petit mur de pierres moussues.  Passant alors une main dans le décolleté de la robe, il s’empara d’un sein et le pétrit avec délectation tout en glissant l’autre main entre ses cuisses. Isil, parvint à décoller un peu sa bouche de celle de l’homme et murmura.
« Pas comme ça, pas ici… attends un peu… »

Il la lâcha et la prit par la main.
« Pas question d’attendre… allons chez moi !
– Non, résista Isil, je ne veux pas me retrouver seule chez toi…
– Bon alors, allons chez Besser, notre libertin de service, il doit bien y avoir dans sa maison vingt personnes en train de se livrer à toutes les fantaisies dignes d’une fête comme celle-ci… mais tu risques ne pas avoir que moi à supporter… tels que je connais ses amis, ils voudront tous épuiser tes faveurs et goûter à tous tes charmes d’ici le lever du soleil et rien ne les retiendra ! Alors que chez moi…
– Bon, comme tu veux… chez toi si tu le désires… mais avant, parle-moi de ce Ragnard que tu as combattu. »

Il relâcha un peu son étreinte et ricana.
« Tu as de la suite dans les idées… pour un peu je pourrais penser que tu te livres à moi juste pour que je te dises ce que je sais sur cet homme ? »

Isil prit une pose provocante.
« Et après ? C’est bien moi que tu veux ? Peu importe la raison pour laquelle j’accepterais de me donner à toi non ? Profites-en, je pourrais bien changer d’avis. »

Le forgeron se gratta la nuque d’un air perplexe.
« Si je te dis tout ce que je connais de cet homme, tu me diras pourquoi tu veux le savoir ?
– Non, répondit-elle en secouant la tête, si tu me racontes tout ce que tu sais sur lui, je te livre mon corps pieds et poings liés et tu en feras ce que tu voudras… mais mon âme restera à moi… intacte… »

Il fronça les sourcils ne parvenant pas à comprendre le discours, mais la perspective de plier ce superbe corps à ses quatre volontés, et l’idée des scènes osées qu’il entrevoyait déjà de partager avec la jeune fille, l’emporta sur la curiosité.
« Jure-moi qu’après t’avoir tout dit de ce que je sais, tu accepteras à ton tour sans discuter, tout ce que j’aurais envie de faire avec toi !
– Je le j… »

Isil ne put terminer sa phrase car un vent glacé parcourut subitement la petite impasse dans laquelle ils se trouvaient et instantanément les haies, la mousse et les feuilles des arbres se recouvrirent d’une épaisse pellicule de givre. La température tomba en un instant bien en dessous de zéro et tous deux se mirent à grelotter fortement en regardant tout autour d’eux, sans comprendre ce qui se passait. Au bout de l’impasse, légèrement dans l’ombre, une grande et puissante silhouette se dessinait et Hiivsha s’avança vers eux en tenant levé son bâton au sommet duquel la pierre bleue brillait d’étranges éclats. Il émanait de son visage un inquiétant reflet sombre très particulier qui empêchait de bien le distinguer. D’une voix étonnamment chaotique et résonnante, il s’adressa au forgeron qui tremblait irrésistiblement de froid à l’instar d’Isil.
« Adamar ! Laisse cette jeune fille tranquille et retourne chez toi ! »

Comme subjugué, l’homme s’éloigna d’une démarche hésitante, sans ouvrir la bouche. Le magicien baissa son bras et la pierre perdit son éclat tandis que son visage redevenait normal en même temps que la température de l’air. Il s’approcha tout près d’Isil furieuse.
« De quel droit interviens-tu dans mes affaires, cria-t-elle. Il allait me parler de Ragnard et toi… toi… oh ! »

Elle frappa plusieurs fois le sol d’un pied rageur.
« Je te déteste ! »

Il l’attrapa par la main et la traîna derrière lui sans plus dire un mot en l’obligeant à prendre le chemin du chalet. Quand ils se furent éloignés du village, il la lâcha et elle se frotta le poignet.
« Tu m’as fait mal, se plaignit-elle.
– Je suis désolé, répondit-il, mais je pensais qu’une guerrière comme toi avait son poignet plus solide. »

Elle grommela quelque chose d’inaudible.

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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeMer 9 Oct - 8:49

Retard rattrapé.

Encore une fois, toujours aussi plaisant à lire, les chapitres se suivent sans jamais se ressembler.Wink 

Une nouvelle vie commence pour Isil, prête à tout pour se donner les moyens de sa vengeance... dont on commence à reparler. L'intrigue principale se réinvite dans l'histoire, et on sent bien que les choses sérieuses sont pour bientôt : le calme avant la tempête.
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 14 Oct - 15:49

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15 - La route de Tarentia


Ils marchèrent en silence, lui devant, elle à trois mètres derrière, la tête baissée, donnant ça et là quelques coups de pied dans des pierres qu’elle envoyait rouler au loin. Sa colère était retombée mais elle ne voulait pas l’avouer malgré un sourire furtif qui se dessinait de temps en temps sur ses lèvres. Le magicien restait silencieux, l’air préoccupé, les sourcils froncés, le visage sombre. Le moment qu’il redoutait était arrivé et son cœur était blessé de l’avenir qu’il entrevoyait déjà.

Arrivé dans la maison, il lança sa cape sur un fauteuil.
« Assieds-toi, ordonna-t-il l’air bougon. »

Isil obtempéra, sentant que ce n’était pas le moment de le contrarier.
« Je vais te parler de Ragnard, puisque c’est ça que tu veux… et sans que tu ais besoin de te prostituer pour cela ! »

Le ton était cassant, incisif et dénotait une légère blessure. La jeune fille gardait la tête baissée sur sa chaise.
« Tu connais Ragnard et tu ne m’as rien dit quand je t’ai raconté ce qu’il avait fait à mon peuple ? marmotta-t-elle entre ses dents. »

Hiivsha écarta les bras puis les laissa retomber bruyamment et s’assit en face de sa protégée.
« Je ne voulais pas t’en parler… je ne souhaitais pas qu’on t’en parle… il y a des blessures qui ont besoin de cicatriser et j’avais espéré parvenir à guérir les tiennes.
– Je ne pourrai jamais guérir…
– C’est faux, on peut guérir de tout… simplement il faut le vouloir et dans ton cas, il te faut beaucoup d’amour.
– Je t’ai dis qu’il ne fallait pas m’aimer.
– Et tu sais ce que je t’ai répondu… écoute, je suis plus vieux que toi mais pas suffisamment pour être ton père… ou alors si je t’avais eu très jeune… mais peu importe ! Dès que je t’ai aperçue, j’ai souhaité que tu restes ici avec moi…
– Parce que je suis jolie ? ironisa-t-elle… Tu me vois comme un objet décoratif ou comme une jolie fille à coucher dans ton lit… comme tous les autres ?
– Ne sois pas blessante inutilement… T’ai-je jamais touchée autrement qu’avec une grande affection ? T’ai-je jamais demandé de partager ma couche, de faire l’amour avec moi ? Parce que tu es jolie dis-tu ? Certes, oui, tu es la femme la plus adorable, la plus belle que je n’ai jamais rencontré… même mon épouse l’était moins que toi, ce qui ne m’a pas empêché de l’aimer profondément et sans faille ! »

Il se leva et fit quelques pas dans la pièce.
« L’amour ne se commande pas. Il prend ! Il arrive d’on ne sait où, du plus profond de ce que l’homme a de meilleur en lui… l’amour c’est comme la magie… on peut le chercher mais c’est lui qui vous trouve. Je ne sais absolument pas ce qu’il en aurait été si tu avais été différente… c’est un vain débat… le présent est là et je souhaiterais tant que tu deviennes ma femme ! »

Il s’arrêta le dos tourné à la jeune fille dont il sentit le poids du regard.
« Ta femme ? répéta-t-elle dans un murmure… c’est la plus jolie chose qu’on m’ait dite depuis longtemps… »

Elle se leva et alla jusqu’à lui, le força à se retourner pour lui prendre les mains.
« Mon dieu, dit-elle, tu m’aimes je le sens…
– Et toi, m’aimes-tu ?
– Je ne sais pas… je te suis reconnaissante de m’avoir accueillie comme ta fille et j’aime toutes les qualités que tu portes en toi… j’aime ce que tu es… je te sens fort, tu me rassures lorsque tu es là… j’aime ton humour, tu parviens si facilement à me faire rire… je suppose que c’est bien assez pour devenir ta femme… »

Elle s’arrêta et baissa les yeux.
« Mais… continua-t-il.
– Mais c’est trop tard maintenant… hier encore, j’aurais peut-être dit oui…
– Et aujourd’hui que tu as retrouvé l’espoir de remettre la main sur ce vanir, tu ne souhaites plus qu’une chose : savoir où le débusquer pour te venger ! C’est cela Isil ? Tu vas laisser tes sentiments obscurs t’emporter dans ce gouffre sombre, vide d’amour et d’espoir ? »

Elle lui lâcha les mains et se retourna. Il ajouta.
« Tu comprends pourquoi je ne t’ai jamais parlé de Ragnard ? »

Elle fit oui de la tête. Il souffla de désespoir et se laissa tomber dans un fauteuil.
« Il n’y a pas que Adamar qui a combattu aux côtés de Conan… Il y a de cela pas mal d’années, j’ai guerroyé avec lui contre les Pictes et les Stygiens. Puis contre les incursions du Vanaheim à l’époque où cette armée, ces Loups, emmenés par une femme très belle appelée Siobhan, les a aussi affrontés les repoussant jusque dans leur propre pays où elle commis l’erreur de les suivre… les Loups du Vanaheim…
– Que devinrent-ils ?
– Ils moururent… quelques-uns en réchappèrent mais d’après l’histoire… ou la légende, c’est selon… ils furent trahis par leurs alliés et exterminés… il doit y avoir de cela cinq ou six ans… s’il en reste encore, ils doivent se terrer quelque part ou croupir dans quelques cachots humides de Némédie ou d’ailleurs…
– Et la Légion Noire ?
– La Légion du Dragon Noir pour être précis… c’était une puissante armée vanir, commandée par un chef redoutable du nom de Ragnard. Nous l’avions repoussé à l’époque des Loups, sous les ordres de Conan, jusqu’au nord de la Cimmérie… Mais il y a deux ans, il est redescendu vers le sud, atteignant le nord de l’Aquilonie… je suppose que c’est lors de cette expédition qu’il a massacré les tiens, guidé par ce Malak dont tu m’as parlé… »

Il marqua une pose en observant la jeune fille silencieuse.
« Conan a appelé à la résistance et j’ai repris les armes. Nous avons vaincu l’armée de Ragnard au prix de beaucoup de pertes. C’est alors que la politique s’en est mêlée. Ragnard était blessé mais pas assez pour ne pas rester dangereux. Il a alors proposé à Conan son aide pour lutter contre les Pictes qui avaient passé leur frontière en échange de quoi, le roi s’engageait à prendre les Vanirs comme mercenaires et à leur accorder le pardon pour leurs crimes passés.
– C’est ignoble, Conan n’a pas pu accepter ? se révolta Isil.
– La réalité est toute autre, jeune fille… Conan avait besoin d’hommes pour se battre et repousser les Pictes, cette aide était donc la bienvenue. Les victimes passées des Vanirs, ton peuple y compris, furent sacrifiées sur l’autel du réalisme politique et militaire… avec succès d’ailleurs, car les Pictes furent écrasés peu de temps après.
– Et Ragnard, qu’est-il devenu ?
– Il se tient aux ordres du roi et quand il ne remplit pas son métier de mercenaire, il vit à Tarentia avec quelques-uns de ses hommes. Aucune chance de l’approcher… c’est un homme dangereux Isil, il te tuera à la moindre occasion, crois-moi. Laisse les morts reposer en paix et laisse-moi te guérir d’amour. »

La jeune fille secoua la tête et regarda au loin par la fenêtre.
« Je dois me libérer de ce fardeau qui m’oppresse.
– Crois-tu que la mort de Ragnard te libèrera ? Non, elle te détruira. Quand tu auras accompli ta vengeance, si tu y parviens, ta vie se videra comme une poche de sel trouée.
– Je n’y puis rien… je dois le faire. »

Le magicien tenta un dernier argument.
« Tu n’as pas fini ta formation à l’épée ! Au moins attends d’en être arrivée au bout ! »

Elle se retourna et se jeta à genoux aux pieds du magicien.
« Laisse-moi partir Hiivsha, je t’en supplie… Si tu m’aimes, laisse-moi partir.
– Tu n’es pas prisonnière Isil…
– Je reviendrai quand ce sera fini… je te le promets… »

Il lui caressa tendrement la tête et les joues.
« Je l’espère… de tout mon cœur… mais je crains fort que la route que tu as décidé d’emprunter te conduise inévitablement et définitivement loin de cette maison… Toutefois, si dans un an tu n’es pas revenue, je te jure que c’est moi qui irai te chercher, où que tu sois. »

Elle blottit son visage au creux de ses mains en murmurant.
« Je sais que tu me retrouveras si je me perds… »

Le magicien se leva doucement. Il paraissait avoir subitement vieilli.
« Il faut te reposer. Au matin, je sellerai Ombre, c’est une fière jument très docile. Elle t’emmènera jusqu’à Rosso sur le fleuve qui descend à Messantia en Argos et qui passe à Tarentia. Là, tu la laisseras à Moloch, l’aubergiste… c’est un vieil ami, il en prendra soin et me la fera remonter dès que l’occasion se présentera. Il y a souvent des bateaux qui descendent le fleuve. Tu en prendras un, ce sera plus sûr et plus rapide pour atteindre Tarentia… là-bas, tu n’auras aucun mal à te trouver une autre monture avec l’or que je vais te donner. Tu es vraiment certaine de vouloir partir ? »

Il connaissait déjà la réponse. Isil le regarda avec affection.
« Oui, je suis sûre… »

Puis elle ajouta.
« Veux-tu de moi dans ton lit cette nuit ? »

Le magicien secoua la tête.
« Je ne puis t’aimer maintenant pour te voir partir demain… ce serait bien trop cruel, même pour quelqu’un comme moi… Non, je dirais oui si tu devais rester… mais là… comme ça… non, pardonne-moi. »

Comme il montait vers sa chambre, la jeune fille murmura les larmes aux yeux.
« Non, toi, pardonne-moi ! »

………………………………………………

Isil mit quatre jours à rallier Rosso, petit port sur le fleuve, qui vivait du commerce de bois et de minerais dont il ravitaillait la capitale.  La route fut calme et paisible et la jeune fille découvrit un peu plus chaque jour l’Aquilonie, ses plaines et ses montagnes, ses forêts et ses champs. Elle passa les deux premières nuits à la belle étoile dans une clairière ou au bord d’un ruisseau, mais ne dormit que d’un œil. Très fatiguée, le troisième soir, alors que l’orage s’abattait sur la contrée, elle eut la chance de tomber sur une auberge isolée au bord de la route, relais des voyageurs de commerce et autres gens de passage.

Il y avait beaucoup de monde dans la grande salle mais il y faisait bon et l’odeur provenant de la cuisine était alléchante. Son entrée ne passa pas inaperçue dans la pièce essentiellement occupée par des hommes, mais les conversations reprirent rapidement après un temps de silence et quelques sifflets plus ou moins discrets.

Un grand et gros bonhomme d’aubergiste chauve, arborant un tablier maculé de tâches de graisse, s’empressa de venir l’accueillir en multipliant les courbettes. Elle lui tendit sa cape de voyage ruisselante de pluie qu’il accrocha à une patère et prit place à une petite table dans un coin reculé de la salle commune, faiblement éclairée par la flamme chancelante d’une bougie à moitié consumée. Quelques regards furtifs se posèrent sur elle tandis que le colosse susurrait.
« Soyez la bienvenue dans ma modeste auberge jeune fille… Qu’est-ce qui vous amène sur nos chemins par un temps aussi épouvantable ?
– Je viens d’Orandia et je me rends à Tarentia, répondit-elle simplement. Ma jument est dehors…
– Je vais donner des ordres pour qu’on l’emmène à l’écurie et qu’on prenne bien soin d’elle… »

Il fit claquer ses énormes mains et un jeune garçon accourut depuis les cuisines. Il dévisagea Isil bouche bée jusqu’au moment où le tavernier lui asséna une claque sur la nuque.
« Cesse de regarder la demoiselle bêtement et va t’occuper de son cheval ! »

Le garçon sortit en se frottant la nuque.
« Il faut l’excuser, il n’a pas souvent l’habitude de voir une aussi jolie personne dans cette auberge… je m’en vais vous quérir boire et manger… »

Elle le retint par le bras.
« Je voudrais une chambre pour la nuit !
– Ah, c’est que… hésita le bonhomme en se grattant la tête, avec l’orage, elles sont toutes prises… il reste des places dans le dortoir… mais, vous ne serez pas seule… »

Il cligna discrètement de l’œil en montrant la salle d’un coup de tête.
« Je ne sais pas si la compagnie vous ira… grimaça-t-il, une personne telle que vous… sinon, vous pouvez allez dormir dans l’écurie, mais votre sécurité n’en sera pas plus garantie… »

Isil fit le tour de la salle du regard. Il y avait là quelques marchands, reconnaissables à leur tenue de voyage colorée, des soldats en armes, quatre hommes visiblement aisés aux doigts garnis de bijoux, sans doute des notables, accompagnés d’une femme âgée, un petit groupe de prêtres en longue robe traditionnelle et trois autres hommes, genre soudards qui s’exclamaient sans retenue non loin de là.
« Je dormirai dans le dortoir, décida-t-elle… ces messieurs ne m’impressionnent pas !
– Comme vous voulez, jeune fille. Je vous apporte de quoi vous restaurer et vous remettre de votre voyage ! »

Quand il eut le dos tourné, l’un des trois hommes se leva et vint s’asseoir à sa table, deux coupes dans une main et un pichet dans l’autre, sans plus solliciter sa permission.
« Bienvenue dans cette contrée demoiselle, permettez-moi de boire avec vous ! déclara-t-il en lui versant du vin. C’est le meilleur de cette auberge, la réserve personnelle de notre hôte ! »

C’était un gaillard aux longs cheveux flamboyants et à l’épaisse moustache rousse. Son visage marqué de nombreuses cicatrices était rude et guère avenant.  Il leva sa coupe en adressant un clin d’œil à ses compères et la vida, tandis qu’Isil acceptait de boire une gorgée. Elle ne voulait pas d’histoire et attendait sagement la suite en espérant que l’homme n’irait pas trop loin dans son attitude désinvolte et passablement grossière.
« Alors, reprit-il ? Où allez-vous donc par un temps aussi affreux ?
– A Tarentia, bien que cela ne vous regarde aucunement. »

Il prit un air outragé.
« Oh, mademoiselle est bien réservée… moi je ne veux que parler et boire avec vous… j’ai le sens de l’accueil très développé et vous êtes sur notre territoire… alors je vous accueille. »

Isil décida de ne pas envenimer la situation et sourit en vidant à son tour sa coupe que l’homme s’empressa de remplir de nouveau.
« Vous avez là une fort jolie épée ! Et votre arc est remarquablement bien tourné… il est vrai que quand on voyage seule et qu’on est une femme, il vaut mieux avoir de quoi se défendre… À condition toutefois de savoir s’en servir ! ajouta-t-il en riant grassement. »

Elle le regarda au fond des yeux.
« Ceux qui ont goûté à mes flèches n’ont jamais pu se plaindre de mon adresse… en fait, ils ne se sont plus jamais plaints de rien ! »

Une lueur féroce brilla l’espace d’un instant dans les yeux de l’inconnu qui reprit aussitôt après un air affable.
« Une fière guerrière alors ? Qu’est-ce qui vous amène à Tarentia ? Vous cherchez du travail ? Une personne peut-être ? Ou êtes-vous en mission pour le compte de quelqu’un ? Je connais beaucoup de monde à Tarentia et si je puis vous être d’une quelconque utilité… »

Isil ne répondit pas et, tout en soutenant son regard, but une autre gorgée de vin. L’homme encouragé, vida sa coupe qu’il remplit aussitôt après.
« Pas bavarde la jolie guerrière ? Entre nous, on fait peut-être le même travail… »

La jeune fille pencha la tête de côté d’un air interrogateur.
« C'est-à-dire ?
– Travailler pour celui qui paye le plus… mercenaire quoi… Nous, c’est notre cas depuis qu’on a quitté l’armée de Ragnard ! N’est-ce pas vous autres ? »

Il leva la coupe à l’adresse de ses deux compagnons qui acquiescèrent bruyamment. Les yeux d’Isil se mirent à briller.
« J’ai déjà entendu prononcer ce nom… dit-elle prudemment, mais je ne me rappelle plus où ? »

L’homme se mit à rire.
« Partout dans le pays ! Ragnard a été le chef Vanir le plus craint, il n’y a pas si longtemps que cela… »

Puis il marmonna.
« Jusqu’à ce que ce Conan s’en mêle !
– Ah oui, je me souviens, des histoires qu’on me racontait…
– Des histoires ? Ah par Crom, ma jolie, point d’histoires que tout cela mais réalité vraie, oui !
– Je suis impressionnée, dit-elle d’un air faussement timide… ce… Ragnard doit être une véritable légende… il est toujours vivant ?
– Par tous les dieux, un peu qu’il est vivant !
– On peut le rencontrer ? »

L’homme toisa Isil et partit d’un éclat de rire.
« Voilà bien l’affaire ! Toutes pareilles les femelles ! Dès qu’on parle d’une brute, elles veulent savoir à quoi ça ressemble ! Rencontrer Ragnard ? Bah ! »

Il éructa puissamment et Isil retint une grimace de dégoût à cause des effluves que son haleine dégagea, pareilles à celles des égouts les plus empuantis.
« Difficile… oui… il va et vient entre ce pays et la frontière picte sur ordres du roi auquel il s’est vendu… Le seul endroit qu’il fréquente régulièrement quand il vient à Tarentia c’est le bordel de « La Panthère Noire » où il a ses habitudes… »

Le soudard vida une nouvelle fois sa coupe et s’essuya la bouche d’un revers du bras.
« Mais je suis sûr que tu lui aurais beaucoup plu ! Il apprécie tout particulièrement les belles blondes bien jeunes et bien foutues ! »

L’aubergiste sauva la situation en apportant le repas. Il regarda l’homme d’un air méchant.
« Ce monsieur vous ennuie mademoiselle ? Faut le dire… je n’aime pas qu’on importune mes clients ! »

Isil regarda l’inconnu et répondit sans le quitter des yeux.
« Non, tout va bien, merci… ce monsieur me souhaitait la bienvenue… et d’ailleurs, il allait rejoindre ses amis à leur table… »

Le mercenaire se leva. Il faisait une bonne tête de moins que l’aubergiste et ne chercha pas à discuter. Il alla donc se rasseoir auprès de ses amis qui le reçurent avec quelques moqueries. Isil adressa un regard reconnaissant à son hôte en lui souriant.
« Merci.
– Je vous en prie… une cliente chez moi, c’est sacré ! tonna-t-il pour bien se faire entendre de tout le monde. »

Puis, sur un ton plus confidentiel.
« Dites, si cette nuit vous avez des ennuis avec ces zigotos, adressez-vous à ces soldats là-bas au fond… Ce sont des officiers du roi Conan et je connais bien l’un d’eux. Ils sont de confiance et vous viendront en aide si besoin… je vais d’ailleurs leur en toucher deux mots ! »

Le repas fut bienvenu car avec son estomac dans les talons plus le manque de sommeil, le vin commençait à lui tourner la tête. On la servit comme une princesse et elle fut l’objet de toutes les attentions du patron.

La soirée bien avancée, elle se rendit à l’écurie pour vérifier si Ombre était bien installée puis se décida à regagner le vaste dortoir commun où quelques marchands se préparaient déjà à se coucher. Dans la pénombre, elle distingua les trois mercenaires qui chuchotaient peu discrètement et qui la suivaient du regard. Elle choisit un lit vide un peu à l’écart, posa son arc et son carquois à côté, et ôta ses bottes. Puis elle sortit ostensiblement son épée du fourreau en regardant les soudards qui n’en perdaient pas une miette. L’épée brilla dans la faible clarté qui parvenait de la fenêtre toute proche. Elle la posa sous la couverture, puis sortit de son étui la dague d’Alamir pour la glisser sous l’oreiller, en prenant bien soin d’être vue par tous ceux que cela intéressait. Enfin, elle ôta discrètement sa tunique et se glissa promptement dans l’épaisse couverture avant que les hommes n’aient eu le temps de faire un commentaire.

Elle entendit juste l’un deux murmurer un « laisse tomber » évocateur, puis les soldats entrèrent à leur tour dans le dortoir pour se coucher. Une demi-heure plus tard le silence était tombé sur l’auberge, seulement troublé par de forts ronflements réguliers.

Le lendemain, Isil arrivait à Rosso.



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Dernière édition par Hiivsha le Mar 22 Oct - 13:36, édité 2 fois
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C'est copié, je vais pouvoir commencer à lire... j'en ai déjà pas mal dans mon escarcelle.
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeMar 22 Oct - 13:35

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16 - La "Panthère Noire"


L’auberge de « La Truite Fumée » étant la seule de Rosso, Isil eut tôt fait de trouver le nommé Moloch à qui elle se présenta. Visiblement ce dernier était un grand ami d’Hiivsha, car à peine eut-elle prononcé son nom, qu’il la prit dans ses bras et l’embrassa comme sa propre fille avec une amicale exubérance non feinte.

Il fallut raconter, expliquer autant que faire se peut, boire à la santé des amis, manger… ce qui prit le reste de la journée. L’aubergiste et sa femme écoutèrent religieusement Isil leur donner des nouvelles du magicien dont elle évoqua incidemment l’épouse disparue.
« Nous nous sommes beaucoup inquiétés pour lui après la mort tragique d’Aloïse, se souvint Trania la femme de Moloch. Il était comme fou et prêt à tout pour se venger. Il est parti pour retrouver la bande de brigands qui l’avaient assassinée… il parait que ce fut terrible et sanglant… Il a failli en perdre la raison. Ensuite, il a disparu pendant des années sans donner de ses nouvelles et tout le monde a cru qu’il était mort. Puis un jour, il est réapparu mais c’était un autre homme, un puissant magicien… un templier noir… Il était devenu sage et serein comme jamais il ne l’avait été… Nous sommes bien heureux d’avoir de ses nouvelles, et par Mitra, quelle jolie messagère vous faites ! »

On lui donna la plus belle chambre de l’auberge car le bateau pour Tarentia ne partait que le surlendemain après avoir chargé le bois. Moloch lui réserva une place auprès du capitaine, un ami, en lui recommandant de veiller sur sa passagère comme sur sa propre fille.

Il y avait plus de cinq cents kilomètres de Rosso à Tarentia et le fleuve était la voie la plus sûre et la plus pratique pour y parvenir. On évitait ainsi de nombreuses régions peuplées de brigands Pictes, de bêtes sauvages et autres joyeusetés et on voyageait ainsi plus rapidement. Isil n’avait pas le pied marin et fut malade sitôt le départ jusqu’à l’arrivée, au grand regret du capitaine qui ne put profiter pleinement de sa charmante compagnie.

La jeune fille fut heureuse de retrouver le plancher des vaches et, après avoir chaleureusement remercié son hôte, elle gravit la rue qui menait à l’intérieur de la cité.

Tarentia était une grande ville fortifiée, protégée par de puissants murs d’enceinte d’un blanc éblouissant sous le soleil, construite sur des hauteurs qui facilitaient sa défense contre l’ennemi. Les quartiers nobles étaient séparés de la ville marchande par le fleuve que l’on traversait sur un imposant pont en arche unique bien gardé, et des bas-quartiers par un solide rempart.

Le plus dur allait commencer pour Isil. Si elle savait que Ragnard se trouvait fréquemment à Tarentia, elle ne savait comment l’approcher de suffisamment près pour le tuer. L’homme de l’auberge sur le chemin de Rosso avait dit qu’il fréquentait assidûment un bordel de la ville. L’idée se fit jour dans sa tête que c’était peut-être le seul moyen de se retrouver en tête à tête avec lui. S’il aimait, comme avait également dit le soudard, les jeunes femmes blondes, il y avait des chances qu’elle puisse attirer son attention. Mais cela impliquait de se faire engager à la « Panthère Noire » et cela sous-entendait également accepter de se prostituer dans l’attente de cette occasion.

De fait, sa décision était prise depuis longtemps, depuis le sombre jour de ses noces où Ragnard et ses Vanirs l’avait dépossédée de sa virginité en avilissant son corps de la plus odieuse des façons durant toute une nuit. Que lui importait donc maintenant que d’autres hommes refassent les mêmes gestes, si c’était pour parvenir à assouvir sa vengeance ? La haine qui la consumait l’aiderait à affronter les instants où elle devrait se livrer à des clients en mal d’amour ou avides de domination forcenée.

Le seul problème de l’équation restait cette question : comment se faire engager dans le lupanar ?

« La Panthère Noire » était une grande maison blanche aux poutres apparentes, bien tenue au cœur de la ville, non loin du temple de Mitra, près du quartier marchand et située au fond d’une ruelle joliment décorée de rosiers et de myriandres de Stygie, bordée de hauts murs blanchis à la chaux qui protégeaient discrètement les jardins de la vue des passants. Isil avait pris une chambre dans un petit hôtel non loin de là, où elle avait caché ses armes enfouies dans un grand sac de jute déposé au fond d’une armoire fermée à clé.

Elle s’était achetée une courte robe bleu pâle, d’une légère transparence très provocante, largement décolleté devant et derrière pour ne rien laisser ignorer de son anatomie, et bien qu’habituée à des tenues « à minima », elle fut toute alarmée et plus qu’embarrassée à l’idée de s’aventurer ainsi vêtue dans les rues. Mais il lui fallait attirer sur elle l’attention du propriétaire de « La Panthère Noire » qui avait ses habitudes, comme elle avait pu s’en apercevoir en le filant discrètement pendant plusieurs jours, et notamment celle de prendre un verre chaque soir dans une taverne située au fond d’une rue étroite menant à la place du marché. Là, il retrouvait toujours les mêmes hommes, et s’adonnait à une sorte de jeu basé sur des bouts de bois de couleurs différentes.

Lorsqu’elle fut prête, Isil revêtit sa robe bleue et se rendit la nuit tombante jusqu’à cette taverne en rasant les murs, sans répondre aux sollicitations de quelques messieurs qui émaillèrent son court parcours dans les rues de propositions indécentes. Pénétrant aussi discrètement que possible dans la taverne, elle s’isola dans le coin le plus obscur qu’elle trouva. Fort heureusement, il n’y avait pas grand monde et personne ne songea à l’importuner. Elle commanda à boire et patienta un long moment jusqu’à ce que la silhouette désormais familière du propriétaire du bordel se fit voir dans l’encadrement de la porte.

Comme chaque soir, il s’assit en compagnie de trois autres personnes, et après avoir passé commande auprès d’une serveuse, ils commencèrent leur partie. Au bout d’une heure, Isil se leva discrètement comme quelqu’un qui a l’intention de partir sans régler sa note et ce, de telle façon que le tavernier l’intercepte tout près de la table des joueurs.
« Hep là, ma jolie, je crois que tu oublies quelque chose ! Tu ne comptais tout de même pas partir sans payer ? »

Il l’attrapa fermement par le bras la faisant grimacer de douleur.
« Aïe, non… mais… je viens de m’apercevoir que j’ai oublié ma bourse à l’hôtel… j’allais la chercher… dit-elle d’une voix volontairement enfantine et misérable.
– Tu me prends pour un idiot, tonna le tavernier en la secouant… une voleuse oui, voilà ce que tu es ! Mais avec moi ça ne marche pas ! Tu vas me payer ma jolie ou je te passe une correction dont tu te souviendras toute ta vie, et après je t’emmène au poste de garde… tu vas apprendre qu’on ne plaisante pas à Tarentia avec les gens de ton espèce ! »

La partie de bouts de bois s’était interrompue et les quatre hommes suivaient la scène avec intérêt.
« Je vous en supplie monsieur, pleurnichait la jeune fille, je vous assure que j’ai de quoi payer dans ma chambre…
– C’est pas dans ta chambre que tu dois avoir de quoi payer, c’est ici et tout de suite ! »

Il la bouscula et elle s’arrangea pour se laisser tomber aux pieds du propriétaire de la « Panthère Noire ».
« Debout ! cria le patron… je vais te montrer à coups de fouet comment je fais payer les clients récalcitrants… et ensuite tu iras faire la plonge… et pour la chambre… ajouta-t-il en riant grassement, ne t’en fait pas, on va t’arranger ça, ici ! »

Isil sentit une main qui la relevait par les aisselles et une voix qui demandait doucement.
« Combien vous doit cette enfant, patron ?
– Une pièce de bronze monsieur Braggard. »

Le tenancier de la « Panthère Noire » jeta deux pièces sur la table.
« Voici pour elle, et une de plus pour le dérangement, dit-il sèchement. »

Le tavernier empocha les pièces en grommelant et s’en retourna derrière son comptoir tandis que l’homme se levait et raccompagnait Isil vers la sortie. Une fois dans la rue, elle le remercia en souriant pauvrement.
« Je ne sais comment vous remercier, balbutia-t-elle.
– Voyons mon enfant, tu n’es pas de Tarentia je suppose. »

Elle fit non de la tête en le regardant avec ses grands yeux bleus, tâchant de se remémorer le regard du chien errant devant la salle commune de Valaar le matin qui avait suivi le massacre du village.
« Tu fais quoi par ici ? Tu cherches quelqu’un ? Tu as de la famille ? »

Petit signe négatif d’Isil. Il la déshabilla du regard d’un œil connaisseur, appréciant ses formes et la couleur de ses cheveux.
« Tu t’es dit que tu trouverais du travail à la ville, c’est ça ? »

Elle hocha la tête timidement.
« Je crois que j’ai quelque chose pour toi… ça te permettra de me rembourser et de te remplir les poches, ça t’intéresse ?
– Peut-être, avança-t-elle prudemment.
– Je suis le propriétaire de la « Panthère Noire » un peu plus loin d’ici, vers le Temple, à gauche… j’ai quelques jeunes femmes qui travaillent pour moi et s’occupent des clients qui viennent passer un peu de bon temps… tu vois ce que je veux dire ?
– Je crois, oui.
– Bon… Tu es jeune et très jolie, et je n’ai aucune fille aussi blonde que toi… mes clients t’apprécieraient certainement beaucoup…  Si ça t’intéresse, viens me voir demain et je t’installerai dans un petit nid douillet pour la durée que tu voudras… comme ça, tu n’auras pas besoin de payer un hôtel… tu seras nourrie, logée, habillée… et le cinquième de ce que tu gagneras sera entièrement pour toi ! Réfléchis-y cette nuit si tu veux. »

Elle hocha la tête. Il lui caressa la joue.
« Bien… si tu ne veux pas, tu pourras toujours passer me rendre la pièce de bronze que tu me dois… entendu ?
– D’accord.
– Ah la bonne heure ! Dans ce cas, à demain ma petite. »

Elle s’éloigna tandis qu’il se frottait les mains en observant ses hanches se balancer dans l’obscurité. Puis, avec un air satisfait, il regagna la taverne et ses amis qui l’attendaient.

Dans la rue, Isil sautillait comme une enfant en arborant un large sourire. Elle avait réussi la première partie de son plan !

………………………………….

« La Panthère Noire » était le lupanar le plus luxueux de la capitale d’Aquilonie, réputé pour ses femmes de grande beauté venant des quatre coins d’Hyboria, ses herbes à fumer et ses liqueurs aphrodisiaques. Il arrivait parfois qu’un riche noble y trouve une splendide fille et reparte avec pour l’épouser.

Un grand eunuque noir, fort bien bâti, ouvrit à Isil et après l’avoir toisé du regard, la fit entrer dans un petit vestibule douillettement décoré d’étoffes de Stygie et de fauteuils moelleux. Cette entrée donnait sur un vaste atrium garni de tables basses entourées de grands coussins pourpres et or, entouré d’arcades de marbre blanc ornées de bas reliefs représentant des scènes mythologiques érotiques. Des plantes grimpantes et des gerbes de fleurs jetaient leurs éclats multicolores tout autour de la pièce. En son milieu, une superbe fontaine bruissait en faisant jaillir des jets d’eau d’un ensemble de sculptures de marbre, reproduisant des nymphes s’ébattant sous une cascade. De part et d’autre du bassin se tenait deux panthères noires empaillées d’un réalisme effrayant. Derrière chaque arcade était situé un petit box intime, isolé par de grandes tentures rouges et jaunes. Au fond de l’atrium, deux grands escaliers montaient vers les étages où se trouvaient les chambres des pensionnaires de la maison, dans lesquelles pouvaient être reçus les clients désireux de passer un moment avec une ou plusieurs hôtesses.

Pour l’instant, la maison semblait déserte et, dans le calme environnant, on entendait très distinctement le gazouillis d’oiseaux provenant d’un magnifique jardin qui entourait la vaste demeure. L’eunuque revint un instant plus tard.
« Monsieur Braggard va vous recevoir, venez ! »

Elle le suivit dans un petit couloir sombre et voûté sur lequel donnaient plusieurs portes fermées. Au bout du couloir, le noir frappa discrètement et fit signe à la jeune fille d’entrer avant de refermer la porte derrière elle.
La pièce très claire tenait à la fois du bureau et du salon de réception, avec de grandes fenêtres donnant sur les haies du jardin, et de vastes canapés feutrés vert sombre posés sur de chatoyants tapis en pure laine qui devaient valoir une petite fortune. Autour du bureau se trouvaient le patron et une femme d’âge mûr, grande, brune, au teint de peau très mat dénotant son origine du sud, certainement de la Stygie. Elle avait le visage long et légèrement triangulaire qui faisait ressortir ses pommettes, et des yeux très noirs soulignés de longs cils. D’une beauté un peu mystérieuse, elle portait une longue robe pourpre serrée à la taille par une ceinture dorée. Sur  son front un diadème brillait de mille feux et un collier tombait sur son cou en une cascade étincelante de pierres précieuses éclatantes.
« Justement, la voilà, dit l’homme en regardant Isil s’avancer de trois pas dans la pièce. Voilà la perle dont je t’ai parlée tout à l’heure et que j’ai rencontrée hier soir à l’auberge. »

La femme se leva et observa longuement la jeune fille comme une proie, tournant lentement plusieurs fois autour d’elle.
« Mmm… tu avais raison… elle est belle et jeune… le reflet même de l’innocence nordique… Dis-moi jeune fille, quel est ton nom ?
– Isil madame.
– Isil, répéta-t-elle lentement d’une voix suave et grave comme si elle savourait une friandise.
– Eh bien, Isil, reprit Braggard, es-tu venue me rembourser ou t’intéresses-tu à ma proposition ? »

La jeune fille observa la femme qui continuait à tourner autour d’elle d’une démarche féline.
« Je suis venue vous rembourser ce que je vous dois, répondit-elle en jetant deux pièces de bronze sur le bureau. »

L’homme la regarda d’un air étonné et légèrement déçu.
« Ainsi ce que je t’ai proposé ne te plaît pas ? Tu penses trouver mieux en ville ? »

Isil sourit.
« Je n’ai pas dit que je n’étais pas intéressée, mais je ne voulais pas accepter en étant votre débitrice. »

Braggard haussa un sourcil.
« Une jeune fille pleine de principes ? C’est tout à ton honneur ! Et maintenant que tu ne me dois plus rien ?
– Si vous voulez de moi, répondit-elle en baissant la tête.
– Qu’en penses-tu Raïssa, interrogea l’homme en jetant un regard à la stygienne. »

Celle-ci se frotta le menton d’un air songeur.
« Faut voir… la beauté n’est pas tout, murmura-t-elle. »

Elle prit le menton d’Isil et lui releva la tête pour la regarder au plus profond des yeux.
« Es-tu vierge ma chérie ? »

La jeune fille fit non de la tête.
« Tu sais donc faire l’amour à un homme ? Tu as de l’expérience en ce domaine ? »

Nouvelle dénégation. Les yeux de la femme brillèrent d’un éclat gourmand.
« Tiens donc ! J’en déduis que tu as été forcée ? Par un homme… ou même par plusieurs… »

Isil baissa les yeux.
« Oui, reprit Raïssa, je vois tant de douleur au fond de toi… »

Elle lâcha sa proie et se retourna vers le propriétaire du lupanar avec une moue.
« Elle ne saura jamais contenter un client, conclut-elle. »

Puis elle continua en regardant de nouveau Isil.
« Vois-tu ma chérie, les hommes ont besoin de se convaincre qu’ils sont plus doués les uns que les autres lorsqu’ils sont avec une femme… la simulation est essentielle pour nous, car même sans plaisir… il faut savoir être convaincante et pour cela, seul compte l’expérience… Toi tu n’es pas prête ! Tu ne sauras pas… »

Braggard se leva et s’approcha d’elle en protestant
« Qu’à cela ne tienne, Raïssa ! Elle apprendra… confie-la à Abexeth, elle la formera et en attendant, il suffit de la proposer aux clients qui se fichent des prouesses de leur hôtesse… il ne manque pas d’hommes qui préfèrent prendre et dominer parmi notre clientèle.
– Il est certain qu’avec ces cheveux et ce corps, Isil peut être un nouvel atout pour ces lieux… j’en connais déjà plusieurs qui seront intéressés par elle. »

Tout en parlant, elle se livrait à des explorations sur le corps de la jeune fille toujours immobile, la tête baissée. Elle en apprécia du bout de ses longs doigts aux ongles allongés, la fermeté des jambes et des cuisses et le maintient de la poitrine.
« Dans cette maison, continua-t-elle en relevant de nouveau le visage d’Isil pour qu’elle la regarde bien en face, les clients n’ont pas le droit d’abîmer les filles… ni de leur infliger des souffrances hors de proportion avec les jeux auxquels ils peuvent se livrer… et certaines perversions sont interdites… Abexeth t’expliquera... En dehors de cela, le client est roi et tu te soumettras à ce qu’il te demandera de faire ! Crois-tu être prête pour cela ?
– Je pense que oui madame, répondit tout simplement Isil d’une voix douce. Je ferai de mon mieux.
– Bien, s’exclama Raïssa ! Et docile avec ça ! Je t’aime déjà ma chérie… Je pense que tu ne t’ennuieras pas chez nous ! Maintenant, je te laisse avec Braggard… il va… disons, s’entretenir un peu avec toi. Ensuite, je t’emmènerai dans tes appartements ! »

La stygienne sortit tandis que l’homme écartait les bretelles de la robe de la jeune fille pour la laisser glisser le long de son corps.
« Sois la bienvenue à la « Panthère Noire », Isil, murmura-t-il en hésitant longuement sur la suite à donner à son entretien. Bon sang, c’est vrai que tu es jolie ! »

Il tourna plusieurs fois autour d’elle, une main à quelques centimètres de sa peau comme s’il craignait de se brûler en la touchant. Puis il se campa devant elle et contempla longuement son regard.
« Il y a de la noblesse dans tes yeux… j’y perçois une volonté farouche qui essaye de se dissimuler… qui es-tu donc, Isil ? »

Comme la jeune fille restait muette, il soupira en regagnant son bureau.
« N’aie aucune crainte, je ne te toucherai pas. Rhabille-toi et va rejoindre Raïssa… »

Et comme elle s’éloignait en direction de la porte, il ajouta.
« Et… Isil… si tu as besoin de quelque chose… viens me voir. »

Elle hocha la tête imperceptiblement avant de quitter le bureau abandonnant l’homme à ses pensées.


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Dernière édition par Hiivsha le Lun 4 Nov - 23:25, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 4 Nov - 14:07

Salut Hiivsha,

Je suis en train de finir ma béta lecture avec ce 15ième chapitre que j'ai copié la dernière fois... j'aime bien ton texte, même si ça mets longtemps à décoller, c'est pas plus mal, on accroche mieux avec les personnages comme cela.

Grosso modo, je trouve les dialogues hyper bien menés, certains personnages me sont déjà très chers (comme la cuisinière du magicien). Si non, j'ai annoté pas mal de mots qui me paraissent inutiles, et d'une manière général, des passages qui gagneraient à être plus concis, j'ai proposé pas mal de reformulations. Les "vouloir, pouvoir, devoir" ... sont trop nombreux, utilisés à la place de verbes de sens. Mais ce qui m'a le plus ennuyé c'est l'impersonnalité dont tu habilles Isil à force de "elle" et de "la jeune fille"... c'est très dommageable à mon avis.

J'espère finir avant ce soir, dernier jour de mes perms... après, il va falloir que je me consacre presque exclusivement au second tome de mon roman dont le premier tome vient de trouver un éditeur (j'ai signé le contrat vendredi dernier). Dans l'espoir que mes commentaires te soient utiles et que tu les utilises à bon escient, je continuerai à copier les chapitres au fur et à mesure pour t'envoyer des .doc via SWU... sans faire de promesses sur les dates de bétalecture.

Bon courage pour les corrections éventuelles que tu apporteras à ton texte.
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 4 Nov - 15:12

Merci de tes efforts... je compte le reprendre intégralement le jour où tu l'auras tout lu, avant d'essayer de le proposer à l'édition.
C'est quel genre ton roman ? Tu as trouvé chez un éditeur à compte d'auteur ou à compteur d'éditeur ? (c'est indiscret si je demande chez qui ? Après tout, si t'as signé, il doit sortir et s'il sort, ce ne sera pas confidentiel, au contraire, il lui faudra de la pub Wink )
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 4 Nov - 15:36

Ayé retard enfin rattrapé ^^

La miss s'engage dans une sacré galère, elle est vraiment motivée par sa vengeance ! Hâte de voir si elle va réussir dans ses plans :)
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeLun 4 Nov - 16:33

Hiivsha a écrit:
Merci de tes efforts... je compte le reprendre intégralement le jour où tu l'auras tout lu, avant d'essayer de le proposer à l'édition.
C'est quel genre ton roman ? Tu as trouvé chez un éditeur à compte d'auteur ou à compteur d'éditeur ? (c'est indiscret si je demande chez qui ? Après tout, si t'as signé, il doit sortir et s'il sort, ce ne sera pas confidentiel, au contraire, il lui faudra de la pub Wink)
Regarde tout de même les corrections, tris le bon grain de l'ivraie et sert-en pour améliorer tes relectures avant de poster... y aura comme ça moins de travail à la fin... pour toi, comme pour moi.

Dispergerum Antecessors est un roman (en deux tomes) de Science Fiction se terminant en mini space opéra, il fait parti de ce qui deviendra peut-être un jour une très longue saga, Heilénia, en tout cas, il y a le canevas pour 8 ou 10 tomes (pour le moment)... Il n'y a rien de confidentiel, j'ai signé chez édilivre, c'est à mi chemin entre le compte d'auteur et d'éditeur, ils prennent en charge l'administratif, diffusent gratuitement et vendent des options de correction, couverture, etc... au final, le site est plutôt pas mal fait et motive les auteurs à se rassembler en communautés pour mieux diffuser et vendre. D'ailleurs, pour ceux qui s’intéressent à une publication chez édilivre, je me propose de les parrainer le moment venu... et en effet, pour mon cas, je ferai le tour de mes contacts email et forumesque pour donner et faire diffuser le lien vers ma production chez mon éditeur. Nous n'y sommes pas encore, sous deux mois j'aurai en main mon Bon A Tirer (épreuves) que je dois valider ou modifier jusqu'à ce que le résultat convienne à mon besoin. Mais, au cours de l'année 2014, je serai en ligne et toucherai un plus grand nombre de lecteurs avec l'espoir de récolter de nouvelles critiques constructives.
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17 - Le dernier client


Les magnifiques appartements s’ouvraient sur de petits balcons sous voûte dominant des jardins fleuris et clos. Des plantes grimpantes y couraient sur les murs et de nombreux rosiers en parfumaient l’air ambiant. Chaque logis était composé d’un salon douillet, prévu pour recevoir plusieurs personnes dans les conditions les plus confortables, d’une chambre garnie de meubles en frêne dont un très grand lit permettant toutes sortes d’ébats, ainsi que d’une pièce d’eau pour la toilette, dotée d’un ingénieux système de monte-charge à poulie, manœuvré depuis les sous-sols par des eunuques chargés d’alimenter les appartements en eau froide ou chaude à la demande. Plusieurs cordons reliés à des sonnettes différentes permettaient d’exprimer une demande précise d’un simple geste.

Raïssa prit le visage d’Isil dans ses mains et baisa doucement ses lèvres en souriant.
« Voilà, tu es chez toi. Ici tu pourras recevoir les clients en toute discrétion. Ne prends pas cette mine de chien battu ma chérie, tu t’y feras… J’ai pour toi deux choses : une drogue à prendre chaque jour pour éviter qu’un de ces bâtards d’hommes ne t’en fasse un à toi et une potion que tu prendras avant de descendre travailler.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Isil.
– Une liqueur à base de lotus noir et d’autres plantes aphrodisiaques. Avec une seule gorgée tu te sentiras planer comme sur un nuage et tu vaincras toutes tes retenues. Maintenant suis-moi. »

Dans l’atrium elles croisèrent une jeune femme noire aux yeux d’un vert très pâle. Elle leur adressa un large sourire de ses lèvres épaisses et pulpeuses tout en arrangeant ses longs cheveux crépus noir de jais. Elle portait pour tout vêtement un voile autour de ses reins et dévoilait des seins menus et pointus, percés d’une petite créole en or.
« Ah, Abexeth, s’exclama Raïssa, te voilà ! Justement j’ai besoin de toi. »

La noire s’inclina.
« Bonjour maîtresse. Je suis à ton service. »

Voyant son interrogation en observant Isil, la stygienne présenta.
« Voici Isil qui vient nous rejoindre. Elle a beaucoup à apprendre dans l’art de simuler le plaisir dont elle semble tout ignorer. Tu vas la prendre en main et lui enseigner le métier en la prenant avec toi quand tes habitués seront d’accord… ainsi elle pourra t’observer et éventuellement participer…
– Bien maîtresse, je la formerai, répondit la noire en dévorant Isil des yeux tout en réitérant un sourire qui découvrit de belles dents blanches. »

…………………………………………..

Quelques mois s’écoulèrent ainsi, dans un endroit au cœur duquel Isil n’aurait jamais pensé atterrir il y avait à peine deux ans. Si « la Panthère Noire » avait si bonne réputation, c’était parce que Raïssa savait entretenir l’harmonie au sein de son équipe d’amazones de charme, en développant entre elles, complicité et bonne humeur. Ainsi, telles les femmes d’un harem, les moments de repos étaient souvent pris en communauté au travers d’activités ludiques dans les jardins ou de sorties vers les thermes et les cascades des environs de la ville, toujours sous la vigilance de quelques eunuques armés et chargés de garder la gens masculine à bonne distance. Comme disait Braggard, « si les gens veulent consommer, il faut qu’ils payent pour cela ! »

Lors de ces sorties, Isil avait dû, comme toutes les autres filles, se couvrir la tête et le visage d’un léger voile chargé de les dissimuler aux regards des passants. Ce n’était là qu’une apparence de pudeur bien calculée par Raïssa car cette tenue augmentait de fait les fantasmes masculins au grand dam des prêtres du Temple et des épouses bien pensantes.

Isil avait été également  autorisée à ramener ses quelques effets personnels pour libérer sa chambre d’hôtel. Tout en prenant bien soin de dissimuler ses armes dans un grand sac, elle avait enveloppé son arc débandé dans la cape qu’Hiivsha lui avait donnée. L’ensemble avait atterri dans l’armoire de sa chambre qu’elle avait soigneusement refermée à clé.

Le caractère jovial et juvénile de la jeune fille lui avait attiré la sympathie des autres pensionnaires du lupanar qui n’avaient montré aucune jalousie quant au succès immédiat que la jeune fille avait obtenu, bien malgré elle, chez les clients.

De ce succès, Isil se serait bien passée, son but n’étant que d’atteindre une seule personne le jour où elle se présenterait. Mais il lui avait été impossible de se dérober à ce qu’on attendait d’elle. Ainsi, Abexeth avait-elle formée sa blonde compagne à l’art de simuler les plaisirs voluptueux - ou censés l’être - que les gros bourgeois et les nobles de Tarentia pensaient donner à leur maîtresse de luxe. Il s’ensuivait parfois une liaison attitrée et régulière entre un client aisé et la même fille, donnant à ce dernier l’impression qu’il en avait l’exclusivité. C’était, comme Abexeth les appelait, les « clients-amour ». Ceux-ci passaient de longs moments dans l’atrium, leur supposée maîtresse moitié nue dans leurs bras ou sur les genoux, bavardant et lutinant son corps tout en savourant de coûteuses boissons raffinées ou goûtant de juteux et sucrés fruits exotiques qui garnissaient en permanence les buffets de la maison. Pour les autres, ceux qui venaient au lupanar pour assouvir leurs instincts de mâle, parfois brutes, souvent dominateurs, quelquefois pressés, les filles n’étaient que des prostituées promptes à leur obéir et à les satisfaire dans leurs exigences les plus avancées. Ceux-ci montaient rapidement dans les chambres pour posséder celle qui n’était pour eux qu’une proie docile.

Malgré le détachement dont elle faisait preuve vis-à-vis de son corps, Isil se réfugiait souvent dans l’emprise des drogues proposées par Raïssa pour ne penser à rien, ni à l’avenir, ni au passé… surtout pas au passé. Elle avait conscience de se détruire petit à petit, chaque soir, mais sa soif de vengeance l’empêchait de résister et occultait une pensée entièrement orientée vers un unique objectif qui ne tardait que trop à se réaliser.

Braggard était aux anges. Sa nouvelle protégée était non seulement très demandée, mais d’une docilité à toute épreuve ce qui enchantait les clients les plus exigeants et, lorsque les clients sont contents, c’est bien connu : le patron l’est aussi.

Vers la fin de l’hiver de l’année douze cent quatre vingt quatorze du calendrier aquilonien, un soir, quatre hommes aux allures de brutes épaisses aperçurent la jeune fille dans l’atrium bavardant avec des étrangers et demandèrent aussitôt au patron l’autorisation de monter avec elle, pour se partager ses faveurs ensemble. Le propriétaire de « La Panthère Noire » refusa tout d’abord car il n’était pas dans les habitudes des lieux qu’une fille montât avec plusieurs hommes… mais les guerriers insistèrent et proposèrent de payer chacun dix fois le prix habituel en or. C’était une petite fortune et Braggard, tout ennuyé, s’en alla trouver Isil qui refusa de prime abord. Pourtant, lorsque le patron eut évoqué l’apparence « Vanir » des visiteurs, la physionomie d’Isil se mondifia et, à la grande surprise de Braggard, elle accepta de monter avec eux. Ce fut une expérience difficile et douloureuse car ces hommes n’étaient pas réputés pour leur douceur et en bons guerriers, ils ne faisaient pas la différence entre une femme consentante et une victime de pillage prise de force. En outre, ils ne furent pas sans rappeler à Isil cette sombre nuit où tout son village avait été passé au fil de l’épée. Mais elle s’efforça de se plier à toutes leurs volontés car la suite des événements dépendait probablement de leur satisfaction.

Elle fut effectivement payée de retour lorsque, complètement épuisée, le corps meurtri d’un peu partout, elle les entendit discuter en vidant une cruche de vin dans le petit salon.
« Cette fille est de la chair à Ragnard. Il faut lui en parler lui qui adore les nordiques !
– Elle va lui plaire, c’est l’évidence même ! »

Ils se regardèrent en riant et l’un d’eux cria.
« Mignonne, on va te présenter à notre chef et t’auras intérêt à être à la hauteur et à pas nous faire honte… sans quoi, tu le sentiras passer ! »

Une lueur meurtrière passa dans le regard d’Isil tandis qu’ils s’esclaffaient grossièrement. L’un deux se leva et retourna dans la chambre en braillant.
« Je remets ça les gars ! Prépare tes jolies fesses, blondinette, on va varier les plaisirs ! »

Isil se mordit les lèvres et fit appel à toute la force de sa haine pour se soumettre à ce nouvel assaut un sourire provocateur aux lèvres.

Une heure plus tard, ils ressortirent de l’appartement, le visage béat de satisfaction, en se tapant sur les épaules. En passant dans l’entrée, ils jetèrent une poignée supplémentaire de pièces d’or sur le comptoir en braillant.
« La petite blonde est superbe… jeune et encore bien fraîche… c’est exactement ce qu’il faudra à Ragnard dans trois jours lorsqu’il viendra !
– Ragnard est de retour ? interrogea Braggard.
– Oui, il campe à dix lieues d’ici avec ses mercenaires… Il vient de mener une nouvelle campagne contre les Pictes pour le compte du roi Conan et il n’a pas tenu femelle dans ses bras depuis des semaines !
– Hormis quelques Pictes, précisa un des autres !
– Des Pictes ? Pouah, à côté des aquiloniennes ce sont des chèvres, pas des femmes ! »

Ils éclatèrent d’un rire sonore et puissant qui interrompit toutes les conversations dans l’atrium.
« Réserve ta jeune blonde pour lui tout seul ! Tu sais qu’il adore ce type de fille, alors qu’elle se tienne prête et en beauté et tu n’auras pas à le regretter tant le trésor de guerre que nous ramenons est bien fourni ! »

Ils sortirent bruyamment. Aussitôt, Braggard monta quatre à quatre les grands escaliers et frappa doucement à la porte avant de pénétrer à l’intérieur. Le désordre ambiant de la chambre attestait de la vigueur des ébats qui venaient de s’y dérouler. Au centre du lit, Isil se tenait à genoux, la tête posée sur un oreiller qu’elle serrait dans ses bras. Il ne pouvait apercevoir son visage tourné vers le balcon mais il s’assit auprès d’elle en effleurant des doigts ses épaules meurtries de zébrures rouges.
« Les vanirs sont des brutes qui ne savent pas prendre une femme doucement, dit-il à voix basse. Ça va aller Isil ? Ils ne t’ont pas fait trop mal ? »

Toujours sans tourner la tête elle répondit.
« Ça ira Braggard, ne t’en fais pas pour moi, j’en ai vu d’autres…

Il frissonna au ton de sa voix, dure et impersonnelle.
– Tu sais que je n’oblige jamais une de mes filles à faire ce qu’elle ne souhaite pas, reprit-il. Ils m’ont dit que leur chef, un certain Ragnard, souhaiterait t’avoir pour lui tout seul lorsqu’il viendra. Je te préviens, c’est un homme rustre et violent… je ne pourrai pas te garantir… enfin, si tu n’es pas d’accord, il faut le dire maintenant, j’essaierai d’arranger cela…

Isil répondit d’une voix douce.
– Tu es bon Braggard, mais non, ça ira…

Puis elle ajouta et sa voix s’était durcie.
— Je serai la pute de Ragnard, je te le promets. Il en aura pour son argent.

Le patron fronça les sourcils en réprimant un tressaillement.
– Comme tu voudras Isil… je te revaudrai ça. D’ici là, repose-toi pour être la plus belle possible… plus de clients pour le moment, je vais avertir Raïssa. »

Il caressa un instant ses longs cheveux puis se leva. En sortant il jeta un coup d’œil derrière lui et aux tressautements des épaules de la jeune fille, il eut l’impression qu’elle pleurait. Ce n’était pas un homme sensible mais il sentit  son cœur se serrer. Il sortit.

Seule sur son lit, Isil regardait par la fenêtre le bleu sombre du ciel en riant silencieusement. Le moment de la vengeance était enfin arrivé !

……………………………………….

Ragnard arriva la nuit à peine tombée avec plusieurs de ses hommes. Ils s’installèrent bruyamment comme en terrain conquis, provoquant le départ prématuré de nombreux clients incommodés par leur attitude grossière. En passant dans l’entrée, il avait jeté sur le comptoir un gros sac de pièces d’or que Braggard avait pris soin de ranger immédiatement en lieu sûr. Puis ils s’étaient éparpillés dans l’atrium en se vautrant sur les coussins et en attirant à eux les filles du lupanar avec de grossières exclamations sauvages.

Ragnard appela le propriétaire des lieux en criant.
« Braggard ! Où est donc cette blonde dont mes hommes m’ont rebattu les oreilles ? Tâche de me l’amener au plus vite si tu veux conserver les tiennes ! »

Ce faisant, il agitait une dague fine et aiguisée dans les airs d’un geste menaçant. Braggard multiplia les courbettes en reculant et l’apaisa d’une voix doucereuse.
« Elle arrive, noble Ragnard, elle arrive de suite ! D’ailleurs, la voilà ! »

Le Vanir leva les yeux vers la silhouette qui descendait lentement le grand escalier, toute de bleu vêtue. À chaque marche, ses longs cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules, se soulevaient en ondulant gracieusement. Un ample voilage presque transparent, suspendu autour de son cou par un collier de perles azur, enveloppait son buste. Ses reins étaient entourés d’un autre voile auquel étaient suspendues de toutes petites clochettes qui tintaient harmonieusement à chacun de ses pas. Le bas de son visage était voilé, mettant en relief ses prunelles océanes. Deux larges bracelets en or et deux longs pendants d’oreilles garnis de saphirs constituaient les seuls autres bijoux qu’elle portait. Elle semblait tout droit sortie d’un conte de fées.

Des musiciens commencèrent à jouer une musique stygienne qu’Isil se mit à accompagner les bras levés en arc de cercle au-dessus de sa tête, en déhanchant son bassin de la façon que lui avait enseignée Abexeth. Elle s’avança vers le chef vanir d’une démarche voluptueuse et souple, pareille à une panthère approchant sa proie, faisant tinter les petites clochettes à chacun de ses pas. Ragnard était aux anges et la contemplait telle une apparition. Ses hommes avaient cessé leurs bavardages et paraissaient eux aussi subjugués par tant de grâce et de beauté. Isil continuait sa lente approche, exécutant une danse exotique à la fois langoureuse et excitante. Sa poitrine frétillait sous les mouvements rapides de son torse, ses mains ondulaient autour de son corps pour en souligner les contours et son bassin se balançait dans un mouvement circulaire éminemment sensuel. Parvenue devant Ragnard, elle s’accroupit devant lui en se courbant acrobatiquement en arrière, la tête renversée jusqu’à toucher le sol en agitant toujours son corps et ses bras au rythme de la musique enivrante. Puis, elle s’agenouilla, se replia en avant en enserrant ses jambes tel un coquillage qui se referme, et la musique s’arrêta. Ragnard se mit alors à applaudir, ravi, imité par ses sbires qui poussèrent de nombreuses acclamations admiratives.
« Bravo princesse, s’écria Ragnard en levant sa coupe de vin vers elle. Bravo ! Magnifique ! Tu es mille fois plus sublime que ce que m’ont décrit mes pouilleux guerriers ! Où est-ce qu’une fille du nord comme toi a appris à danser mieux qu’une stygienne ? »

Il vida sa coupe et fit signe à un eunuque d’en apporter une pour Isil.
« Allez, viens ici ! dit-il en tapant sur ses cuisses, viens que je te vois de plus près ! »

Elle s’approcha, se laissa saisir par le poignet et s’assit sur les cuisses du Vanir, le cœur battant. Ragnard lui mit une coupe de vin dans la main et dégrafa un coin de son voile pour dégager son visage.
« Une pure merveille, s’exclama-t-il. Quel est l’imbécile qui a dit qu’il n’y avait que les filles du sud pour avoir une bouche aussi parfaite ! »

Il l’attira par la nuque et l’embrassa avidement, envahissant sa bouche d’une longue et épaisse langue écoeurante.
« Aah… Quelles lèvres fruitées tu as princesse, tiens, bois avec moi ! »

Sans se soucier du vin qui débordait de la commissure de ses lèvres, il vida derechef sa coupe qu’il jeta sur un coussin.
« J’ai presque l’impression de te connaître… comment t’appelles-tu ?
– Isil.
– Isil ? On s’est déjà rencontré ?
– Si c’était le cas, je m’en souviendrais, répondit prudemment la jeune fille tandis qu’il se livrait à une exploration de son corps.
– Evidemment ! Quand on rencontre Ragnard, on s’en souvient toute sa vie, tonna le Vanir en riant grassement. »

Isil pensa qu’il avait bien raison mais s’abstint de tout commentaire. Le plus dur restait à venir. Il lui fallait maintenant supporter les caresses de ce porc, serrer les dents pour maîtriser les nausées qui accompagnèrent les attouchements auxquels il se livra, en retenant des larmes de rage sous un sourire affiché, destiné à donner le change et à ne rien laisser transparaître de ses sentiments réels. Elle s’était préparée longuement à cela mais elle n’avait pas envisagé que ce serait aussi difficile et douloureux. Abexeth l’avait formée à simuler les plaisirs du corps et elle s’efforça de faire honneur à son professeur en ondoyant de son mieux sous les caresses du guerrier tout en gémissant de la façon la plus convaincante possible. Ragnard était sur un nuage. Lui qui excellait à violer les femmes des peuples qu’il écrasait sous le joug de ses armes, il était conquis et quasiment dompté par une jeune fille blonde qui lui rappelait soudainement les paysages du Vanaheim de son enfance. Il avait ôté le voile bleu qui recouvrait le torse de la jeune fille et mordait à présent ses seins bien fermes en lui arrachant quelques gémissements de douleur.

Isil avait envie d’en finir et elle retira en souriant la main qui pénétrait entre ses cuisses en murmurant de sa voix la plus chaude.
« Et si nous allions dans ma chambre ? Ne serais-tu pas mieux sur un bon lit ? Je saurai t’arracher toutes les plaintes du plaisir qu’un guerrier aussi beau et fort que toi mérite ! »

Il la regarda profondément, cherchant quelque chose qu’il ne distingua pas au fond de ses yeux, puis partit d’un gros rire bien gras en lui assénant une immense claque sur les fesses.
« Tu me plais princesse ! Tu as envie de Ragnard et de sa puissance hein ? Avoue jeune femelle que tes reins n’attendent que ça impatiemment ! »

Elle baissa servilement la tête, ce qu’il prit pour un acquiescement. Il se leva et la souleva dans ses bras sans effort apparent avant de monter les escaliers sous les acclamations de ses hommes qui redoublèrent d’activité auprès des autres filles du lupanar.

Arrivé dans la chambre il la mit debout et défit le ceinturon portant son épée qu’il posa contre le mur. C’était l’épée qu’il avait prise à Adgard. À cette vision, les yeux d’Isil étincelèrent et son regard se durcit.

Ragnard passa derrière elle et arracha brutalement le voile qu’elle portait autour des reins avant de lui caresser les fesses.
« Belle croupe ma jolie, je ne regrette pas d’être rentré de la guerre ! »

Il lui embrassa la nuque et, passant un bras autour d’elle, lui enserra un sein de la main.
« Tu sens bon… je sens qu’on va vraiment passer un bon moment tous les deux… je me demande même si je ne vais pas t’acheter à Braggard pour te ramener avec moi. »

Isil se retourna et le regarda en répliquant vivement.
« Je ne suis pas une esclave et je ne suis pas à vendre ! »

Le Vanir accusa sa surprise du ton fier sur lequel elle venait de répondre tandis qu’elle regrettait aussitôt son empressement. La réponse fut immédiate : Ragnard lui asséna une gifle magistrale qui embrasa sa joue.
« Pour qui tu te prends femme, s’écria-t-il en serrant la gorge d’Isil d’une main puissante. Je ferai de toi ce que je voudrai tu m’entends ? »

La jeune fille étouffait et tentait de se libérer de l’étreinte implacable tout en essayant d’acquiescer de la tête pour le calmer. Elle ne touchait plus terre que de la pointe des pieds. Un moment la panique la gagna. Allait-elle échouer si près du but ?

Mais la colère du Vanir retomba aussi vite qu’elle était venue. Il la lâcha et Isil tituba un instant en se frottant le cou.
« C’est curieux, dit-il, j’ai l’impression d’avoir déjà vécu ce moment… es-tu sûre que nous ne nous connaissons pas ? Où cela pourrait-il bien avoir eu lieu ? »

Ragnard lui tourna le dos et commença à se dévêtir, abandonnant les éléments de son armure de cuir léger un peu partout en marmonnant, perdu dans ses pensées, tandis qu’Isil reculait de trois pas pour se rapprocher de l’épée.
« Au Vanaheim ? … en Cimmérie ? … Es-tu déjà allée au Vanaheim princesse ? demanda-t-il le dos toujours tourné alors qu’il achevait son déshabillage.
– Je ne m’appelle par princesse mais Isil, fille d’Adgard, chef du Pays des Quatre Vallées, que tu as tué et de Maliah sa femme, que tu as assassinée lâchement ! »

Il fut de nouveau surpris et interpellé par le ton sec et froid qu’elle venait d’employer et se retourna. Devant lui, à quelques centimètres de son visage se dressait la pointe de sa propre épée tenue à bout de bras par la jeune fille.
« Voilà qui est intéressant, dit-il d’une voix presque inaudible en plissant les yeux. Laisse-moi me rappeler… »

Il se gratta la tête pour fournir visiblement un effort de mémoire puis ses yeux s’écarquillèrent et se mirent à briller.
« Oui, dit-il, maintenant je me souviens… une grande bataille… ton père oui, je lui ai pris son épée avec laquelle je lui ai coupé la tête… »

La pointe de l’épée se rapprocha de sa gorge.
« Et ta mère… une belle femme courageuse qui s’est mise sur mon chemin… elle n’a pas souffert tu sais…
– Elle n’était pas armée… Je t’ai vu lui trancher la tête ! Tu es un lâche, une ordure d’assassin ! »

L’épée avança jusqu’à ce que la pointe entre en contact avec la peau du Vanir, l’obligeant à relever un peu la tête. Il ricana et se mit à sourire de toutes ses dents.
« Mais alors… toi… Oui, toi tu es la jeune fille qui se battait si bien… la pucelle que j’ai prise sur une table… Je me souviens parfaitement à présent ! Tu n’es pas morte là-bas ? Après ce que mes hommes t’ont fait tu as réussir à t’en sortir et… à me retrouver ? »

L’incrédulité mêlée d’admiration se lisait sur son visage. Il recula et s’assit sur une chaise sans la quitter des yeux puis il se mit à applaudir tout doucement.
« Quelle femme tu fais ! Quelle splendide amazone digne d’un roi tu ferais à mes côtés ! Nous pourrions guerroyer ensemble le jour et faire l’amour la nuit, qu’en penses-tu ? »

Isil serrait les mâchoires à s’en faire mal et parvint à peine à articuler.
« Tu n’es qu’un lâche et un porc ! Toi et moi ensemble ? »

Elle lui cracha dessus sans qu’il ne bouge d’un cheveu.
« Plutôt crever, cria-t-elle, tu vas mourir Ragnard comme tu as tué ma mère, avec la même épée ! »

Le vanir leva les yeux au ciel.
« Si telle est la volonté de Crom, oui sans doute… il faut bien qu’un jour notre vie s’achève… Si mon temps est venu, autant que ce soit par les mains si jolies d’une personne comme toi. Je suppose qu’après tu te mettras à la recherche de… comment s’appelait-il déjà cet homme qui nous a guidé jusqu’à ton pays ? »

Une flamme passa dans le regard d’Isil.
« Marak, souffla-t-elle… Tu sais où il se trouve ?
– Peut-être, marmonna Ragnard.
– Dis-le moi ou sinon…
– Ou sinon quoi ? Puisque de toutes façons tu dois me tuer… vas-y, tu ne le retrouveras jamais… »

L’épée trembla légèrement au bout du bras de la jeune fille.
« Parle !
– Non, dit Ragnard… si tu veux que je te le dise, il va falloir que tu termines ce que tu as commencé à faire avec moi. »

Isil pencha sa tête d’un air interrogateur.
« C'est-à-dire ?
– Je te propose ceci : pose ton épée et fais ce pour quoi j’ai payé… ensuite je te dirai où se trouve Marak et je te donnerai une chance de me tuer… moi à mains nues contre toi à l’épée… équitable non ? Tu devrais pouvoir t’en sortir avec les honneurs !
– Tu es fou ?
– Non, je sais de quoi je parle… si tu t’es enterrée dans ce lupanar juste pour me retrouver, c’est que tu as une volonté hors du commun et tu ne laisseras pas passer l’occasion de retrouver la trace du traître qui a causé la mort de tes parents et de ton peuple… sans lui, nous ne serions jamais passés par les Quatre Vallées dont je ne soupçonnais même pas l’existence. C’est lui ton pire ennemi, pas moi ! »

Progressivement l’épée s’abaissait et la jeune fille recula de quelques pas  avant de la la poser contre le mur. Ragnard toujours assis sur sa chaise n’avait pas tenté le moindre mouvement mais il la regardait droit dans les yeux.
« Tu as ma parole que je ferai ainsi, lui dit-il. Maintenant viens à moi. »

Elle s’avança jusqu’à lui, comme vaincue par ses paroles, la tête basse. Il lui prit la main et l’attira vers lui pour qu’elle se mette à genoux.

…………………………………………….

De façon inattendue, le vanir se montra plutôt doux lorsqu’il prit Isil sur le lit, comme s’il avait voulu effacer le souvenir du viol qu’il lui avait infligé deux années plus tôt. Il se conduisit comme un amant envers sa maîtresse, sans brutalité, avec des gestes qui trahissaient l’admiration qu’il avait pour elle… un observateur extérieur aurait presque pu prendre cette attitude pour de l’affection voire de l’amour. Néanmoins, la jeune fille resta de marbre tandis qu’il atteignait l’extase du mâle vainqueur.
« Je regrette de ne pas t’avoir connue dans d’autres circonstances, lui dit-il en reprenant son souffle, allongé à son côté. »

Isil ne trouva rien à répondre. Il reprit.
« Tu veux savoir où tu pourras trouver Marak ?
– Oui, répondit-elle simplement, la gorge serrée, des larmes au bord des yeux qui ne demandaient qu’à couler.
– Il travaille pour un dénommé Demetros, un puissant personnage de Belvérus en Némédie. Je crois qu’il est son intendant.
– Merci, murmura-t-elle. »

D’un geste brusque il se leva soudain et courut vers le fond de la chambre, là où se trouvait son épée. Isil lança vivement la dague qu’elle tenait depuis déjà un bon moment dans ses doigts et qu’elle avait pris soin de cacher sous le matelas à sa portée. La lame se planta entre les deux omoplates du Vanir qui tomba à genoux, la respiration coupée et le bras tendu vers la lame. La jeune fille fit trois bonds et se jeta à son tour sur l’arme. Ragnard à genoux, tentait désespérément de saisir la poignée de la dague fichée dans son dos sans pouvoir l’atteindre. Le souffle court il regarda Isil sans haine et sans colère.
« Je ne regrette rien… souffla-t-il avec peine, tu es… quelqu’un d’extraordinaire… une fille courageuse… Fais attention à toi, tu mérites mieux que… tout cela… Maintenant vas-y ! »

La lame fendit l’air de la chambre en sifflant et la tête de Ragnard tomba sur le sol avec un bruit mat, suivie du reste du corps. Un flot de sang se répandit sur les épais tapis multicolores.

Sans plus accorder un regard à sa victime, Isil essuya l’épée et la dague avant de les ranger dans son sac de voyage. Puis elle se lava, s’habilla, revêtit sa cape et passa le sac et son arc en bandoulière. Depuis longtemps elle avait étudié le moyen de s’échapper par les murs extérieurs. Elle enjamba le balcon et se faufila le long d’une étroite corniche qui menait jusqu’à l’aplomb du mur d’enceinte en passant devant les autres appartements. Les filles étant occupées dans l’atrium, ceux-ci étaient vides et ne présentaient aucun danger. Arrivée au bout de la corniche elle attrapa la liane d’une grande plante grimpante et descendit silencieusement dans une ruelle déserte. Elle marcha jusqu’à des écuries où elle avait acheté puis laissé en pension un cheval qu’elle sella avant de prendre la route qui partait vers l’est et la Némédie.


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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 7 Nov - 16:39

Je lis vraiment pas beaucoup de fics (j'aime pas trop lire sur l'ordi)...j'aime pas trop Conan et son univers...mais il y a quelques semaines un miracle s'est produit, et j'ai commencé à lire ton histoire Hiivsha, (je suis au chapitre 13), et j'aime vraiment beaucoup.

Isil est vraiment attachante comme héroine, j'aime beaucoup les loups aussi (petite larme pour Louve) on se prend de compassion sans problèmes pour tes personnages, qu'il soient humains ou loups, les descriptions ne sont pas pesantes, et le texte se lit facilement, 

Pour ce qui est des fautes j'ai rien à dire à ce sujet, quand je suis dans l'histoire je regarde vraiment pas à ça et de plus je suis une quiche en aurtaugraffe, je laisse ça aux autres ^^ 

Bref encore une fois, j'aime beaucoup [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 344622
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 7 Nov - 17:44

laayla a écrit:
un miracle s'est produit,
Ah carrément ? cheers 

Je suis content que tu adhères à mon histoire. J'ai mis beaucoup de cœur et de tendresse dans l'histoire de mon héroïne et tu me fais plaisir en la trouvant attachante. J'ai essayé de trouver le bon équilibre pour écrire une histoire "adulte" sans complaisance, en cherchant à ne pas tomber dans un érotisme (voire plus ?) inutile à la Spartacus [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 58704 ni dans du mièvre "harlequinien". Par rapport à mes deux derniers romans ancrés dans Star Wars ancienne république, "l'Archère des Quatre Vallées" est un récit plus condensé, moins détaillé, approfondissant moins la psychologie des personnages pour laisser davantage la place à l'aventure dans un format resteint (250 pages A5 vs 500 pour mes romans SW). Du coup, j'avais peur d'avoir sous-dimensionné la présentation des personnages principaux.

J'espère que ça te plaira jusqu'au bout ! Wink

PS : Pour les fautes, en principe, il ne devrait pas y en avoir beaucoup, je me relis attentivement même si je dois par-ci par-là en laisser passer... et pour le reste, maladresses, forme, style... l'ami Aj Crime est en train de passer le roman au crible d'une façon fort critique mais très utile pour qui cherche à perfectionner son écriture... une fois fini de le poster ici, j'aurai sans doute pas mal de jours de boulot pour tout reprendre à la lumière de sa bêta-lecture.

Ce que j'aimerais à la fin, étant donné que l'oeuvre d'Howard est tombée dans le domaine public et qu'après tout, je ne fais que des références à quelques lieux du Monde de Conan, le reste étant entièrement original comme histoire, ce serait parvenir à le faire publier... si j'y arrivais, j'écrirai une suite dont au moins la moitié est déjà écrite... tiens, je vais proposer le manuscrit chez Harlequin ! lol! 
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 7 Nov - 19:41

Si tu ne trouves pas chez les éditeurs standards, je serais ravi de te parrainer chez edilivre (si le coeur t'en dit)...


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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 7 Nov - 23:14

J'ai déjà mis ça dans un petit recoin de ma tête ! Merci. Wink 
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18 - La route de Belvérus


Il lui fallait s’éloigner de Tarentia où, si on la capturait, Isil serait emprisonnée, torturée et exécutée pour meurtre. Si elle avait tué Ragnard deux ans plus tôt, son geste aurait été acclamé et récompensé alors que maintenant elle allait être recherchée…

Sans trop savoir pourquoi, Isil ne se sentait pas très bien et dut arrêter son cheval dans les bois au petit matin. Ses forces avaient diminué, probablement à cause de la tension qui l’avait habitée ces derniers jours et qui venait de disparaître… peut-être aussi parce que, pour mieux se préparer à affronter Ragnard, elle avait imprudemment cessé de prendre la potion de Lotus Noir de Raïssa. Or cette drogue procurait une dépendance dont il n’était jamais facile de se défaire… mais cela Isil ne le savait pas.

Les jambes flageolantes, la jeune fille s’appuya contre un arbre alors que ses boyaux se tordaient douloureusement dans son ventre et elle vomit. Une crise de rage s’empara de tout son être et Isil se mit à crier, à hurler en pleurant, tombant à genoux, les poings crispés, tremblant de la tête aux pieds. Puis elle chancela et perdit connaissance.

Dans un monde peuplé de cauchemars induits par l’état de choc dans lequel elle se trouvait, aggravé par un sevrage qui ne faisait que commencer, son corps fut agité de spasmes qui durèrent un long moment et qui la laissèrent inerte, allongée dans l’herbe durant plus d’une heure avant qu’elle ne rouvre les yeux.

Isil se sentit momentanément mieux et put se remettre en selle, sans toutefois parvenir à réprimer un léger tremblement au niveau de ses mains. Elle n’avait pas dormi afin de mettre le maximum de distance entre elle et d’éventuels poursuivants et la fatigue s’emparait progressivement d’elle.

Comme le jour déclinait, elle découvrit un relais de campagne, un chalet de deux étages tout en bois, aux fenêtres entièrement fleuries. L’auberge était agréablement installée au bord d’une jolie rivière coulant dans un vallon boisé, au sommet duquel on apercevait plus loin un village. Un seul cheval se trouvait à l’écurie indiquant qu’il ne devait pas y avoir grand monde à l’intérieur. Isil attacha le sien à une barrière et entra. Une jeune servante se précipita aussitôt vers elle.
« Bonjour madame, dit-elle en effectuant une révérence maladroite, soyez la bienvenue chez nous… vous voulez que je vous débarrasse ?
– Merci, répondit Isil en lui laissant sa cape. J’aurais besoin de me reposer et de manger un peu… et je boirais bien une bière bien moussante ! »

La fille lui désigna une table.
« Asseyez-vous, je vous amène tout ça… je vous prépare une chambre pour la nuit ? »

Isil acquiesça de la tête. La servante reprit en désignant l’arc et le sac dans lequel on pouvait apercevoir le pommeau de plusieurs épées.
« Si vous restez pour la nuit, les armes ne sont pas permises dans les étages… pour assurer la tranquillité de nos clients… j’espère que vous comprendrez… le patron les enferme dans une pièce en toute sécurité, vous pouvez avoir confiance.
– Je comprends, répondit Isil. Si vous me garantissez que je les retrouverai demain…
– Oh oui madame, il n’y a aucun problème… à n’importe quelle heure vous pourrez les reprendre.
– Dans ce cas… »

Isil lui confia l’arc et le sac après en avoir retiré la bourse contenant son or, qu’elle fixa à sa ceinture. Il n’y avait qu’un seul homme au fond de la pièce, une coupe devant lui, qui consultait des parchemins à la lueur d’une bougie. Au bout de quelques minutes le patron arriva avec une grande chope en terre cuite remplie d’un liquide ambré qu’il posa devant elle en se courbant légèrement.
« Bonjour mademoiselle, qu’est-ce qui vous amène donc dans notre contrée ?
– Je suis de passage, je m’en vais en Argos, mentit-elle pour ne pas dévoiler sa véritable destination.
– Votre route sera longue, dit l’aubergiste, vous feriez bien de prendre une chaloupe à Doruck sur le fleuve, à deux jours de cheval en prenant la direction du sud à la sortie de la vallée.
– C’est ce que j’avais l’intention de faire.
– C’est bien alors. Les longs voyages par la terre ne devraient pas se faire tout seul… toute seule, plus précisément.
– Oui, j’en suis bien consciente. Mais je suis attendue à Doruck par des compagnons.
– C’est une bonne chose. »

Il se retira et Isil resta seule avec ses pensées. Il lui fallait brouiller les pistes pour éviter que les hommes de Ragnard ne la retrouve. À l’écurie de Tarentia elle avait laissé entendre qu’elle partait vers le sud-ouest…

Ses nausées étaient revenues et elle se leva pour sortir afin de respirer l’air frais du soir, s’arrêtant au bord de la rivière pour plonger ses mains dans l’eau cristalline et s’en asperger le visage et le cou.
« Ne me dites pas que vous avez trop chaud ! railla une voix tout près d’elle. »

Elle se releva et se retourna. Il y avait derrière elle un jeune homme qui taillait un bout de bois avec un long couteau, négligemment appuyé contre une barrière. Il la regardait avec des yeux rieurs, noisette, légèrement bridés et un séduisant sourire en coin qui cadrait bien avec le charme un peu insolent qui se dégageait de sa personne. Il portait des cheveux bruns, courts, nantis d’une longue frange qui lui mangeait une partie de son visage et qu’il relevait fréquemment d’un geste de la main.
« Je m’appelle Endemal et vous ?
– I… Irrinida, enchantée de faire votre connaissance.
– Sûrement pas autant que moi… répondit-il en s’inclinant poliment. Je me demandais bien avec qui j’allais pouvoir bavarder ce soir et voilà que Mitra répond à ma prière en m’envoyant le plus beau de ses anges. Je suis comblé. »

Il leva les bras au ciel en criant.
« Merci Mitra, grâce te soit rendue pour la bonté dont tu fais preuve envers ton pauvre serviteur qui ne le mérite pas ! »

Isil se mit à rire les deux mains sur son visage, en rougissant sous l’effet du compliment. Le jeune homme reprit.
« Et vous allez où, mademoiselle ?
– A… je vais prendre le bateau à… »

Comment avait dit l’aubergiste, déjà ?
Le jeune homme accentua son sourire devant l’hésitation d’Isil tout en la dévisageant indiscrètement.
« … à Durock, sur le fleuve qui mène en Argos, continua Isil.
– Vous voulez dire Doruck, sans doute ?
– Oui, naturellement, Doruck… ce n’est pas ce que j’ai dit ? Pardon, je me suis trompée ! J’y suis attendue… »

Endemal s’approcha du ruisseau tout près d’elle en l’observant du coin de l’œil.
« Dommage, moi je me rends à Belvérus… une longue route également… j’avoue humblement que cela m’aurait réellement fait plaisir de la partager avec vous Irrinida… Je n’ai pas souvent l’occasion de voyager en aussi agréable compagnie.
– Ah oui, c’est dommage, renchérit Isil d’un air dégagé. Cela m’aurait fait plaisir également. »

Il se tourna vers elle sans se départir de son sourire en coin.
« Vraiment ? Vous dites ça pour me faire plaisir, mademoiselle…
– Non, c’est vrai… je vous trouve charmant. »

Il effectua une pirouette.
« Venant d’une personne de votre qualité, le compliment vaut son pesant d’or !
– Que pouvez-vous savoir de ma qualité, s’étonna Isil ingénument.
– Votre grâce n’a d’égal que votre beauté… je sens en vous une personne d’une grande qualité d’âme, quelqu’un de charitable, prête à aider autrui… non ? »

Comment aurait-il pu imaginer que, quelques heures plus tôt, elle avait décapité un homme désarmé à qui elle venait de se donner pour le prix d’un renseignement, dans la chambre d’un lupanar de Tarentia. Elle ne put maîtriser un haut-le-cœur.

Endemal lui posa la main sur l’épaule.
« Ça ne va pas Irrinida ? Vous êtes toute pâle soudainement… »

Elle se plia en deux et posa les mains sur ses genoux.
« Je ne sais pas, dit-elle, j’ai des nausées et j’ai mal au ventre... et aussi les mains qui tremblent… et les jambes un peu…
– Je ne suis pas apothicaire mais je connais plusieurs causes de ce que vous me décrivez…
– Ah oui, murmura Isil sans lever la tête, et quelles sont-elles ?
– La fièvre, répondit-il en posant une main douce sur son front… mais cela ne semble pas être le cas, votre front est frais… »

Il réfléchit un instant.
« Etes-vous enceinte ? »

Isil leva vers lui un visage quasi enfantin.
« Non, dit-elle étonnée, non, je ne le suis pas…
– Bon… il y a la peur… avez-vous peur de quelque chose, Irrinida ? »

Elle se redressa avec un air grave.
« J’ai déjà eu peur mais je n’ai jamais ressenti rien de tel.
– Le manque de certaines drogues peut aussi donner de tels effets… je le sais pour les avoir endurés il y a quelques années… »

Il avait perdu son sourire à cette évocation et regarda au fond des yeux bleus de la jeune fille.
« Etes-vous en manque de quelque chose ? »

Isil baissa les yeux et murmura.
« Peut-être… c’est possible…
– Alors, ne cherchez pas… suivant ce que vous aviez l’habitude de prendre et des doses, vous allez endurer les effets du sevrage pendant plusieurs jours et de façon plus ou moins forte… Il n’est pas très prudent de voyager dans votre état… peut-être devriez-vous regagner Tarentia ?
– Non ! dit-elle plus vivement qu’elle ne l’aurait voulu. Non, il faut que j’aille à… Bel… Doruck, c’est important. Je vais mieux de toute façon. »

Il la prit par le bras et recommença à sourire.
« À la  bonne heure ! Venez, allons manger, le repas doit être servi… une fois votre estomac plein, vous vous sentirez mieux… »

Il l’entraîna à l’intérieur de l’auberge et s’assit avec elle à une table tandis que la jeune servante apportait le repas. Petit à petit, il la dérida avec force plaisanteries et pitreries. C’était vraiment un très gentil garçon et Isil le trouvait beau… une sensation qu’elle n’avait pas ressentie depuis fort longtemps et qui apporta un peu de chaleur sur ses joues qui se tintèrent d’une très jolie coloration rosée, résultant également de l’effet des coupes de vin qu’elle avait bues accentué par le manque de sommeil.

Ils parlèrent longuement et Isil riait à gorge déployée sans retenue comme un enfant, sous le regard amusé et séduit d’Endemal. Puis la jeune fille se leva.
« Il est tard et je dois me mettre en route tôt demain, je ferais mieux d’aller me coucher… oups ! »

Elle tituba et tomba dans les bras du jeune homme qui la rattrapa lestement.
« Pardon, fit-elle en riant, je crois que le sol bouge un peu… à moins que ce soit moi… »

Il la prit dans ses bras.
« Hé, que faites-vous ?
– Je vous porte, vous seriez bien incapable de monter l’escalier par vous-même sans tomber.
– Vous êtes un amour, répondit-elle en riant de nouveau. »

Il monta péniblement les marches avec son fardeau et poussa du pied la porte de la chambre d’Isil. Parvenu au pied du lit il la posa par terre.
« Ai-je droit à une récompense ? demanda-t-il gentiment.
– Oui bien sûr… comme tout prince charmant qui se respecte, répondit-elle en avançant ses lèvres vers son visage. »

Il lui passa ses bras autour de la taille et sans plus attendre, il l’embrassa longuement en l’entraînant avec lui sur la couverture.

………………………………………

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Isil émergea de son sommeil comateux. En clignant des yeux sous l’effet de la luminosité, Isil porta les mains à sa tête dans laquelle il lui semblait entendre des cloches résonner. Ses nausées avaient repris ainsi que les tremblements de ses mains. Elle ne se sentait vraiment pas bien.

Rassemblant ses idées, Isil s’assit sur le lit et regarda autour d’elle. Elle était entièrement nue et ses vêtements gisaient sur le sol de manière désordonnée. La jeune fille éprouvait beaucoup de difficulté à se remémorer la soirée de la veille et les souvenirs ne lui revenaient qu’au compte-goutte, comme surgissant d’un rêve débridé. Il y avait ce jeune homme avec qui elle avait partagé le repas… ils avaient bavardé… ri… et il l’avait portée jusqu’à la chambre et après… le trou noir.

Malheureusement sa tenue laissait présager que la soirée ne s’était pas arrêtée là… en tout cas pas pour l’homme.
« Quel salaud, quel porc ! pensa-t-elle dépitée. »

Isil se leva et regarda ses mains trembler.
« Ça va pas mieux on dirait, se dit-elle… il faut aller de l’avant. »

Elle ramassa ses vêtements et poussa un cri : sa bourse avait disparu.
« Le fumier ! Le pourri ! En plus, c’est un sale voleur… Je vais le tuer si je le retrouve celui-là, tout mignon qu’il est ! »

Elle s’habilla, se chaussa et descendit l’escalier en courant. La salle était occupée par quelques hommes dont trois soldats qui grignotaient dans un coin discret tout au fond de l’auberge. Elle sortit sur le seuil de la porte et jeta un coup d’œil dehors sans grand espoir de retrouver le jeune homme de la veille. Tout à coup elle se rendit compte que son cheval n’était plus à l’écurie. Furieuse elle retourna à l’intérieur et interpella l’aubergiste tout en faisant attention de ne pas attirer l’attention des soldats sur elle.
« Patron ! L’homme qui était avec moi hier…
– Oui, votre ami…
– Non, pas mon ami… en fait je ne le connaissais pas…
– On n’aurait pas dit en vous voyant tous les deux rire comme deux larrons en foire, protesta l’homme. Il est parti ce matin en me disant : « Vous remercierez mon amie de ma part lorsqu’elle se réveillera pour la superbe nuit que nous avons passée ensemble… je n’ai pas voulu la réveiller » et il a ajouté : « elle est de mauvaise humeur quand on la réveille le matin ! »

Isil frappa rageusement le sol du pied.
« Oh, le coquin, l’infâme voleur !
– Que vous a-t-il donc fait ? demanda l’aubergiste.
– Il m’a volée… il a pris ma bourse et mon cheval ! Tout ce que j’avais, il me l’a pris… le salaud !
– Je suis désolé, déplora le patron… je ne pouvais pas savoir, vous alliez si bien ensemble. »

Elle le fusilla du regard.
« Bon, bon, calmez-vous mademoiselle, je n’y suis pour rien. On va en parler à ces sergents de Tarentia. »

Le cœur d’Isil s’arrêta de battre et elle jeta un regard éperdu à l’aubergiste.
« Non ! dit-elle précipitamment en tendant les mains en avant, non… ce... ça n’est pas grave… en fait… je sais où le retrouver… inutile de les déranger. »

Le patron fit une moue suspicieuse et plissa les yeux en s’approchant d’elle.
« M’est également d’avis que vous n’avez pas envie d’attirer l’attention sur vous non ?
– Heu… je vous en prie, je dois partir… rendez-moi mon sac et mon arc, s’il vous plait… »

L’homme se gratta le menton en regardant les soldats qui ne leur prêtaient aucune attention. Il observa Isil et se dit qu’elle était trop jolie pour qu’il la leur livre, quoi qu’elle ait pu faire… Il alla chercher les affaires de la jeune fille puis revint.
« Il y a le repas et la chambre à payer, observa-t-il. »

Isil le regarda d’un air éploré.
« Puisque je vous dis qu’il m’a volé ma bourse.
– Pas de paiement, pas de sac, s’obstina l’aubergiste. Il vous faut trouver un moyen de régler votre dette sinon je vous livre à ces soldats et je vous préviens, même si vous n’avez rien d’autre à vous reprocher, les juges ne plaisantent pas avec ceux qui ne s’acquittent pas de leur dette à Tarentia.
– C’est trop fort, protesta Isil, c’est moi qu’on vole et c’est moi qu’on traite de voleuse ! Vous voulez que je fasse quoi ? Comme tous les autres ? Que je me déshabille et que je m’allonge sur la table de votre cuisine ou dans votre chambre ? »

Elle pensa que tout cela ne finirait jamais et envisageait déjà de s’emparer du sac par surprise pour saisir une arme et affronter les soldats… tant pis finalement si elle se faisait tuer, elle avait de moins en moins envie de vivre. Si la mort pouvait la soulager de toutes ces bassesses, elle l’accueillerait avec sérénité.
« Allons, allons, calmez-vous mon enfant, objecta l’aubergiste. Pour qui me prenez-vous ? Je suis marié et j’aime ma femme et je ne compte pas profiter de la situation à vos dépends, toute mignonne que vous êtes. N’avez-vous donc pas dans ce sac de quoi me payer ?
– Peut-être, réfléchit Isil, donnez-le moi. »

Il le lui tendit. Elle en ressortit la superbe épée qu’Adamar le forgeron d’Orandia avait forgée pour elle, à sa demande.
« Cette épée suffirait-elle ?
– Oh, magnifique… quel étrange  éclat et quelle ligne ! Oui, par Mitra, cela suffira… êtes-vous certaine de vouloir vous en séparer ?
– Oui, répondit Isil, j’en ai une autre, bien plus précieuse encore…
– Quelle curieuse jeune fille vous êtes qui vous promenez avec deux épées et un arc mais qui vous laissez naïvement dépouiller par le premier bel homme venu ? Il vous faudra grandir un peu si vous voulez survivre seule dans ce monde. »

Isil baissa les yeux en pensant.
« J’aimerais bien ne plus être seule… c’est pour cela que je lui avait fait confiance… je serais même allée jusqu’à Belverus avec lui… et peut-être plus loin après qui sait… »

Elle soupira profondément. Pendant ce temps-là, l’aubergiste avait glissé dans son sac quelques provisions.
« Prenez, et faites attention à vous. »

Isil regarda les soldats d’un air inquiet. L’aubergiste lui adressa un clin d’œil.
« Si on me demande quelle était votre destination, que dois-je répondre ?
– Dites très précisément ce que je vous ai dit, répondit-elle en lui adressant à son tour un clin d’œil.
– Compris, conclut le patron en hochant la tête et en lui souriant de toutes ses dents. Compris, mademoiselle. Bonne chance ! »

Elle quitta l’auberge et prit la route de Belverus. En sentant renaître les nausées, elle se demanda si elle aurait la force d’atteindre le but qu’elle s’était fixée.

……………………………………….

Son chemin de croix ne faisait que commencer. Le sevrage de la drogue au Lotus Noir fut dramatique et draina toute la force de caractère d’Isil, pourtant nourrie par la haine et le désir de se venger du traître Marak. Plusieurs fois elle eut envie de se laisser mourir sur le bord du chemin. Elle marcha durant des jours et des jours, la tête vide, comme une automate, ne s’arrêtant que pour tenter de chasser difficilement tant ses mains tremblaient et sa vue se troublait sous l’effet du manque, et finit par se nourrir faiblement de racines et de quelques larcins commis la nuit aux abords des villages qu’elle fuyait comme la peste. Tel un animal traqué, elle se cachait chaque fois qu’un bruit de sabots ou de charrette parvenait à ses oreilles, luttant vainement à l’aide de ses mains contre des visions cauchemardesques qu’elle finissait par avoir même éveillée…

Isil erra dans les forêts de Némédie durant près de trois semaines, marchant vers le soleil levant, dans un état proche de la folie, pliée en deux par de violentes douleurs au ventre, les muscles tétanisés, s’appuyant sur des jambes tremblantes qui la supportaient à peine. Puis un soir, alors  qu’un orage venu des montagnes déversait sur le pays des trombes d’eau glacée, elle aperçut en arrivant au sommet d’une colline, les lumières d’une ville importante et sut, malgré sa fièvre, que son voyage touchait à sa fin. Elle tomba alors sur ses genoux et se mit à sangloter.

Le garde à l’entrée de la ville qui la vit passer soupira l’air compatissant.
« Encore une mendiante ! » pensa-t-il en observant la silhouette crasseuse et en haillons de la femme qui se traînait, pieds nus, d’une démarche hésitante, appuyée sur un arc sans corde qu’elle avait dû ramasser dans quelque décharge, trébuchant sur la moindre pierre de la route. À bien l’examiner, il était certain que sous la noirceur de la peau et de la poussière qui recouvrait son visage et collait ses cheveux blonds en mèches disgracieuses, se cachait une personne jeune et jolie. Secouant la tête, il maudit le sort qui avait réduit à rien une telle jeune femme et remercia Mitra que ses enfants, eux, aient de quoi se loger et se nourrir confortablement.

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19 - Les Loups du Vanaheim


Isil avançait mécaniquement au cœur des ruelles sans savoir par où se diriger. À plusieurs reprises elle fut bousculée par des passants qui l’insultèrent en lui intimant l’ordre de quitter le quartier au plus vite. La nuit tombait sur Belverus. Un éclair éclata et la foudre tomba tout proche accompagnée d’un fracas épouvantable. Sous sa pèlerine usée, la jeune fille tremblait comme une feuille, dévorée de l’intérieur par le feu de la fièvre.

Lorsqu’il la vit entrer, l’aubergiste de la taverne de « La Dernière Chance » se précipita vers elle les mains en avant.
« Non, non… vous ne pouvez pas entrer ici… nous ne voulons pas de mendiante ! Partez, je vous en prie ! »

Isil leva vers le tavernier ses grands yeux bleus fiévreux et murmura d’une voix plaintive.
« Je vous en supplie, pour l’amour de Mitra… il pleut, j’ai froid, j’en peux plus de marcher, je ne vous demande rien que de me laisser prendre un peu de repos et un verre d’eau… »

L’homme n’était pas un méchant bougre. Une onde de pitié l’envahit face à cette fille, presque encore enfant. Il la laissa entrer pour l’installer au fond de la taverne, tout près d’une cheminée secondaire qui réchauffait une pièce plus petite et vide, discrètement séparée de la grande salle par une épaisse tenture.
« Repose-toi ici au chaud. Tu pourras y passer la nuit et quand les clients seront partis, je te donnerai de quoi manger. En attendant, voici de quoi boire, ajouta-t-il en lui tendant une cruche remplie d’eau. »

Isil ne se le fit pas dire deux fois et s’allongea dans un recoin sombre en se couvrant de sa pèlerine. On ne distinguait plus ni son visage, ni ses cheveux quand elle s’endormit.

Lorsqu’elle se réveilla, elle perçut des murmures de personnes qui discutaient à voix basse derrière la tenture.
« Herana, j'ai de mauvaise nouvelle, disait une voix masculine. Mon frère et moi sommes partis vers le nord, entre la frontière d’Asgard et la nôtre... Nous n’avons retrouvé que des corps… plein de corps mutilés et décapités. »

Du bout des doigts, Isil écarta le bas de l’épais rideau. L’homme qui venait de parler lui tournait le dos et portait de longs cheveux bruns ainsi qu’une épaisse barbe noire qu’elle aperçut lorsqu’il tourna à demi la tête. Il devait être cimmérien d’après son accent et parlait à une jeune femme vêtue comme une aquilonienne bien qu’apparemment de même type. Cette Herana faisait face à Isil mais ne s’était pas aperçue qu’on les observait. Elle était vêtue d’une tunique bleutée, d’un pantalon de soie blanc et était chaussée d’une riche paire de bottes en fourrure claire. Sa longue chevelure ébène, ses yeux de félin sombres comme des diamants noirs, accentuaient un visage à la forme triangulaire mais de toute beauté quoiqu’un peu sévère, sur lequel ressortaient deux jolies pommettes légèrement rosées qui en atténuaient la dureté. Elle était jeune et devait avoir environ vingt cinq ans.
« Continue Malec, demanda-t-elle. »

Isil laissa retomber le rideau et referma les yeux. Elle ne comprenait pas la teneur de leur conversation mais à certains moments quelques bribes lui firent dresser l’oreille :
… le vieux cadran… infiltration… prison… Demetros…

Demetros ! L’homme pour qui travaillait Marak le fourbe ! Le cœur battant, Isil se releva péniblement en s’aidant de son arc, laissant à ses pieds sa besace par l’ouverture de laquelle on pouvait apercevoir la poignée brillante d’une épée richement incrustée de pierres… Elle laissa tomber sa cape sur le sol et rajusta sa tunique élimée, serrée à la taille par une ceinture usée, en ramenant au mieux les pans sur sa poitrine. C’était le seul vêtement qui lui restait et tout ce qu’elle avait sur la peau. Timidement elle écarta un coin de la tenture et s’avança de façon à la laisser retomber derrière elle.
« Pardon, fit-elle en murmurant d’une voix qui peinait, je ne voulais pas vous déranger… »

Isil regardait la femme comme si elle voulait imprimer son visage dans sa mémoire en évitant soigneusement de poser les yeux vers la nourriture posée sur la table et qui lui paraissait tellement abondante, alors que son estomac était vide depuis plusieurs jours. Elle se sentit vaciller.

Herana s’était interrompue et regardait l’inconnue avec inquiétude, la main posée sur la garde de son épée prête à jaillir du fourreau.
« Qui es-tu ? demanda Malec. Hé ! Réponds quand je te parle ! »

Il avait sorti  une dague et la tenait pointée vers le cou de l’intruse.
« Doucement, fit Herana, ne vois-tu pas qu'elle est dans tout ses états ? »

En baissant ses yeux brillant de fièvre, Isil continua le souffle court.
« Je ne voulais pas vous espionner… j’ai entendu malgré moi… vous avez parlé d’un certain Demetros… et je ne pense pas que vous soyez des amis à lui… j’ai besoin d’aide pour pénétrer chez lui… trouver un certain Marak pour le tuer… »

Ses jambes tremblaient et tout son corps frissonnait sous l’effet de la température qui s’était élevée à cause de la proximité du feu de cheminée. Elle était visiblement à deux doigts de s’écrouler.
« J’ai besoin d’aide… répéta-t-elle. »

Elle s’appuya sur son arc pour soutenir son effort et une larme glissa sur sa joue.

La tenture s’écarta de nouveau et l’aubergiste apparut en posant la main sur l’épaule d’Isil.
« Cette jeune femme vous ennuie messieurs dames ? J’en étais sûr, une mendiante… Veuillez me pardonner, je m’en vais de ce pas vous en débarrasser ! »

Le barbare cimmérien tourna son imposante masse musculaire vers le patron.
« Laisse-là tranquille, tavernier, et occupe-toi de tes affaires.
— Mais, cette...
— Il suffit !
— D'accord, d'accord... c’est votre problème après tout… »

Le tavernier battit en retraite tandis qu’Isil s’écroulait. Herana la rattrapa de justesse dans ses bras.
« Hé là ! Doucement... »

Elle l’assit sur une chaise.
« Ça va aller ? »

Puis se tournant vers l’homme.
« Vite, Malec ! Retourne en Cimmérie et préviens Irich et les autres que l'attaque sera pour bientôt... Je l'espère.
— Entendu… Bonne chance ! ajouta-t-il en posant sa main sur l'épaule de sa compatriote. Fais attention à toi ! »

Il partit. Herana se mit à genoux à côté de la jeune femme dont les yeux s’étaient fermés à bout de force et lui tapota la joue. Comme Isil glissait sur le côté, elle la remit d’aplomb sur la chaise.

L'espace avait fini par se transformer en un puits sans fin dans lequel Isil tombait. La fin de toute chose, un néant qui dissolvait les âmes... Elle sentait ses forces l'abandonner. Ses pensées étaient déjà ailleurs et ses souvenirs remontaient à la surface du lac de sa mémoire. Elamir... une lumière blanche l'entourait... puis la lumière vira au rouge sanglant et le visage difforme de Marak apparut dans son rêve. Il tenait dans sa main droite la tête de son père et dans l'autre celle de sa mère tandis qu'à ses pieds brûlait son village...

Du fond de l'abîme une voix se faisait entendre.
« Doucement... tu m'entends...... »

Un écho faisait résonner ces paroles comme dans la plus profonde des gorges de montagne...
« Doucement.... doucement.... oucement.... cement.... ment.... »

Isil sentit les mains qui la soutenaient la redresser. L'écho reprit.
« Hé, jeune fille ! Tu tiens le coup ? Oh, je te parle... C'est qui ce Marak ? Je te parle !... »

Devant elle une coupe d'eau... l'eau de la vie... l'eau qui ramène l'esprit au corps... qui ranime l'âme qui part... pas l'eau du Styx, non, mais celle de la Corne d'Abondance qui donne la vie...

Machinalement Isil étendit la main vers la coupe que lui tendait Herana et la déversa dans sa gorge desséchée par la fièvre...

Marak... l'être infâme qui la voulait et qui avait livré son peuple aux pillards vanirs...

Elle rouvrit des yeux bouffis par la fatigue, la privation, le manque de sommeil et les leva vers celle qui se tenait auprès d'elle.
« Je m'appelle Isil... bafouilla-t-elle... j'ai froid... j'ai faim... »

Elle ferma les yeux un instant et fit appel à toute la réserve d'énergie qui se trouvait au fond de son âme. Elle se redressa un peu.
« Marak ? murmura-t-elle. C'est le diable en personne... tout mon peuple... les Vanirs... Elamir, mon amour... »

Lorsque le visage d’Isil retomba sous l’effort, Herana mesura l’ampleur de l’épuisement dans lequel elle se trouvait et la transporta pour la reposer auprès du feu, appuyée contre le mur. Elle ôta sa propre cape et en entoura la pauvre jeune fille morte de faim, avant de lui tendre un plat auquel elle n’avait pas touché.
« Tiens, mange, reprends des forces. »

Isil rouvrit les yeux avec difficulté… la guerrière lui tendait un plat en bois dans lequel sentait bon de la viande cuisinée avec des légumes. Elle s’en empara avidement et y plongea ses doigts pour saisir la nourriture et la porter goulûment à sa bouche tel un animal affamé.

Herana posa la main sur son épaule afin de la rassurer et afficha un petit sourire.
« Mange doucement… c'est ça… C'est bon hein ? »

Elle souffla longuement.
« Eh bien jeune fille, je n'aurais jamais pu supporter de voir quelqu'un mourir de faim devant une table bien garnie... Isil… Isil, ce n’est pas d'ici ? D’où viens-tu ? »

Puis, elle se rappela que la jeune femme avait évoqué des mots comme « Vanirs », « peuple » et le nom de son « amour ».
« Oui, tu viens du nord, il y a pas de doute. Raconte-moi, pourquoi vouloir tuer cet homme… ce Marak ? Tiens, voilà de l'eau... »

Le temps égrena ses minutes. La guerrière avait pris place sur un tabouret de bois devant la jeune fille assise par terre près du feu. Quand elle fut rassasiée, Isil souleva un regard reconnaissant vers sa bienfaitrice et jeta un oeil vers sa besace comme pour s’assurer que tout ce à quoi elle tenait était toujours là, sur le sol.

Quelques forces lui revinrent et elle leva la tête vers les poutres du plafond. Marak… par où commencer ?

Lentement, Isil entreprit son récit, entrecoupé de pauses pour reprendre son souffle toujours court. Comment Marak qui la voulait pour femme avait défié son fiancé… comment vaincu il avait essayé de l’assassiner avant d’être banni… Elle narra à coups de phrases brèves, taillées à la hache, l’agonie et l’extermination de son peuple et son propre martyre au terme duquel Ragnard l’avait laissée pour morte.

Des larmes coulant sur ses joues rougies par la fièvre, elle raconta son errance, les loups qui l’avaient sauvée de la mort… Hiivsha… « La Panthère Noire »… Ragnard … sa fuite… et maintenant Marak qui servait Demetros et qu’elle ne pourrait atteindre que de l’intérieur de la citadelle des Adorik…

Elle était visiblement épuisée et n’aurait jamais la force d’aller plus loin. Regardant la femme assise devant elle, Isil murmura.
« Merci madame. »

Herana reprit le bol vide à présent pour le reposer sur la table.
« De rien et appelle-moi Herana, répondit-elle d'un sourire. Finalement, beaucoup trop de femmes du Nord sont destinées à perdre leur virginité dans de tristes conditions, ajouta-t-elle en marmonant. Mais, je te comprends, Isil, la vengeance nous hante ensuite nuit et jour. Notre vie n'est plus rien, seul le sang compte. »

Elle observa longuement le sol, perdue dans de profondes pensées.
« Plus de sentiments… savoir aimer… être aimé aussi… plus rien, c'est vide. Le coeur est rempli de haine et de rancoeur… Seul le goût du sang sur nos lèvres est le remède contre le suicide... »

La cimmérienne la regarda à nouveau.
« Tu as fait un long voyage et je n'ai pas envie de te laisser ici. D'un, parce que le tavernier va sûrement te jeter dehors ou te livrer à des types malhonnêtes qui te réduiront de nouveau en esclavage ou au mieux te laisseront crever dans un coin sordide... Et de deux… parce que je n'ai plus d'argent sur moi hormis pour payer le repas... »

Elle posa une petite bourse presque vide sur la table et se baissa au niveau d’Isil.
« Je ne te laisse pas le choix, allez, grimpe sur mon dos. »

Herana l’aida à se hisser sur elle, les bras autour de son cou et les jambes maintenues sur ses hanches par ses bras fins mais musclés.
« Tu es brûlante... observa-t-elle. Pourvu que tu tiennes le coup ! »

Elle sortit de la taverne avec son fardeau dans les rues sombres. La pluie s’était calmée et le campement où elle retournait n’était pas trop loin, sur une place de la ville. Heureusement, car la jeune fille était un poids mort malgré tout, lourd à porter.

De retour au camp désert, le feu était éteint, les gens dormaient, la lune était à son zénith dans le ciel noir. Minuit.

La guerrière ouvrit sa roulotte, d'un coup de pied, pas trop fort... C’était une banale roulotte pauvrement meublée : un miroir, une petite table, des tabourets et un grand lit. Il y avait des caisses de bois, de grande taille et un sac de lin très lourd, dont seule la guerrière connaissait le contenu.

Herana posa Isil sur son lit et la déshabilla.
Cela tombe bien, pensa-t-elle, Nyrina n’est pas là.
« Voilà, tu seras bien comme ça ! »

La cimmérienne récupéra des vieux draps dans sa malle, ainsi qu'une couverture de laine avec lesquels elle couvrit la malade avant de lui tendre une coupe d’eau.
« Attends... Tiens, bois ça. Allez ! fit-elle en lui redressant légèrement la tête d’une main passée derrière sa nuque. Repose-toi à présent. Vu que tout le monde dort, je vais m'asseoir sur cette chaise et attendre ici. Demain, si tu te sens mieux, on parlera. Promis. Si je fais tout cela, c'est dans un but précis, hein… pas que pour tes beaux yeux ! »

Elle se mit à sourire pensivement.

Isil faisait un rêve. Elle était ballottée de droite et de gauche sans comprendre. Elle enserrait quelque chose sans savoir quoi... un tronc d'arbre flottant sur une rivière tumultueuse dans laquelle elle était tombée et qui la maintenait hors de l'eau... une racine au bord de la falaise qui l'empêchait de tomber dans le vide... une main secourable... un dos... des épaules solides qui la portaient...

Elle tomba. Elle sentit sous son corps nu la caresse d'un lit. Une douceur bienfaisante qu'Isil n'avait plus connue depuis trop longtemps. Elle porta instinctivement sa main sur son épaule et murmura.
« Mon sac... mes armes... »

Herana regarda la jeune femme blonde, confuse et finit par dire doucement.
« Zut ! Ses armes ? Son sac sans doute… Bon, j'y retourne. Maintenant tâche de dormir, d'accord ? Je vais te ramener tes affaires. »

Lâchant un dernier sourire elle se hâta vers la taverne. Ce fut rapide. Le tavernier avait tout entassé dans un coin, en attendant sans doute de les vendre. La guerrière se montra persuasive et il n’osa pas discuter devant son visage fermé et la dureté de son regard. Il rendit tout, même l'arme d'acier, qu’Herana observa avec l’attention d’une professionnelle.
Plutôt lourde pour une épée de jeune fille… mais bien équilibrée... Plutôt une arme de guerrier ! Qui es-tu donc vraiment, Isil ?

Elle retourna dans sa roulotte et posa l'arme près de la jeune fille qui dormait à poings fermés. Elle s'installa sagement sur sa chaise, se regardant dans un miroir qui lui faisait face, une bonne partie de la nuit.

Pendant plusieurs jours elle soigna Isil, lui faisant avaler des potions pour aider la fièvre à retomber. Les tremblements qui agitaient sporadiquement ses membres s’estompèrent puis disparurent. Le sevrage de la drogue au lotus noir prenait fin et la jeune fille commençait à reprendre le dessus. Ses nuits paraissaient moins agitées, ses cauchemars s’espacèrent et son visage reprit progressivement des couleurs.

………………………………………..

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsqu’Isil ouvrit les yeux. Elle avait dormi fort longtemps, un temps qu’il lui était impossible de mesurer.  Cependant elle se sentait un peu mieux. Sa fièvre avait nettement diminué et même si elle n’était pas encore dans l’état de soutenir un combat, elle se sentait de force à bander son arc.

Isil regarda l’étrange endroit qui l’abritait : une roulotte. C’était surprenant. Tout contre elle, quelqu’un avait posé son épée et à ses pieds elle retrouva son sac avec sa dague, son carquois et son arc. Elle s'habilla puis, prenant le tout, elle sortit de la roulotte et se retrouva en bordure de ce qui était sans aucun doute un petit cirque ambulant. Les alentours en étaient pour l’instant déserts. Il faisait chaud et le soleil brillait fort. Un peu plus loin, vers la sortie de la ville, s’écoulait une grande rivière qui chuchotait le long des plages de galets qui la bordaient. Elle partit dans sa direction et remarqua un petit baquet en bois sur lequel traînait un morceau de savon destiné très probablement à laver du linge. Elle le ramassa et continua vers la rivière en traversant de grands fourrés parfaits pour la dissimuler à la vue d’éventuels passants. Il n’y avait apparemment personne sur la berge et Isil posa son sac puis défit sa ceinture et fit glisser le long de son corps sa tunique déchirée. Sans plus se préoccuper que quelqu’un puisse l’observer dans cette tenue et dans cette position, accroupie, penchée sur l’eau claire, elle entreprit de laver son vêtement du mieux qu’elle le put avant de le disposer sur un buisson pour le faire sécher.

Elle pénétra ensuite dans l’eau vive jusqu’à la taille et se lava avec un délice non feint, jusqu’à ce que le savon ait complètement fondu. Elle se sentait si bien ainsi, enfin propre, qu’elle demeura plus d’une heure dans l’eau, la plupart du temps les yeux fermés, la tête en arrière, ses longs cheveux ondulant au gré du courant.

Puis elle s’en revint vers ses affaires et s’étendit sur les galets pour se faire sécher au soleil.

Lorsque ses vêtements furent secs, elle revêtit sa tunique qui, sous les intempéries de sa longue fuite depuis Tarentia, avait bien rétréci. Les fibres s’étaient tellement resserrées qu’elle avait à présent bien du mal à recouvrir convenablement sa poitrine. Considérant également sa longueur qui lui arrivait à grand peine à mi-cuisses, elle songea qu’il lui faudrait sérieusement envisager d’en chaparder une autre sous peu. Mais pas dans ce campement ! On ne vole pas ceux qui vous ont recueillie.

Elle retourna vers les roulottes du petit cirque et s’assit sur un tonneau vide puis entreprit de passer une corde à son arc qu’elle banda plusieurs fois afin d’en éprouver la tension qu’elle réglait toujours très forte pour obtenir plus de puissance.

Sortant de sa roulotte, Herana remarqua la présence de la jeune fille, assise, qui ne parlait qu'avec ses pensées et ses songes. Elle sourit et nota avec bonheur sa meilleure mine.

S’installant sur un autre tonneau proche de la jeune blonde, la guerrière goûta un instant la tranquillité à peine troublée par les bruits de la ville qui parvenaient jusqu’à la petite place.
« La Cimmérie me manque, soupira-t-elle à voix haute. Malgré les guerres et tous ses problèmes, ça reste un beau pays… ses paysages et ses vastes montagnes nappées de neiges éternelles me font défaut… ainsi que la chaleur de ses clans. »

Herana comprenait la jeune fille car elle-même avait vécu le même carnage. La mort de son père, de sa mère, de son frère et même de son enfant... Il ne lui restait que sa petite soeur Kathleen, captive dans la maison de Demetros lui-même... C’était selon la Cimmérienne, un véritable présage qu’Isil, qui cherchait aussi à s’infiltrer dans la demeure des Adorik, soit entrée accidentellement en contact avec elle. Un signe de Mitra qui ne pouvait être que bénéfique.
« Tu l'as peut-être compris, reprit-elle sans vraiment regarder Isil, mais nous ne sommes pas de vulgaires gitans et clowns. Autrefois, on nous appelait les « Loups de Siobhan » puis les « Loups du Vanaheim »… Siobhan est maintenant morte et nous avons été trahis par nos propres frères. Les seuls survivants, c'est nous et quelques autres enfermés dans la prison de la famille Adorik... »

Elle se perdit de nouveau dans ses pensées avant de hausser les épaules et de reprendre à nouveau son monologue.
« Je ne suis pas là pour eux, c'est un hasard... Mais, ça ne me déplait pas de revoir d'anciens amis que j’ai cru brûlés et partis aux côtés de Crom... »

La jeune archère observait cette étrange guerrière du coin de l’œil sans rien dire.
« Vois-tu Isil, continuait cette dernière, Demetros, l'homme qui emploie celui que tu recherches, est un homme très puissant. Il est prêt à tout pour tuer les Loups… enfin, ceux qui restent… pour nous tuer. Pourquoi ? C’est comme pour toi ou moi : la vengeance. »

Elle pointa son doigt vers l'arc qu’Isil tenait entre ses doigts.

« J’ai parlé de toi à Maleo, un autre loup libre et il est d'accord pour que tu te joignes à nous si tu as la force de te battre... Tu sais te servir de ça ? »

Isil avait écouté Herana en silence. Elle sentait en elle de la sincérité et une compréhension qui n’était pas de la pitié… elle n’aurait pas voulu de sa pitié… Mais Herana et elle, semblaient avoir souffert presque sur le même chemin. Herana dans la chair de sa famille et la chair de sa chair, son enfant… Isil dans la chair de sa famille comme elle, et dans sa propre chair qu’elle avait finie par rejeter…

Toutes deux poursuivaient un but presque similaire. Herana, retrouver sa sœur … Isil, tuer Marak… Mais après ? Elle n’aurait plus rien pour l’aider à vivre… ni haine, ni amour… rien que le dégoût d’elle-même et la certitude de ne plus jamais pouvoir aimer… du moins en était-elle persuadée.

Isil n’avait pas de compagnons de route et ne se voyait pas revenir à Orandia pour le moment. Elle se sentait désespérément seule… alors pourquoi pas ?
« Oui, murmura-t-elle enfin… oui je veux bien venir avec vous… et oui, je sais me servir de cet arc. »

Elle extirpa habilement une flèche de son carquois, banda son arc avec une force insoupçonnée et décocha la flèche qui alla se ficher dans le tronc d’un énorme chêne… du genre qu’on ne pouvait manquer à cinquante mètres, même les yeux bandés.

« Pas mal, pour une ex-malade ! dit Herana  avec un sourire en coin. Mais il n’était pas bien difficile à un archer même moyen de toucher le tronc.
— Ce n'est pas l'arbre que je visais, répondit posément Isil, mais l'araignée qui est maintenant écrasée sous la pointe de ma flèche... elle est morte un peu à cause de toi... ajouta-t-elle malicieusement en esquissant un pauvre sourire. Je ne rate jamais ma cible et Marak non plus, je ne le raterai pas !
— Non, tu ne le manqueras pas... Mais, avant toute chose, penses-tu que c'est la seule chose à faire ? Mérite-t-il de mourir ? Même si cet homme est le diable... Je me pose souvent cette question...  Tuer un soldat, un guerrier, un homme se battant pour une cause, n'affecte personne. Mais tuer quelqu'un de déjà mort… J’ai l’impression que c’est un peu lui redonner la vie. C’est en tout cas ce que je pense… »

Isil avait bien du mal à suivre les pensées tortueuses de la Cimérienne et secoua la tête.
« Marak moura de ma main, dit-elle d'un air sombre. Je dois le faire pour me libérer de tout cela... »

Elle resta un long moment la tête baissée, pensive.
« Oui, il mérite de mourir… marmonna-t-elle comme si elle se parlait à elle-même. »

Un peu plus loin, un être étrange les observait depuis son repaire de halliers fleuris, à l’extrémité sud du camp. Drim était un être sombre et complexe qui ne recherchait la compagnie de personne et surtout pas celle des êtres inférieurs. Solitaire, il était à l’opposé des instincts d’une meute, communauté naturelle pour un loup. Pourtant, il était satisfait d’avoir rejoint une réunion composée d’êtres, trempés pour la plupart dans le même acier solitaire que celui qui composait l’armature de son âme. Car la réunion de ces loups était pour l’heure peu naturelle et forcée par des événements qui avaient habilement relié les fils de tous ces destins individuels, pour en tisser une toile unique dans laquelle ils étaient venus se faire prendre comme des moucherons dans le piège de l’araignée.

Drim se considérait comme un être spirituel et l’idée de nouer des liens avec d’autres existences risquait selon lui de nuire à l’intégrité de son esprit. Il considérait que l’âme d’un homme commandé par ses émotions ne pouvait qu’être entachée par de nombreuses failles dont il redoutait la contagiosité. Néanmoins, il marcha vers les deux femmes et les gratifia d’un bref salut prenant la forme d'un hochement de tête.

Isil leva la tête et le voyant qui leur adressait un petit signe, lui lança avec un sourire :
« Bonjour monsieur l'inconnu ! »

La conversation semblait s'être amorcée sans qu’il sache vraiment pourquoi il était venu l’entamer, et il fit un effort sur lui-même pour ne pas afficher à son insu la répugnance que lui inspirait cet échange inutile et non constructif.
« Salutations, jeunes femmes, dit-il, balayant de son regard les deux combattantes qu’il jugea effarouchées du haut de sa suffisance. Alors ? Est-ce la nécessité d'une main amicale qui pousse vos pas dans notre direction, ou bien la peur panique d'un ennemi rôdant dans votre dos ? »

Les deux femmes semblaient dans l'expectative face au Turanien contrarié qui n’avait au fond de lui aucune envie de poursuivre un échange de paroles convenues. Il avait prononcé ces quelques mots avec une telle suffisance retenue qu’Isil en resta sans voix, tandis qu’il leur tournait le dos et s’éloignait sans attendre de réponse, considérant sans doute qu’il avait atteint le maximum de la condescendance dont il se sentait capable.
« Quel drôle d’oiseau, murmura-t-elle enfin. Qui est-il ?
— Il s’appelle Drim, répondit simplement Herana. »


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Dernière édition par Hiivsha le Jeu 28 Nov - 20:15, édité 1 fois
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Hiivsha

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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 28 Nov - 20:14

Devant l'enthousiasme général, je me permets de poster la suite qui ne manquera pas de vous captiver Wink 

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20 - La diversion


Le soir était tombé et Isil, assise dans l’herbe contre une roulotte, observait un homme qui se tenait debout, immobile autour du feu depuis un long moment, comme perdu dans des pensées profondes. C’était Maleo, celui qui semblait donner des ordres à toute la petite troupe dont elle n’avait jusque là aperçu que des visages furtifs et discrets. Seules deux personnes étaient venues la trouver : l’étrange turanien nommé Drim et un cimmérien appelé Hepner, bel homme et très souriant, qui lui avait fait bonne impression. Sa courte conversation lui avait mis du baume au cœur car Isil se sentait parmi eux totalement étrangère jusqu’à se demander parfois, si elle était vraiment la bienvenue.

Si ce n’avait été Herana et l’idée de pouvoir pénétrer dans la demeure fortifiée des Adorik, elle se serait enfuie de ce campement sans demander son reste. Mais déjà, elle sentait naître en elle un curieux sentiment d’affection pour la brune cimérienne et ne voulait pas la décevoir.

Isil nota que quelques autres « loups » s’étaient rapprochés du feu en silence et les flammes jetaient sur eux leur lumière dansante qui accentuait cette impression de complot qui flottait dans les airs.

D’une roulotte sortit une femme, une autre cimmérienne sans doute aux cheveux longs et bruns légèrement ondulés qui la chercha du regard avant de s’approcher d’une démarche féline.
« Isil je présume ? Enchantée de faire ta connaissance. Je suis Nyrina, Thane des Cerfs Blancs. »

Elle mit une main sur sa poitrine et inclina la tête, de manière quasi imperceptible. Isil leva ses grands yeux bleus un peu perdus et un sourire se dessina sur son visage.
« Oui, je m'appelle ainsi… »

La jeune fille se releva très lentement et plia un genou avec grâce.
« Moi aussi, je suis enchantée de vous connaître... j'ai l'impression d'avoir tant de monde à connaître ce soir... et je ne sais pas pourquoi..."

Isil échangea quelques amabilités avec la thane, puis celle-ci lui demanda d’approcher du feu comme les autres en lui laissant présager un départ tout proche.
« Je vais donc chercher mes affaires, répondit doucement la jeune fille… je n’en ai que pour un instant… »

Dans la roulotte Herana, à moitié nue, campait devant son miroir tout en s’équipant d’une armure de cuir et de tout ce qui allait avec. Isil admira ses épaules puissantes et la finesse de son corps malgré des muscles saillants habitués à l’exercice physique, sa poitrine ferme et altière, mais remarqua surtout la dureté de son visage et l’expression résolue de son regard. La jeune fille bafouilla timidement un mot d’excuse qui resta sans réponse puis s’approcha de ses affaires. Elle glissa la dague qu’Elamir lui avait offerte pour ses dix-sept ans — trois ans déjà — dans le fourreau de sa ceinture de cuir et elle ajusta la grande épée de son père — forgée également par Elamir et Vaener le maître forgeron de Valaar — dans un grand fourreau rigide qu’elle passa en bandoulière dans son dos. Enfin elle croisa son carquois avec l'épée, prit son arc qu'elle posa sur une épaule, plia sa cape qu'elle mit dans sa besace élimée et ressortit.

Timidement elle approcha du feu la tête baissée, accompagnée par la thane qui l’avait patiemment attendue. Maleo, assis,  regardait attentivement tous les autres prendre place en cercle autour du foyer crépitant... Il venait d'interpeller un certain Calintz pour l'envoyer chercher quelque chose caché dans une forêt...

Isil se plaça sans dire un mot à côté de Nyrina et se sentit un peu honteuse de son manque d'équipement ainsi que de ses habits qui ressemblaient plus à des haillons qu’autre chose, quand les autres paraissaient fin prêts pour partir au combat. Pour se consoler, elle se dit que pour abattre quelqu'un avec son arc, elle n'avait besoin ni de bottes, ni d'armure...

Elle regarda tour à tour ces visages qui ne lui évoquaient encore, pour la plupart, aucun nom... mais elle pensa que cela viendrait sans doute en son temps.

Discrètement, Isil observa Drim, l'étrange personnage qui leur faisait signe. Le turanien présentait la silhouette inquiétante d'un homme en grande partie dissimulé dans des bures grisâtres, le visage dans l'ombre d'une capuche. Il paraissait sombre, le teint couleur de miel brun, les traits durs sans émotion. La jeune femme lui sourit timidement. Son père lui avait appris à ne pas juger un être sur ses apparences extérieures... mais elle se demanda de quelle trempe il était et ce qu'il pouvait bien y avoir au fond de son âme.

Maleo, le shaman, regarda tout à tour chacun des visages en marmonnant quelque chose d’indistinct et se releva, le regard subitement clair, le visage grave et tendu, en rajustant son manteau de fourrure noire.
« Asseyez-vous ! ordonna-t-il à l’attention des Loups présents. Il y a des choses que je dois vous dire maintenant. »

Il prit une longue et profonde inspiration.
« Ce soir, nos efforts vont enfin être récompensés. Nous avons reçu un message par les valets de Demetros nous demandant de divertir cet infâme seigneur d'Adorik ce soir. »

Le Cimmérien eut un rictus énervé et dégoûté en prononçant ce nom.
« Alors il n'y a pas de temps à perdre, l'effet de surprise sera a son zénith sous peu et nos meilleures chances de réussite dans le même temps, acheva-t-il en expirant complètement. Vous allez donc tous vous préparer à faire diversion en amusant de votre mieux l'assemblée de ce soir et pendant qu'ils se divertiront, ceux d'entre nous qui sont déjà dans la place libéreront et feront échapper les prisonniers... »

Maleo observa chacun des Loups présents.
« Ce n'est pas la peine que je vous en dise plus pour le moment, mais il y a deux choses importantes que vous devez garder à l'esprit... continua le Shaman tout en replongeant son regard dans le feu crépitant. Premièrement, ne montrez jamais votre visage et ne vous appelez jamais par votre nom. Si quelqu'un le voit ou l'entend, il devra mourir… »

Maleo leva un deuxième doigt devant lui.
« Deuxièmement, aucun des Loups ne doit être laissé vivant sur place, sous aucun prétexte... »

Et il lança sur eux un regard sévère et triste à la fois.
« Les blessés intransportables devront être achevés. »

Isil frissonna malgré elle, impressionnée par la solennité du moment et la gravité qu’elle pouvait déchiffrer dans chaque regard. Le Shaman voulait faire comprendre à tout les Loups l'importance de la tâche qu'ils allaient accomplir, et celle-ci ne serait une victoire totale que si, et seulement si, leur visage et leurs noms restaient un secret pour toutes les personnes potentiellement dangereuses pour les Loups.

Il se retourna à nouveau vers l’assemblée réunie.
« J'ai fait préparer des capes pour tout le monde, elles nous aideront à passer inaperçus et dissimuleront nos visages… la nuit fera le reste. »

Il montra du doigt un tas de vêtements dans l’une des carrioles, marcha jusque à eux et en revêtit un comme pour montrer l'exemple.

Alors que les autres Loups commençaient à l’imiter, Maleo interpella Herana d’un geste qui la fit venir près de lui et murmura quelque chose à son oreille tout en jetant un coup d’œil vers Isil puis Hepner. Il se retourna vers les Loups de nouveau.
« Maintenant, préparez vous, camarades, dit-il de sa voix caverneuse et convaincue, nous partirons dans quelques minutes. »

C'était enfin arrivé... Ce n'était plus qu'une question de temps pour Herana la guerrière, impatiente de retrouver sa soeur et de fuir le plus loin possible de ce pays rempli de haine et de mal. Elle s'avança vers la jeune blonde, Isil et jeta près d'elle un sac.
« Une tunique en maille, des brassards ainsi que des bottes renforcées en cuir... Ne me remercie pas, je ne pouvais quand même pas te laisser partir si peu vêtue... vite, si tu ne veux pas manquer l’heure de la vengeance ! »

La Cimmérienne lui tourna le dos et observa chaque membre de cette troupe qu'elle côtoyait depuis trois longues semaines avant de retourner dans sa roulotte pour y prendre un dernier objet... Dans un coffret, qu'elle ouvrit à l’aide d’une clé dorée, se trouvait son trésor : un collier ou plutôt un gri-gri, fait de dents et d'autres matières difficiles à identifier...
« J'arrive, petite soeur, j'arrive... murmura-t-elle. »

Herana était bien équipée : une petite hachette sous sa cuisse gauche, trois dagues de lancer contre l'autre. Une épée de taille moyenne sur le côté ainsi qu’une longue aux formes destructrices dans son dos. Venaient s’ajouter un arc et son carquois plat qui n’emmagasinait que dix flèches aux pointes ravageuses. Elle se regarda dans la glace sale. Un dernier regard. Posée à côté, une fiole remplie d'une substance étrange qu’elle avala d’une traite. Puis, elle appliqua avec soin une sorte de peinture noire sur son visage. Le même rituel depuis ses dix-sept ans, depuis neuf années d’une guerre longue et porteuse de sang. Mais cette soirée était spéciale, elle suivrait ses propres règles...
Par Crom... J'ai changé. Que suis-je devenue ? Je ne me reconnais plus, j'ai tellement changé... Mais peut importe, ce que je vais faire, je ne le ferai pas pour moi, mais pour toi, petite soeur...

Elle resortit de sa roulotte, rejoignant les autres, prête pour le grand soir.

Pendant que la guerrière se préparait, Isil avait saisi le sac jeté à ses pieds par Herana et s’accroupissant, l’avait ouvert. Personne ne disait mot autour de ce feu. C’était sinistre. La chaleur humaine ne paraissait pas être le fort de cette curieuse compagnie, du moins en ces instants que la jeune fille sentait empreints d’une gravité oppressante. Pas de rires, pas de plaisanteries, rien… le moindre mot prononcé avait son utilité. Elle se releva et loin de se préoccuper de la compagnie qui l’entourait, se dénuda entièrement en ôtant sa tunique de tissu qu’elle plia et rangea dans son sac, pour revêtir la tunique de mailles. Elle ajusta les brassards bien maladroitement, prouvant qu’elle n’avait pas l’habitude de revêtir des habits guerriers, puis s’accroupit et enfila les bottes renforcées.

Ainsi accoutrée, elle alla s’enquérir d’une de ces capes que Maleo avait désignées, se glissant dans l’une d’elle avant de revenir près du feu. Puis, s’approchant du foyer et s’empara d’un morceau de charbon de bois avec lequel elle se macula le visage sous l’œil narquois d’un grand guerrier musclé à tête rasée qu’elle avait entendue appeler Soton.

Revenant à sa place, Isil imita le nommé Silgan et sortit sa dague pour inciser la cape de deux fentes : une pour sortir son épée, une pour accéder à son carquois. Puis elle remit son arc sur son épaule et reprit silencieusement sa place autour du feu tout en observant Herana qui revenait vers leur groupe.


Tout le monde était prêt et la nuit définitivement tombée. Maleo avait donné le signal du départ et la troupe s’était mise en route, lentement, silencieusement.
« Enfin, se dit la jeune fille en regardant s’ébranler le cortège. Nous y sommes ! »


Isil regarda ses compagnons et Drim, l’étrange et sombre Drim, dont elle ne savait rien, sinon qu’il avançait les mains dissimulées dans les emmanchements de ses vêtements et qu’il ne paraissait pas porter d’arme sur lui. Elle se demanda de quoi il était fait et quelle sorcellerie il portait en lui.

Le campement avait disparu à leurs yeux et maintenant la ville elle-même se fondait dans une obscurité à peine troublée par la lune et des nuages qui jetaient un reflet rouge sang sur la nuit.

Tandis qu’ils suivaient la route qui montait vers la colline, Maleo s’était retourné comme pour s’assurer que tout le monde suivait. Tout en haut, une grande et inquiétante demeure fortifiée offrait à leur regard une vision macabre.

C’est donc là qu’ils allaient ? Dans ce manoir se trouvait ce Demetros qui détenait leurs amis. Mais plus important encore pour la jeune fille, quelque part entre ces murs se trouvait Marak le traître.

Isil tremblait. Elle avait peur. Peur que Ragnard lui ait menti. Peur de perdre une nouvelle fois la piste qui devait lui permettre d’achever sa quête, d’accomplir sa vengeance… Peur également de l’après…

Maleo avait enveloppé sa tête avec la capuche de sa cape et Isil en fit de même. Elle se devait de rester concentrée pour être capable de faire exactement ce qu’on attendait d’elle et d’agir efficacement le moment venu.

Elle essaya de maîtriser son tremblement et de se calmer en s’efforçant de ne plus penser à rien.

Le Shaman se retourna vers les Loups en groupe derrière lui, eux-mêmes occupés à ajuster leurs dernières affaires. Tous paraîssaient concentrés, personne n'avait l'air d'avoir peur hormis la jeune fille blonde qu’Herana avait ramenée et qui semblait avoir du mal à réprimer ses frissons. Tout devait se dérouler tranquillement, sans faux pas... Normalement. Mais qu'adviendrait-il d'eux s'ils se faisaient repérer trop tôt une fois à l'intérieur de la forteresse ?

Il n'y avait pas de plan de secours et le Cimmérien ne savait pas si les membres de la meute en étaient conscients et s’ils l'étaient, alors, il ne pouvait que respecter leur bravoure et leur espoir. Il fit face à la demeure, grande, froide et macabre. Leur but était là-dedans, brisé dans l’ombre d’un cachot humide et insalubre et il ne savait pas que « ses » Loups arrivaient pour l’en sortir.
« J’ai fait atteler une carriole avec des coffres renfermant de quoi nous grimer pour le spectacle dans le but de ne pas être reconnus une fois la mission accomplie. Nous nous habillerons avant d’entrer en scène. Jusque-là, laissez votre visage hors de vue des gardes, entonna le Shaman à mi-voix pour ne pas être entendu plus que de nécessaire. »

La troupe continuait sa montée lorsqu’une mélodie s’éleva doucement dans la nuit. Le grand guerrier, Soton, fredonnait un vieux chant de guerre Cimmerien, dont il avait avec les ans oublié les paroles. La mélodie troubla le silence de mort qui régnait dans la sinistre procession. Puis il cessa et se mit à haranguer ses camarades.
« Compagnons, ce n'est pas avec vos têtes d'enterrement que nous passerons pour des saltimbanques... »

Le Shaman se retourna vers Soton, figeant son regard pour qu'il se taise alors que la petite troupe approchait des remparts. Les murailles qui se dressaient devant eux paraissaient infranchissables. Deux immenses tours encadraient la double porte de la propriété entièrement protégée par des murs de plus de trente pieds de haut.
Sur le chemin de ronde, on apercevait les silhouettes des gardes qui déambulaient sous la clarté de la lune.
« Ils sont bien mieux organisés que ce que je pensais… songea Maleo. »

Ils arrivèrent bientôt à la porte principale et les deux gardes levèrent leur pique vers eux. Deux archers dans chacune des tours du châtelet mirent en joue le petit groupe d’hommes qui venait de s’arrêter sous leurs yeux.

Maleo s’avança vers les soldats.
« Qui va là ? cria l’un d’eux.
— Nous ne sommes pas ici pour vous chercher querelle… énonça Maleo de sa voix la plus neutre, levant la main comme pour bien montrer qu’il n’était pas armé.
« Qui es-tu ? hurla l’autre garde sans même attendre la fin de la phrase.
— Nous sommes la troupe du cirque ayant humblement élu domicile dans la bonne ville de Belverus depuis plusieurs jours. J’ai personnellement reçu un message de votre maître, Demetros, nous demandant de venir le divertir au plus vite… alors nous avons fait diligence et nous voilà. »

Sous sa capuche le Shaman prit un sourire moqueur et de derrière ses longs cheveux grisâtres, une lueur malsaine apparut dans ses yeux. Le garde grommela quelque chose indistinctement. Apparemment il ne semblait pas être au courant de l’arrivée des saltimbanques.

Maleo reprit d’une voix plus grave en tendant un parchemin portant le sceau des Adorik.
« Montrez ceci à votre supérieur, je suis certain qu’il comprendra. »

Le garde s’avança vers le parchemin tendu et s’en saisit. Sans même le dérouler il courut vers la porte et disparut. Le silence retomba, angoissant, chacun scrutant de son mieux les murailles et les tours, comme si une surprise pouvait soudainement en surgir. Malgré lui, Maleo approcha sa main droite de son arme, la gauche prête à donner l’ordre d’attaquer…

Isil scrutait elle aussi la nuit, tentant d’imaginer ce qui se cachait derrière ces puissants remparts. Elle frissonna à l’idée que toute seule, elle aurait eu bien du mal à pénétrer dans la demeure qui abritait l’infâme Marak, sauf à y être invitée… et c’est certainement la solution qu’elle aurait été obligée de choisir si elle n’avait pas eu la chance de rencontrer Herana. Elle préférait de loin être là avec les Loups que seule, livrée entre les griffes d’un personnage que les gens de la ville n’évoquaient qu’à voix basse après avoir vérifié en observant autour d’eux que nul espion de la famille Adorik ne pouvait les entendre…

Isil se tenait en queue du convoi, se dissimulant dans l’ombre d’un chariot et déjà elle avait repéré des arbres derrière lesquels elle pourrait se protéger si les choses tournaient mal, pour abattre les soldats qu’elle distinguait dans les tours de guet. Elle tâta d’une main le haut de son carquois à travers la découpe qu’elle avait faite à sa cape à l’instar de Silgan et vérifia qu’au besoin, elle pouvait en deux secondes en saisir une flèche.

Le plus dur était d’attendre une action qui ne saurait qu’arriver tôt ou tard… Elle se demanda comment ensuite, elle parviendrait à trouver l’homme qu’elle était venue tuer. Isil regarda ses mains. Elles ne tremblaient plus, la tempête était terminée et elle redevenait maîtresse de son corps et de ses actes. Mais qu’arriverait-il une fois Marak mort, ce qui n’allait pas tarder à arriver si tout se déroulait normalement ? Quel chemin devrait-elle emprunter ? Où aller et avec qui ? Retourner à Orandia chez Hiivsha le magicien et devenir sa femme ? Pourquoi pas… mais saurait-elle l’aimer une vie durant ? Elle se trouvait bien trop jeune pour s’enfermer en bonne épouse dans une ferme, prisonnière d’un village trop étroit pour ses élans de liberté, et pour élever ses enfants… Continuer son chemin, errer sans véritable but, seule jusqu’à tomber sous les coups d’un ennemi plus fort et risquer de finir en esclave dans quelque riche propriété ou dans un bouge sordide ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle ne puisse épouser Elamir et vivre heureuse dans son pays natal qui lui manquait si cruellement ? Devait-elle retourner dans une région fantôme peuplée de souvenirs ? Pour faire quoi ?

Le garde était revenu pour porter l’accord de son supérieur et le cortège se remit en route à travers la grande entrée fortifiée. Isil se détendit et baissa soigneusement la tête pour ne pas se faire remarquer par les soldats.

La troupe traversa le châtelet et ils pénétrèrent dans une vaste cour au centre de laquelle était dressée une estrade, face aux fenêtres du logis du maître des lieux, une imposante bâtisse haute de deux étages.

Maleo venait de se retourner en lançant un coup d’œil à Herana. Il lui adressa un signe avec la main qu’il cachait dans son dos, avant de regarder impérieusement Isil et, sembla-t-il à cette dernière, Hepner, comme pour leur dire : « Suivez Herana ».

La cimmérienne ralentit sa marche pour se laisser rattraper par Isil qu’elle prit par les épaules tout en se rapprochant également d’Hepner, puis elle murmura à leurs oreilles.
« … au nord-ouest, vers la cour… une porte menant dans l’une des tours… on y va, en silence… »

Et tandis que la troupe se préparait fébrilement pour le spectacle destiné à amuser et à capter l’attention de l’ensemble des occupants du manoir, Isil emboîta sans hésiter le pas de la Cimérienne, en espérant que les gardes qui surveillaient les environs ne se retourneraient pas.


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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 28 Nov - 22:38

Salut Hiivsha,

il va falloir que je pense à tout copier, je vais être absent quelques semaines... et je ne sais pas encore quelles facilités j'aurai à me connecter à internet.

Mais j'aurai peut-être un peu de temps pour bétalire.
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeVen 6 Déc - 0:45

Ah, elle progresse la petite Isil.

Ils sont marrants ces Loups, un regroupement étrange de gens unis dans un même but.

Bon perso je préfère voir écrit "chaman" que "shaman", mais les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas Wink

En tout cas, l'attaque se précise !
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeVen 6 Déc - 10:40

C'est copié...
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MessageSujet: Re: [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini]   [Roman] L'Archère des Quatre Vallées (18+) [Fini] - Page 3 Icon_minitimeJeu 12 Déc - 0:22

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21 - L'explosion


Ils avaient couru dans l’ombre de la muraille, profitant du fait que les gardes, distraits par l’animation bruyante de la troupe qui s’activait, avaient momentanément baissé leur niveau de défiance.

La petite porte n’était pas fermée et pivota sur ses gonds. Herana entra la première avec le silence d’une panthère. Dans l’obscurité elle distingua un long couloir sombre qui s’enfonçait dans les murailles, faiblement éclairé par des torches chancelantes. Au-dessus d’eux elle distingua les pas lourds d’un soldat qui allait et venait sur un chemin de ronde donnant sur des meurtrières depuis lesquelles on pouvait observer l’extérieur de la forteresse. Une échelle permettait d’y monter.

La Cimmérienne s’accroupit légèrement et attendit que l’homme lui tourne le dos pour grimper silencieusement à l’échelle. D’un geste vif elle l’attrapa par la gorge et le fit basculer en arrière dans le vide, sautant derrière lui pour retomber sur son torse qu’elle transperça de sa dague. Ce fut bref et sans bavure. Un acte visiblement normal pour la guerrière qui se releva sans manifester aucune émotion.

Nettoyant sa lame ensanglantée, elle se tourna vers Isil.
« Vous pouvez retirer vos capes… toute personne qui nous croisera devra mourir ! Isil, personne ne t’a donc appris à ajuster des brassards ? Le fer, toujours de ce côté… il te permet de frapper l’adversaire si tu es en difficulté ou désarmée… comme ça… bien… »

Herana lui caressa doucement la joue en souriant. Isil sentit un frisson la parcourir sous le contact de la peau douce et se troubla. Hepner toussota.
« Prends bien garde à toi jeune fille, souffla la guerrière en se retournant. Bon, voici mon plan. »

Tandis qu’Isil se débarrassait de sa cape, la Cimmérienne s’accroupit et traça rapidement sur le sol avec la pointe de sa dague le plan des lieux.
« Nous devons nous occuper des gardes postés sur les tours, sans que l'alerte soit donnée. On doit éliminer tous les gardes de ces quatre tours qui encadrent la grande cour dans laquelle se joue le spectacle. Je prends la plus grande, celle du nord-est… Hepner, tu prends les deux tours au sud et Isil celle de la chapelle au nord-ouest. Fais attention, il y a deux gardes postés et tu ne pourras pas les éliminer sans que l’un deux ne donne l’alarme. Aussi, quand je serai sur la grande tour et que j’en aurai éliminé le garde, je me montrerai discrètement. À ton signal je décocherai une flèche sur le garde le plus au sud… tu devras au même moment en faire de même pour l’autre, soit avec une autre flèche, soit à mains nues mais toujours en silence. Evite de surestimer ta force physique contre ces soldats… tu es une fille et tu n’es pas aussi forte qu’eux… Essaye de rentabiliser ton arc ! »

Elle souffla un peu puis reprit.
« Hepner, tu devras t’occuper de deux tours, mais tu sais mieux tuer que moi dans l'ombre... On se rejoindra à l’intérieur de la tour dans laquelle je me trouverai, par les remparts ou les chemins de ronde intérieurs... Une fois ce travail achevé, nous essaierons d'éliminer les patrouilles dans l'enceinte du château. Si j'ai bien compris le plan de Maleo, Trull, Xadars et Legindel, trois Loups déjà infiltrés, s'occuperont des prisonniers. C'est notre priorité. Il y a peu de chance qu'on sorte d'ici sans faire de casse. Donc restez prudent et silencieux et ne quittez pas les couloirs... Bonne chance ! »

Elle posa de nouveau sur la jeune fille un regard affectueux avant de disparaître dans le couloir imité par Hepner qui prit la direction opposée.

Isil se retrouva seule dans l’obscurité. Son cœur battait doucement et elle ne frissonnait plus. Le moment était venu, et sa confiance était revenue. En deux mots, elle se sentait prête.

Elle longea vers le nord le couloir sombre, tenant son arc dans sa main gauche et dans la droite une flèche prête à être tirée… Elle se disait qu’Hérana la sous-estimait car en effet, elle se savait parfaitement capable de tirer deux flèches en moins de trois secondes ce qui lui donnait la possibilité d’abattre les deux gardes avant qu’ils aient le temps de se rendre compte de quelque chose.

Mais un plan étant un plan, elle décida qu’il lui fallait obéir aux ordres de la Cimmérienne. Elle était arrivée au pied d’un minuscule escalier taillé dans la pierre, qui montait en colimaçon vers le haut de la tour de la chapelle.

Le haut cet l’escalier débouchait à travers le plancher d’une salle qui occupait toute la surface intérieure de la tour. Prudemment elle se hissa jusqu’à ce que ses yeux soient au raz du sol et jeta un regard circulaire dans la salle de garde. Elle était vide. Deux lits sommaires en bois, un râtelier à armes garni de fléaux et de masses, deux arbalètes et une épée posées contre un mur, une armoire délabrée aux portes cassées, une table et quatre chaises bancales, formaient son ameublement.

Isil acheva de grimper les dernières marches et posa ses pieds sur le plancher qui geignit sous ses pas en émettant de sinistres craquements. À travers les interstices des lattes, on pouvait distinguer le vide central de la tour et elle pensa aussitôt que si jamais l’une de ces lattes s’avérait pourrie et cédait sous son poids, la chute serait longue mais mortelle.

La pièce avait une ouverture donnant sur l’extérieur au nord-ouest, deux portes en bois, l’une donnant sur le rempart ouest et l’autre côté nord ainsi qu’une échelle qui montait vraisemblablement vers le sommet de la tour où se trouvaient les gardes qu’elle avait furtivement aperçus à leur arrivée au château.

Silencieusement, Isil grimpa à l’échelle qui permettait d’atteindre une lourde trappe munie d’un anneau. Elle la souleva avec difficulté pour pouvoir jeter un œil dehors. Les deux gardes se tenaient côte à côte et regardaient en discutant d’un air amusé vers la cour intérieure, là où se préparait le spectacle. Isil poussa sur la trappe mais celle-ci devait avoir les gonds faussés car elle perçut immédiatement le début d’un grincement horrible avant de stopper net son mouvement le cœur battant. Les gardes ne semblaient pas avoir entendu, mais il lui parut évident que si elle passait par là, s’en était fini de sa discrétion. Or, compte tenu du poids de la trappe, elle ne pourrait jamais se hisser sur la plate-forme, engager une flèche et la décocher sans que les gardes ne donnent l’alerte… de plus, comme ils étaient tout près l’un de l’autre, il lui était impossible d’en abattre un sans que le second le remarque.

Le plan d’Herana venait de prendre à l’instant tout son sens.

Il lui fallait donc monter sur la tour, faire signe à Herana et tirer sur l’un des gardes en priant pour que la Cimmérienne en fasse autant, au même instant, sur l’autre et sans manquer sa cible.

Isil battit en retraite et referma précautionneusement la trappe avant de redescendre de son échelle, puis se dirigea vers l’ouverture et regarda à l’extérieur. Elle se trouvait à flanc de muraille mais celle-ci présentait néanmoins des aspérités utiles à la prise. Or, Isil avait souvent escaladé des parois plus difficiles dans les montagnes des Quatre Vallées avec Elamir, avant…

… avant…

La jeune fille s’assombrit et des pensées obscures et douloureuses revinrent en elle. Elle voyait brûler son village de Valaar dont le sol était jonché de cadavres… elle revoyait Ragnard devant elle avant qu’il ne la…

Isil secoua la tête pour chasser ces mauvaises pensées et se concentra sur la muraille de la tour. Juste au-dessus d’elle des pierres carrées saillaient. Si elle pouvait les atteindre…

Elle enjamba la fenêtre et tourna le dos au vide en cherchant à tâtons une prise. Ses doigts en forme de crochets pesèrent sur une aspérité de la pierre pour s’assurer de sa solidité puis Isil avança le pied qu’elle glissa dans une fente du mur. Lentement elle se hissa, centimètre par centimètre jusqu’à atteindre les pierres carrées grâce auxquelles elle put saisir le haut des créneaux. Elle se glissa dans l’ombre de la pierre. Les gardes étaient toujours penchés vers l’estrade et lui tournaient le dos. Se mettant debout, elle tenta d’apercevoir la silhouette d’Herana sur la tour d’en face. C’était risqué car il ne fallait pas que quelqu’un regarde précisément dans sa direction à ce moment précis.

Au loin elle distingua de son regard perçant une silhouette immobile tapie dans l’ombre du sommet de la grande tour. Espérant qu’Herana avait fait son office et regardait vers elle à cet instant précis, elle montra son arc en indiquant le côté gauche — vers le nord avait dit Herana — pour bien montrer le côté duquel elle allait tirer.

Retenant son souffle elle engagea la flèche et banda l’arc… compta jusqu’à trois et tira. La flèche se ficha dans le dos du garde de droite en lui perforant le cœur. Pratiquement au même instant une autre flèche en provenance de la grande tour arriva en sifflant et se planta dans la poitrine du second soldat. Isil bondit dague en main et se rua sur lui pour l’achever, mais l’homme était déjà mort. Observant par-dessus les créneaux, vers l’estrade dressée au centre de la cour intérieure, elle aperçut le nommé Aelred qui faisait son numéro en provoquant diverses exclamations dans l’assistance. Cela semblait très réussi…
« Bravo, Aelred, pensa Isil au fond d’elle-même. »

Elle se rendit jusqu’à la trappe qu’elle ouvrit sans plus s’occuper du grincement que désormais personne ne pouvait entendre, puis descendit dans la salle de garde et ouvrit précautionneusement la porte donnant sur le rempart nord.

Curieusement il n’y avait pas de garde sur le rempart, preuve que Demetros avait dû concentrer ses hommes pour qu’ils surveillent la représentation qui commençait au milieu de la cour.

Elle se glissa parmi les ombres des pierres jusqu’à la grande tour où dans l’obscurité du couloir elle aperçut une ombre familière.
« Herana, chuchota-t-elle ? C’est toi ?... Joli tir… je suis épatée… Hepner n’est pas là ? »

Un murmure se fit entendre derrière elle, qui la fit sursauter.
« Je suis là ! »

Il avait surgi de nulle part satisfait de l’effet qu’il venait de produire.
« Désolé de vous avoir fait attendre mais il y avait plus d’hommes que prévu… »

Herana le regarda d’un œil ravi et posa la main sur son épaule.
« Bien joué ! dit-elle simplement sans remarquer le sang qui s’écoulait de la blessure de l’homme. »

Puis elle fit quelque pas, réfléchissant sur la suite.
« Venez voir ! »

La Cimmérienne les emmena tout en haut de la tour maîtresse. De cet emplacement, la vue embrassait tout le domaine à des lieux et des hectares à la ronde.
« Vous voyez le bâtiment, au nord d’ici ? C'est là où les gardes dorment et se reposent, et en dessous, c'est la garnison, les salles d’armes et d’entraînement ainsi que la cantine... Il nous faut un moyen pour tout neutraliser, sans trop de résistance... Venez. »

Ils redescendirent et cette fois Herana les mena au rez-de-chaussée de la tour puis encore plus bas dans le sous-sol.

Isil et Hepner purent distinguer cinq corps de gardes, sans vie, la gorge tranchée pour certains et d’autres mutilés. Herana ne fit aucun commentaire et ses compagnons non plus. Parvenue devant une porte fermée, Herana sortit un trousseau récupéré sur le corps de l’un des gardes et l’ouvrit.

La porte grinça.

« Et voilà notre miracle ! Je savais que cette tour cachait quelque chose d’important vu le renforcement de ses murs ! ».

Des tonneaux… des tonneaux remplis d'une substance encore peu connue et se présentant sous la forme d’une poudre noire.
« C'est une poudre mortelle. Elle explose au moindre contact avec une flamme. J'en ai déjà utilisé pour faire sauter une mine d'or en Ophir… Ça provient de Kithai, un pays très lointain, à l'Est... On va s'en servir pour faire sauter la garnison et le dortoir des gardes. On va passer par les tunnels du sous-sol pour arriver sous le bâtiment. Là, on entassera le maximum de tonneaux et on fera tout exploser. Les souterrains sont peu fréquentés… En fait, ils sentent tellement mauvais, que les gardes ne s’y aventurent guère... Allez, on va faire plusieurs voyages. Si on réussit, il ne restera plus que les gardes postés en ce moment dans le château et les jardins, ainsi que la garde rapprochée de Demetros. Vite ! »

Isil regarda les tonneaux qui devaient faire leur poids puis admira les muscles puissants d’Hepner. Dans un geste enfantin, elle tâta ses propres biceps avec une moue. À ce moment précis, elle aurait préféré être un gros guerrier musclé qu’une archère à la taille fine.

Passant ses bras autour d’un des tonneaux en fléchissant ses longues jambes, elle banda tous les muscles de son corps et se redressa péniblement en soufflant.
« Pffff… un jeu d’enfant… il faut les amener où déjà ? crâna-t-elle en rougissant sous l’effort tout en esquissant un sourire forcé. »

En silence ils entassèrent quelques tonneaux au prix d’une grosse suée qui trempa leur corps, autour des piliers de soutènement du bâtiment de la garnison. L’atmosphère des souterrains était vraiment empuantie par un mélange de pourriture et de mort, une odeur âcre qui leur donnait envie de vomir. Isil plissait son nez de dégoût tandis qu’elle s’efforçait de respirer par la bouche pour éviter d’être trop incommodée.

Herana avait rempli quelques sacs de poudre qu’ils avaient hissés sur leurs épaules avec comme objectif de les monter dans les étages du bâtiment. Ils se trouvaient juste en dessous des salles d’entraînement. Armes et armures y étaient entreposées ainsi que des mannequins de paille et des cibles de bois pour l’entraînement des archers. Une grille leur barrait le passage.
« Hepner, tu penses pouvoir ouvrir cette grille sans faire de bruit ? »

L’Assassin retint une grimace. L’effort consenti pour déplacer les tonneaux avait aggravé la blessure sur laquelle il avait enfoncé un morceau d’étoffe afin d’éviter que le sang ne coulât. Il fronça les sourcils et réfléchit un instant puis son regard s'arrêta sur Isil et il lui lança avec un sourire malicieux.
« Pardonnez-moi, demoiselle… tout en s’emparant d’une épingle qui maintenait ses cheveux. »

Hepner prit ensuite la boucle de son ceinturon et à l'aide des deux objets, s’affaira sur la serrure qui céda rapidement sous l’action de ses doigts experts.
« Mille mercis, Isil… chuchota Hepner à l'oreille de la jeune fille en lui replaçant délicatement le bijou dans la main. »

Isil eut un moment d'hésitation puis posa doucement ses longs doigts sur le bras musclé d'Hepner en lui rendant l’épingle.
« Gardez-la, des fois qu'il y aurait d'autres serrures à crocheter... vous me la rendrez quand... elle ne vous sera plus utile. »

Le fixant de ses grands yeux bleus, elle lui adressa son plus joli sourire avant de baisser le regard en ajoutant.
« Bon... ben... moi je vous suis... quand vous voulez... »

Ils traversèrent la salle d’entraînement déserte, jonchée d’armes en tout genre, puis passèrent par un escalier étroit pour déboucher dans un dortoir où ronflaient de nombreux gardes.

Isil déposa son grand sac de poudre sous la table comme Herana venait de le lui indiquer tandis qu’Hepner en disposait un autre près de la porte.

La Cimmérienne s’était envolée vers le haut plafond, de poutres en poutres et Isil s’enfonça dans un recoin d’ombre au cas où l’une de ces brutes aurait soulevé une paupière. Hepner s’affairait lui aussi dans un autre coin sans qu’Isil ne puisse voir à quels gestes il se livrait…

Elle attendit, tapie, le cœur battant. De l’extérieur parvenaient les échos étouffés d’applaudissements : les Loups devaient se surpasser pour assurer la diversion prévue ! Si le plan fonctionnait, quelque part dans les geôles du château trois autres Loups déjà dans la place devaient en ce moment même œuvrer à l’évasion de leur chef — ce Kadraan, leur charismatique capitaine de la croisade contre les Vanirs du temps de Siobhan — ainsi qu’à celle d’autres Loups détenus par Demetros de la famille Adorik. Dans les étages du manoir se trouvaient également Kathleen, la jeune sœur de la guerrière cimmérienne, recluse dans une chambre, ainsi qu’un homme à abattre, un traître dont la mort devait normalement assouvir le désir de vengeance de la jeune Isil du pays des Quatre Vallées.

Les bras écartés pour maximiser son équilibre, Herana avançait pas à pas sur les poutres en faisant grincer le bois, transpirante et concentrée dans ses gestes. L’effort était éprouvant pour elle qui ne s’était pas entraînée depuis de longues semaines... Elle arriva enfin au point fragile, le centre du plafond. C'était une petite plate-forme de vieux bois poussiéreux à souhait. Elle prit son élan et se lança... La faille qu’elle avait repérée était là. Si le sac de poudre explosait à cet endroit précis, tous les étages supérieurs s’effondreraient en ensevelissant tous les gardes présents. Herana resta un moment immobile, inquiète de savoir ce qui allait se passer. Puis elle se remit à avancer encore plus lentement... Retirant le sac de ses épaules, elle le posa avec délicatesse sur la planchette.
« Humf... C'était à deux doigts... »

Elle s’immobilisa. Un garde venait de se réveiller juste au-dessous d’elle en baillant à la cantonade. Après s’être longuement gratté le ventre, il se leva dans la semi obscurité et avisa sur la table un bout de viande sèche et un morceau de pain qui eurent pour lui l’attirance d’un os à moelle pour un chien affamé. Il s’assit lourdement sur une chaise et agrippa un pichet de vin aigre qu’il versa dans un gobelet sale dans l’intention de se décrasser le gosier. Puis il déchira de ses gros doigts sales le morceau de bœuf en deux. Isil s’enfonça de son mieux dans l’ombre d’une armoire imitée par Hepner à l’autre bout de la pièce.

Soudain, les planchettes se brisèrent avec un bruit sec sous le poids d’Herana qui tomba sur la table du dortoir en la faisant éclater en mille morceaux dans un fracas épouvantable. Un énorme nuage de poussière se souleva dans la pièce.

Le vin avait giclé sur le garde médusé tandis que les autres soldats se réveillaient en sursaut. Ils étaient nombreux. Herana esquissa un sourire en essayant de reprendre ses esprits :
« Nous sommes la troupe du cirque... Surprise ! »

Bien évidemment, cela n’avait pas suffit à convaincre les gardes, et pour cause !

L’un d’eux hurla :
« Aleeeerte ! tandis qu’un autre s’éclipsait déjà avec une promptitude surprenante pour un soldat de sa corpulence, sans doute pour aller prévenir son supérieur. »

Isil engagea une flèche et tira sur un garde qui se levait de sa couche… il y retomba pour toujours. Hepner avait abattu celui qui convoitait le gobelet de vin d’un carreau d’arbalète et s’était précipité vers Herana.

La jeune blonde bondit vers eux pour les rejoindre en tirant deux autres flèches qui tuèrent leurs cibles. Hepner, une dague dans chaque main, se penchait au même moment au-dessus de la Cimmérienne qui se relevait en se frottant les côtes. Isil tira encore deux, trois fois, mais les gardes étaient bien une trentaine et les entourèrent rapidement munis de leurs longues épées.
« Rendez-vous ! avaient-ils crié en chœur. »

Herana avait saisi une torche et les menaça en l’approchant du sac de poudre noire qui se trouvait à leurs pieds.
« Le premier qui tente de faire le héros, sera expédié directement en enfer avec tous ses camarades ! avait-elle crié avec une telle force de conviction que les gardes hésitèrent. »

Profitant de ce répit inespéré, elle entraîna soudain Hepner et Isil vers la petite porte menant vers la salle d’entraînement qu’ils bloquèrent derrière eux.
« Il faut retourner dans la cour avec les autres, cria-t-elle, allez-y, bon sang, je vais les retenir »

Hepner refusa énergiquement.
« Tu tiens tellement à te suicider ? Désolé mais je ne te laisserai pas faire et je crois que Maleo serait d'accord avec moi ! Trouvons plutôt une solution définitive pour ces gardes ! Il nous reste un demi-tonneau rempli de poudre noire ? »

Herana repoussa violemment Hepner en criant.
« Mais... Je me fous de savoir ce que tu penses, tu suis les ordres, c'est tout ! Si ça ne te plaît pas, c’est pareil, laisse-moi faire ! Allez, partez, avant que je vous tue de mes propres mains ! »

Isil se garda bien d’intervenir. La Cimmérienne frôlait l’hystérie et ce n’était pas le moment de se battre entre eux. Elle posa la main sur le bras d’Hepner en lui disant.
« Laisse Herana faire ce qu’elle a dans la tête… tu ne gagneras pas contre une femme question entêtement… Crois-moi, ajouta-t-elle en souriant… Viens, il va y avoir de quoi faire dans la cour, vite ! »

Et, en espérant que l’Aquilonien la suive, elle s’élança par les souterrains qui sentaient toujours aussi mauvais, débouchant bientôt dans la cour du château.

Hepner se demandait quelle folie pouvait bien ronger le coeur d’Herana. Une chose était sûre, il se refusait à l'affronter, il y avait déjà bien assez à faire avec les gardes.
« Eh bien puisque c'est un ordre... Puisse ton Dieu veiller sur toi, mais sache que je reviendrai te chercher si tu ne nous suis pas, que tu le veuilles ou non ! »

Hepner ne laissa pas le temps à Herana de répondre. Il s'élança dans le souterrain à la suite d'Isil sans se préoccuper de la douleur de sa blessure qui avait augmenté d’intensité.

Arrivée dans la cour, Isil comprit que l’alerte avait retenti jusque-là, stoppant net le spectacle et déclenchant une terrible pagaille dans la cour où des gens fuyaient vers le château tandis que les saltimbanques transformés en guerriers affrontaient les soldats qui affluaient de partout. La plus intense des confusions régnait et déjà vers l'estrade, on se battait avec acharnement. Elle entendit le fracas d'un lourd banc de bois qui s'écrasait au milieu de spectateurs retardataires complètement affolés.

Se rencognant dans l'ombre de la muraille, elle avisa les gardes qui couraient sur les remparts à commencer par ceux qui, portant un arc, pouvaient atteindre ses compagnons à distance, et se mit à décocher flèche après flèche, posément et calmement, chaque trait remplissant son office.
« … neuf... dix... » compta-t-elle mentalement en se remémorant le garde de la tour et ceux de la garnison déjà tombés.

Hepner avait rejoint Isil dans la cour et le spectacle qu’il y vit ne lui sembla pas à l'avantage des Loups. Les soldats arrivaient de tous les côtés et la bataille faisait rage. Il ne pouvait laisser ses compagnons dans une telle posture sans leur apporter son soutien.
« Reste à couvert, je reviens ! cria-t-il à Isil qui continuait à décimer les gardes avec son arc. »

Hepner sortit ses dagues et chuchota quelques incantations dans une langue interdite. Alors ses yeux devinrent noirs comme le jais et ses lames se mirent à briller d'un rouge macabre.

Oubliant sa blessure, Hepner s'élança dans la foule, mélange de gardes et de spectateurs terrorisés, et entama sa danse funèbre. Avec toute la discrétion et l'agilité d'un félin, il se faufila entre les soldats qui le remarquaient à peine, tournoyant comme dans un ballet mortel en tranchant ici une jugulaire, là une carotide qui déversait aussitôt des saccades de sang, se frayant un chemin jusqu'à ses compagnons. Tel était l'art véritable d'Hepner !

L’Aquilonien fut soudain sorti de sa transe par une explosion d'une violence inouïe qui provenait de la garnison. Un fracas épouvantable s’ensuivit lorsque tout le bâtiment où ils se trouvaient un instant auparavant s’effondra.

« HERANAAAA ! NOOON ! hurla-t-il comprenant soudain qu'elle venait de mourir par sa faute...


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22 - À la recherche de Kathleen


L’explosion avait surpris Isil au moment où elle visait l’un des deux gardes fonçant dans le dos de Maleo et la flèche se perdit dans les airs. En retombant, elle faucha un inconnu qui fuyait le spectacle à présent bien terminé…

Fort heureusement, une ombre s’interposa entre le leader de la meute et ses agresseurs. Dans l’obscurité, les yeux d’Isil parvinrent à identifier la silhouette de la jolie Cimmérienne appelée Nyrina qui venait de parer un coup destiné à son chef… Ce fut si rapide qu’Isil ne put voir si une seule épée lui avait suffit ou si elle tenait également une lame dans l’autre main… Déjà, la jeune fille avait de nouveau bandé son arc et cette fois, sa flèche tua net le soldat qu’elle venait de manquer. Mentalement elle se dit que Nyrina ne ferait qu’une bouchée du garde restant !

Pour l’heure, il y avait plus urgent à faire. L’explosion prouvait qu’Herana avait mis son plan à exécution et fait sauter les tonneaux de poudre… mais avait-elle survécue ?

Il fallait y retourner ! Peut-être avait-elle besoin d’aide ?

Au même moment, Hepner arrivait vers elle en courant. Sans doute avait-il eu la même pensée ? Isil le vit combattre deux soldats qui se trouvaient sur sa trajectoire et sans attendre, elle fit volte-face pour se précipiter par la porte d’où elle avait surgi deux minutes auparavant.

L’archère s’élança dans les souterrains malodorants qu’ils ne connaissaient que trop désormais. Virage à droite… à gauche… encore à droite… quatre marches… à gauche… tiens, une intersection ! …

Elle s’arrêta. Elle n’avait pas fait attention à cette croisée des souterrains en suivant Herana la première fois… ni d’ailleurs au retour après que l’alerte eut été donnée… Il semblait que l’autre galerie partait sous le château, vers les habitations…

Mais c’était tout droit qu’Herana, si elle avait survécu, se trouvait !

Pataugeant dans l’eau nauséabonde, elle parvint quelques virages plus loin à l’éboulement que l’explosion avait provoqué au niveau de la salle d’entraînement. Personne ne passerait plus par là !

Puis elle entendit quelque chose se débattre dans un trou d’eau. À la lueur d’une torche restée allumée sur son support mural, elle inspecta les lieux et aperçut des mains… un visage noirci par la poudre que l’eau faisait couler comme du rimmel… Herana !

Elle l’attrapa par la main et l’aida à se relever. La Cimmérienne était visiblement étourdie par l’explosion. Elle l’assit contre la paroi de pierres.
« Herana ? Ça va ? Parle-moi ! J’ai besoin d’aide pour aller dans ce château… je crois qu’il y a un passage plus loin… et toi, tu n’as pas quelqu’un à retrouver ? Je pense qu’on peut se passer de nous dans la cour… »

La guerrière se frotta les yeux et regarda un peu déconcertée les lèvres de la jeune femme blonde s’agiter sans qu’elle puisse entendre ses paroles tant ses oreilles sifflaient encore du vacarme de l’explosion.
« Hein ? cria-t-elle en toussant fortement. Je… je suis où ? »

Quelques secondes plus tard, elle reprenait ses esprits.
« Aïe, ma tête... Attends un peu ! »

Herana se palpa les bras, le visage, le bassin et les jambes avant de souffler.
« Ça va, je suis intacte, c’est l’essentiel ! »

Elle était pâle, et ses bras étaient parsemés de petites plaies qui saignaient...
« Humm... Ha.. Hahah.. Hahahaha hahahahah...Hahahahaha hahahahaha !"

Elle se mit subitement à rire, d’un rire désespéré, un peu dément.
« Je peux pas mourir… Les dieux et encore moins l'enfer ne veulent pas de moi ! Je suis condamnée à vivre ici, quelle chance… Hahahaha ! »

Isil se demanda si la Cimmérienne n’était pas devenue folle.

Mais Herana se reprit et se releva péniblement, ramassant son épée à lame dentelée.
« Bon... houlà ! s’exclama-t-elle chancelante en se retenant au mur d’une main. Oui, oui ! Bien… Ouf… »

Elle secoua sa tête endolorie et se frotta le front puis s’empara de la torche qu’Isil avait posée sur une roche.
« On y va, oui… On va commencer par les appartements du château. Allez, vite ! »

Isil se retourna vers l’obscurité. L’intersection qu’elle avait repérée se trouvait à vingt ou trente mètres derrière. Elle l’élança dans l’obscurité, prit le premier virage et se heurta soudain à un mur d’acier !

En fait… ce n’était pas un mur d’acier, mais le torse puissant d’Hepner qui accourait silencieusement.

La jeune fille en vit trente six chandelles et décolla sous le choc pour reculer de deux mètres en percutant Herana qui la suivait.

Elles tombèrent toutes les deux sur leurs fesses dans une flaque en soulevant une grande gerbe d’eau stagnante, laissant la torche virevolter dans les airs pour atterrir un peu plus loin sur des gravas. Hepner s’arrêta pour les regarder un moment, stoïque, avant d’éclater de rire en contemplant Isil dans les bras d’Herana.
« Alors, les filles, vous croyez vraiment que c’est le moment de vous livrer à une partie de jambes en l’air toutes les deux ? »

Tournant la tête vers la Cimmérienne, Isil s’excusa en riant à son tour.
« Pardon… mille pardon, Herana… je ne pensais pas que tu serais la première personne dans les bras de laquelle je tomberais… »

L’archère pensa soudain que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas rit de bon cœur, ni plaisanté… décidément, avoir des compagnons lui avait trop longtemps manqué ! Herana entrouvrit ses bras qui entouraient fermement la poitrine d’Isil pour la lâcher, comme à regret. Mais sur le moment, l’archère ne parut pas s’en apercevoir.
« Si ça peut te rassurer, tu n'es pas mon genre... bougonna la Cimmérienne en guise d’excuses, sans grande conviction. »

Elle se releva, soulevant Isil par les aisselles pour la remettre également d’aplomb.
« Eh bien, tu vois Hepner ? Mon dieu ne m'aime pas ! Il préfère se moquer de moi depuis sa montagne, regardant la pauvre femme que je suis s’étaler dans la fange... Allez, dans les appartements ! L’attention de toute la garde doit être entièrement captée par la bataille qui se déroule dans la cour… Nous allons en profiter ! »

Herana ouvrit le chemin après avoir repris sa torche jusqu’à l’intersection qu’Isil avait remarquée.
« À gauche c'est la tour maîtresse, à droite je ne sais pas... On prend à droite ! »

Ils continuèrent leur course sans encombre jusqu’à déboucher face à une porte de bois devant laquelle Hepner n’hésita pas un instant. Elle était verrouillée mais qu’importait. Utilisant l’épingle solide de la broche à cheveux qu’Isil lui avait confiée, il crocheta en quelques secondes la serrure et ouvrit prudemment la porte qui pivota sur ses gonds en grinçant légèrement.

Ils se trouvèrent devant un petit escalier en colimaçon qui montait. Quelques torches éteintes et poussiéreuses étaient fixées sur les murs. On ne devait pas souvent emprunter cette sortie depuis les appartements de la demeure des Adorik !
« Par ici, mesdames, souffla Hepner en leur faisant signe de le suivre. »

Il gravit prudemment l’escalier. Parvenu à ce qui devait être le rez-de-chaussée de la demeure, on entendit venant de l’extérieur, les bruits de la bataille qui faisait rage dans la cour. Hepner tourna à droite dans un couloir pour s’éloigner de la direction qui lui paraissait être celle menant au hall d’entrée. Il devait y avoir dans les ailes du bâtiment, des escaliers de service plus discrets pour monter dans les étages.

Isil regardait distraitement les tableaux et les grandes tentures qui ornaient le couloir lorsqu’un homme portant un plateau sortit de la pièce la plus proche en leur tournant le dos. Lorsqu’il se retourna, il les aperçut, voulut crier, et reçut l’épée d’Hepner en pleine poitrine.

Isil se jeta souplement sur le plateau avant qu’il ne se fracasse bruyamment à terre puis dit à Hepner.
« Si tu pouvais éviter de tuer tout le monde, on pourra peut-être se renseigner sur l’endroit où on peut trouver Marak et la petite sœur d’Herana… Kathleen, c’est ça ? ajouta-t-elle en se retournant vers la Cimmérienne. »

Saisissant l’homme sous les bras, elle le dissimula derrière une épaisse tenture.

Herana acquiesça à la remarque d’Isil.
« Continuons ! Toute la garde doit sûrement se battre avec nos amis saltimbanques d’un soir et les occupants des lieux doivent être rassemblés dans le hall d’entrée… On va en profiter pour visiter les appartements de Demetros. Je suis sûre que Kathleen s’y trouve. »

Ils montèrent au premier étage et comprirent au marbre de qualité recouvrant le sol qu’ils étaient sur le territoire du maître des lieux.
« Demetros ne se refuse rien... marmonna Herana. »

Puis elle se figea devant un grand tableau qui décorait un mur.
« Oh, par tous les dieux ! Ce n’est pas possible… Alors, c’était vrai ? »

Dans l'incompréhension la plus complète, Isil et Hepner regardèrent la toile. Elle représentait une demoiselle, une adolescente, l'air triste, qui regardait droit devant elle de ses magnifiques yeux verts.
« Ainsi c'est donc vrai ? reprit Herana à voix basse... Ysedda, tu es bien sa sœur ? … Alors, rendez-vous en enfer ! conclut-elle en balayant l’air d’un revers de sa main. »

Elle continua son chemin, un sourire au coin de ses lèvres

Quelques instants plus tard, ils poussèrent une porte qui donnait dans les appartements même de Démetros. L’absence de toute présence armée prouvait que la diversion prévue par Maleo avait fonctionné au-delà de toute espérance. Ils pénétrèrent dans un long couloir décoré de piliers de marbre aux feuillures d’or, aux murs d'un blanc éclatant sur lesquels tranchaient de riches tentures pourpres ainsi qu’une collection de tabards de famille.

Soudain, des gardes sortirent d'une des chambres, des soldats qui n'appartenaient pas à Demetros mais à un tout autre personnage. Les trois Loups se dissimulèrent derrière des sculptures et des armures sur pieds. Un homme surgit au milieu des gardes, de grande taille, fort, en armure rutilante. Rien qu’en observant son visage, on pouvait le deviner mauvais, sadique et manipulateur… Herana en savait quelque chose compte-tenu de tout ce qu’il lui avait fait subir.

« Trouvez-la et ramenez-la moi, je la veux vivante ! Que Demetros aille au Diable, je ne suis pas là pour régler ses problèmes !
— Bien maître Irlian. »

Le regard haineux, Herana avait discrètement saisi dans son dos la poignée sculptée en forme de loup de son épée.
« Fils de chien ! Ordure de première ! Il se fait appeller « maître » ! Ah oui… je me languis déjà de t'arracher ce qui te rends si homme, Irlian... marmonna-t-elle les mâchoires crispées. »

Quand la porte se referma, Herana se retourna vers ses compagnons.
« Celui-là, il est à moi. À moi seule ! C’est une prime inespérée… Continuez tous les deux ! Fouillez toutes les chambres. Je vous en supplie… retrouvez ma petite sœur avant ces hommes. Ensuite, je te promets, Isil, que je fouillerai chaque pièce de ce maudit manoir pour t'aider dans ta quête ! »

Et sans attendre, elle tourna la poignée de la porte et disparut dans la pièce.

…………………………………

Herana attendait ce moment, cette heure, ce jour, depuis de très longues années. Son coeur battait la chamade mais ses nerfs étaient d'acier et sa main serrait de toutes ses forces le pommeau en forme de loup.

L’homme lui tournait le dos.
« Alors ? dit-il sans se retourner, vous l'avez déjà trouvée ?
— Non Irlian, tu ne la trouveras pas ! »

L’homme sursauta et se mit à sourire tout en pivotant sur lui-même. Il connaissait cette voix si familière mais il ne put cacher son grand étonnement.
« Herana, ma chère cousine ! Ainsi, tu te décides enfin à te montrer, bâtarde de Maura ! »

Il fit quelques pas vers un râtelier sur lequel il s’empara d’une grande hache à double tranchant. Des symboles nordiques bleutés étaient gravés sur son armure de terreur. Il était beau, blond et il avait de magnifiques grands yeux bleus, mais ils étaient de glace et son arrogance ainsi que son rictus cruel gâchaient tout.
« Alors, que t'arrive-t-il, Herana, tu n’oses plus parler ? Allons ma cousine, tu es toujours en colère après tant de temps passé ? Ta petite cellule te manque peut-être ? Ha ha ha… comme j’aimais à te torturer, te voir souffrir et pleurer. Cela m’amusait comme un enfant… Tu étais faible, inutile... Où était alors la grande guerrière ? Où était-elle quand tu pleurais, en me suppliant d'arrêter ? »

Herana baissa les yeux en se rappelant chacune de ces infâmes tortures qu’il lui avait infligées. Les cris qu’elle poussait lui revinrent à l’esprit et elle ressentit jusqu’au fond de son corps l’écho des douleurs incessantes qu’elle avait endurées.
« Pourquoi ? Pourquoi m'avoir tant fait souffrir ? J'étais venue pour avoir votre aide…
— Ah ? Mère t'avait tendu sa main et tu l'as refusée pour ces stupides mercenaires… ces… Loups ! Une bande de moins que rien, de la racaille d’aventuriers qui se prenaient pour une armée de redresseurs de torts ! Tu aurais pu avoir tout ce que tu désirais : la gloire, le respect de toute la Cimmérie et la fortune. Mais regarde-toi, regarde ce que tu es devenue, ma chère cousine ! Tu n'es plus qu'un tas de chair sans intérêt, bon à être livré aux charognards pour être dépecé ! Où est passée la grande et puissante guerrière que j’ai connue ? »

Herana releva les yeux sous les insultes, un regard sombre rempli de haine. Elle sortit son épée du fourreau.
« Je vais en terminer avec toi et puis ce sera le tour de Moreen.
— Tu en redemandes ? Dois-je te rappeler que je t'ai déjà battue… Certes, mère a préféré te garder vivante pour te voir souffrir… Moi, j'aurais préféré cent fois te voir mourir… En garde, cousine ! »


L'homme se lança, assénant des coups puissants de sa grande hache d'acier qui siffla dans l’air de la pièce. Herana n'était pas de taille face à sa force, elle devait allier agilité et ruse pour jouer avec lui afin de le fatiguer...

Elle para chaque coup de son épée, jusqu'à que l'homme parvienne à lui donner un coup de poing qui la fit tomber sur le sol.
« Alors, tu abandonnes déjà ? »

Il tailla de sa hache pensant donner le coup de grâce mais Herana tout en souplesse avait roulé sur le flanc et le fil de l’arme la frôla d’un rien. Elle se releva vivement en entaillant d’un coup d’épée la cuisse du colosse qui rugit.
« Ah ! La garce ! »

Cette fois c’est lui qui repoussa une série d’attaques de la guerrière, de son manche d'acier, tout en reculant.
« Certes, je dois admettre que tu t'es améliorée. »

Une nouvelle fois il parvint à la frapper d’un revers de main qui la fit rouler à terre. Elle se releva encore et essuya le sang qui coulait de son nez.
« Crève donc ! »

Le combat reprit. Herana para de justesse le nouvel assaut du farouche guerrier. Elle tenta une attaque de front par un coup d’estoc et manqua. L’erreur était grossière et Irlian en profita pour lui enfoncer sa dague dans le ventre.

L’épée glissa de sa main et tomba sur le sol en rebondissant avec un bruit métallique. Herana porta ses deux mains à son abdomen sur lequel s’étalait une large tache sanglante en le regardant d’un air hébété.
« Tu vois cousine, finalement tu resteras toujours aussi faible… Pauvre Herana ! dit-il en crachant de mépris. »

…………………………………………….

Isil et Hepner, ne sachant que penser, avaient laissé Herana toute à sa colère entrer dans la pièce et refermer la porte derrière elle et ils continuèrent à avancer dans les couloirs tournant à gauche, puis à droite… un véritable labyrinthe.

Les pièces étaient désertes, ce qui n’était guère étonnant, puisque les occupants s’étaient d’abord rassemblés dans la cour pour le spectacle pour ensuite, après l’alerte, se regrouper sans doute quelque part, probablement dans le hall du château, avec les gardes qui affluaient des quatre coins de la propriété.

Ils visitèrent les chambres les unes après les autres, sans succès. Celle de Demetros était immense et richement meublée, mais vide également. Des fenêtres, on pouvait deviner dans l’obscurité les magnifiques jardins qui s’étendaient à perte de vue vers le nord de la propriété. Ils allaient ressortir lorsque Hepner arrêta Isil du bras.
« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda celle-ci surprise.
— Non, rien… juste une intuition. »

Il regarda la jeune fille.
« Isil, si j’étais Demetros et que je veuille te garder près de moi, où te cacherais-je ? »

Elle sourit au regard que le Loup portait sur elle, à la fois amical et admiratif, sans même qu’il s’en rende compte… mais aucune des lueurs de convoitise qu’elle avait l’habitude de voir chez les hommes qui la dévisageaient, ne brillait dans ses yeux.

Elle baissa son regard et sentit son cœur battre légèrement plus fort.
« Je suppose, que je la cacherais à portée… de main ? Ici, ou dans une pièce adjacente ? De préférence une pièce qui ne donne que sur ma chambre ?
— Tu as raison, répondit Hepner en fouillant minutieusement la pièce, soulevant les tentures et cognant contre les murs afin de tester leur résonance. Le couloir en arrivant était long, plus long que ne l’est cette pièce dans son sens… Or, c’était la seule porte… Et nous allions vers l’ouest…
— Il y a sûrement une autre pièce… de ce côté-ci ! ajouta-t-il en désignant le mur à l’est. »

Il écarta de belles tentures pourpres, donnant des petits coups avec son index.
« Je crois que j’ai trouvé, dit-il, ici, ça sonne creux… C’est une porte cachée. »

Isil s’approcha de lui. S’il y avait une porte, elle était dissimulée à merveille sans doute dans les moulures des murs.

Hepner se mit à tâter les objets fixés au mur à proximité en réfléchissant à voix basse.
« Voyons, s’il y a un système d’ouverture, il est forcément à proximité pour libérer une gâche… Non, pas cette statue… ni ce cordon… peut-être cette armure… »

Il observait une grande armure sur pieds, reposant sur un socle de marbre, portant blason et épée… une belle épée à la poignée en or sertie de pierres précieuses.
« Belle épée, dit Isil en pensant à celle qu’elle portait en travers de son dos.
— Belle épée en effet, et dont la pointe est enfoncée dans une rainure du marbre… »

Il la souleva mais rien ne se passa. S’accroupissant, il tâta d’un doigt la rainure d’un air pensif puis se releva, remit l’épée en place et la tourna sur elle-même. Aussitôt un déclic se fit entendre et une ombre verticale apparut dans le mur, celle d’une porte qui s’entrouvre de quelques millimètres.

Hepner leva son épée et mit un doigt sur ses lèvres en direction d’Isil.
« Prépare-toi ! »

Il entrouvrit le plus silencieusement possible le pan de mur et découvrit une grande chambre à coucher, finement décorée de toiles et de draperies roses. Une jeune femme se tenait assise dans un grand lit doré et le regardait sans rien dire, avec un étonnant sang froid. De l’autre côté de la pièce il y avait une porte fermée qu’Hepner ne situa pas dans ce qu’ils avaient déjà visité et il en conclut qu’elle ouvrait peut-être sur une sorte de salle de garde ou un escalier dérobé… Sur une chaise appuyée contre la porte, un garde semblait méditer sur les choses de ce monde, les yeux mi-clos. Silencieusement, la jeune femme lui désigna d’un doigt l’embrasure d’une fenêtre ouverte sur un balcon qui surplombait les jardins. Un garde s’y tenait en scrutant l’épaisseur de la nuit dans laquelle on entendait une rumeur de bataille. Il était certainement heureux de ne pas y participer.

Hepner désigna le garde du fond à Isil et s’approcha de celui du balcon. Puis il fit un signe de la main et tandis que la jeune fille tirait une flèche meurtrière sur sa cible, il plongea sa lame dans le dos de la sienne en lui bâillonnant la bouche de l’autre main pour l’empêcher de crier.

Ce fut du travail propre, net et sans bavure. Hepner essuya son épée à une tenture et se retourna vers la jeune femme qui n’avait pas bougé d’un millimètre et qui les regardait attentivement. Elle, jeune et bien que blonde, ressemblait beaucoup à Herana en plus enfant, en plus poupée. Elle portait une haute coiffure extravagante et était vêtue d’une longue robe de qualité. Elle se leva toujours sans cesser de fixer Hepner de ses yeux gris verts. Étrangement, elle défit sa coiffure et secoua vigoureusement sa tête de droite et de gauche en faisant voler ses longs cheveux et se décoiffa avec des gestes nerveux et vifs. Puis elle arracha tout le bas de la robe, la raccourcissant au-dessus des genoux, s’en prit également aux manches bouffantes qu’elle déchira jusqu’aux épaules et fit de même pour les broderies et les dentelles qui ornaient le décolleté.
« Je vous suis ! dit-elle simplement d’une voix douce et suave lorsqu’elle eut fini de dépouiller ainsi ses vêtements. »

Ils ne s’étaient pas appesantis sur le pourquoi du comment et ressortirent dans le long couloir en avançant prudemment lorsqu’Isil sentit qu’on les suivait. Elle engagea sa dernière flèche et, feignant la surprise, elle se retourna vivement. Derrière eux il y avait bien un homme qui n’avait rien d’un sbire de Demetros et semblait chercher autant la discrétion qu’eux-mêmes.

Au moment de l’abattre, Isil songea qu’il y avait des complices des loups infiltrés dans la demeure de Demetros… Se pouvait-il que cette sorte de mage fût l’un d’eux ? Au moment où sa flèche mortelle partait, elle déplaça son arc de quelques centimètres et le trait passa au raz de l’homme qui s’aplatit contre le mur.

Tant pis si elle passait pour une maladroite… Elle appela.
« Hepner ! »

Son compagnon se retourna, lames en main prêt à saigner l’inconnu qui s’adressa à lui d’une voix basse.
« Ne tente rien jeune homme, tu pourrais te heurter à un problème de taille… Continuez donc ce que vous faisiez, je ne fais que passer. Mais hâtez-vous car il ne vous reste plus beaucoup de temps, quand vous aurez mis un terme à votre tâche, montez donc au deuxième étage et prenez la deuxième porte à gauche, quelqu’un vous y attendra. »

Puis il ajouta en dévisageant Isil.
« Il y a un carquois rempli sur le corps d’un garde au bout du couloir dont je viens… »

Et il continua sa route en leur tournant le dos.

Kathleen se tourna vers Isil et Hepner.
« Je connais cet homme. L'autre jour, il discutait avec un autre, dans un jardin. Il travaille en apparence pour Demetros… mais en fait, j'étais certaine que ses intentions étaient toutes autres... S'il vous plaît, on ne peut pas partir sans ma sœur ? Où est-elle ? »

Un simple échange de regards suffit pour que le trio fasse demi-tour.

Un peu plus loin, Isil ramassa des flèches sur le cadavre d’un garde comme l’avait indiqué le curieux mage.
« Que faisons-nous ? demanda Hepner. »


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